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Années 1950 : le guide de survie d'Alice (Chapitre 5)

 Attention : Certains passages de ce chapitre, reflétant la mentalité de l'époque, peuvent choquer.




Mercredi 18 octobre 1950


    Ce matin, à la récréation Thérèse nous proposa de jouer au même jeu qu’hier. Tout le monde accepta, moi en pole position, souhaitant montrer à mes trois copines que j’étais toujours la plus forte.

  Nous en étions à notre quatrième manche lorsque la porte du local de ménage s’ouvrit brutalement, nous démasquant.

-    Je le savais !! s’écria Evelyne, accompagnée de quelques-unes de ses amies. Je savais que vous prépariez quelque chose de louche, toutes les cinq !

Je lâchai mon allumette en feu pour partir à la poursuite d’Evelyne, voulant l’arrêter mais trop tard : elle était déjà auprès de maman, en train de tout lui raconter. Je retournai dans le local de ménage pour avertir mes copines qu’il fallait déguerpir au plus vite mais… celles-ci étaient beaucoup trop occupées à essayer d’éteindre le cahier de maintenance de la femme de ménage qui était en flammes !

-    Qu’est-ce qui s’est passé ?! demandai-je.

-    A ton avis ?! s’écria Cécile. Quelle est l’idiote qui a lâché son allumette allumée pour partir à la poursuite de sa pire ennemie ?!

Oh, oh… Ben… moi.

-    Ô Seigneur, qu’est-ce qui se passe ici ?! s’écria maman. Ecartez-vous du feu !!

Elle entra dans le local et attrapa le seau vide de la femme de ménage, le remplit d’eau et le balança sur le cahier en feu, qui s’éteignit instantanément.

-    Bande de petites inconscientes ! Sortez d’ici, sortez !

Nous nous exécutâmes.

-    Annette ! Cécile ! Thérèse ! Et…

Le regard de maman s’arrêta sur Lucie et moi. Nous prîmes chacune une violente claque sur les fesses qui nous déséquilibra. Quand maman est en colère noire, elle a la main plutôt leste !

-    J’aurais dû me douter que mes chipies de fille et de nièce étaient dans le lot !

Tout comme Lucie, j’accusai la claque de ma mère en me frottant les fesses et en laissant échapper quelques larmes.

-    Dans mon bureau ! Toutes les cinq !

 

  Maman déverrouilla la porte de son bureau et nous fit entrer. Puis elle referma la porte après être entrée à son tour, et prit place dans son fauteuil, derrière son bureau. Thérèse entreprit de s’asseoir sur une chaise vacante mais maman lui hurla :

-    Est-ce que je t’ai autorisée à t’asseoir, Thérèse Michelet ?!

-    Non madame Letilleul, répondit Thérèse en se relevant.

-    Tes parents ne t’ont pas appris la politesse ?!

-    Si madame, répondit Thérèse.

Maman soupira puis demanda :

-    J’aimerais vraiment bien savoir comment se fait-il que cinq petites filles de cinq ans ont réussi à mettre le feu dans le local de la femme de ménage ! L’accès à ce local est strictement interdit à toute personne autre que la femme de ménage, et l’apport de tout instrument pouvant provoquer un feu à l’école est proscrit ! Alors je veux bien qu’on m’explique ! Non, j’exige qu’on m’explique !!!

Puisque nous gardions toutes les cinq bouches closes, maman gronda :

-    Vous voulez jouer à ça ?! Parfait !

Elle ouvrit son tiroir et en sortit une longue règle en bois qui me fit froid dans le dos.

-    Maintenant, soit vous me dîtes toute la vérité, soit cette règle va discipliner vos derrières !

-    C’est moi qui ai amené les allumettes à l’école, avoua Thérèse, terrifiée. Je voulais jouer au jeu que mon frère Louis m’a appris.

-    Quel jeu ?! gronda maman.

-    Il faut faire brûler le plus longtemps possible une allumette entre ses doigts, expliqua Thérèse. Le dernier a gagné.

-    Ce jeu est non seulement d’une débilité profonde, mais en plus extrêmement dangereux !!! cria maman. Mais qu’est-ce qui se passe dans le crâne des enfants d’aujourd’hui ?! Depuis quand jouez-vous à ce jeu stupide ?!

-    Aujourd’hui, mentit Lucie.

-    Mais c’est que tu me mens, en plus !!! s’écria maman. Tu oses mentir à ta tante, Lucie Marie Lebeau ?!

Maman attrapa sa nièce et lui colla trois coups de règle sur les fesses sous mon regard ahuri. Jamais ma mère n’avait usé d’un instrument pour frapper un de ses enfants et voilà qu’elle venait de le faire avec sa nièce ! Je pensai alors que son degré de colère venait d’exploser !

  Alors que Lucie pleurait tellement qu’elle en avait des spasmes, maman reprit :

-    Alice avait des brûlures sur les doigts hier soir ! Donc vous y jouez depuis au moins hier matin ! Je n’aimerais pas être à la place de la prochaine qui me ment !!! Depuis quand avez-vous investi le local de ménage ?!

-    Depuis la rentrée, avoua Thérèse, apeurée.

-    Vous avez fait votre toute première entrée à l’école et tout ce que vous trouvez à faire pour fêter ça, c’est transgresser le règlement ?! Vous saviez pertinemment que ce local était interdit ! Oui ou non ?! Répondez !

-    Oui maman, dis-je.

-    Oui madame, enchaînèrent Thérèse, Jeannette et Cécile.

-    Oui tante Ariane, finit Lucie.

Un silence de mort suivit nos réponses. Fébriles, nous nous demandions ce que maman allait bien pouvoir nous faire. Après avoir réfléchi, elle rangea la règle en bois dans son tiroir et annonça :

-    Jeannette, Cécile et Thérèse, je préviendrai vos parents de ce qui s’est passé ce matin. Lucie, je vais immédiatement aller parler à ton père. Quant à toi, Alice, tu règleras ça avec le tien ce midi. Pour l’heure, dès que nous rentrerons en classe, vous resterez toutes les cinq au piquet jusqu’à la fin de la matinée !

Je m’en voulus d’avoir fait une aussi grosse bêtise : papa n’allait pas être content !

 

  En classe, Evelyne jubilait de nous voir au piquet. Cependant, je savais que je pourrais me venger ce soir et passerai, s’il le fallait, tout l’après-midi à élaborer un plan pour la faire punir.

 

  Je rentrai à la maison à reculons, sachant très bien que mon père allait me tomber dessus dès que ma mère lui apprendrait ce qui s’était passé ce matin à l’école.

 

  J’enlevai mon manteau, je mis mes chaussons et allai me laver les mains comme tous mes frères et sœurs. Puis, j’allai jouer dans la salle de jeux avec mes frères pour tenter de me changer les idées.

 

-    Alice ! Descends immédiatement ! Dépêche-toi !

La grosse voix de papa était pleine de colère. Je descendis sans plus attendre au rez-de-chaussée et y découvris mes parents, m’attendant bras croisés et sourcils froncés.

Sans mot dire, papa m’attrapa par le bras et me claqua cinq fois le derrière. J’accusai le coup, les fessées de papa étant les plus redoutées, et pour cause : elles sont extrêmement douloureuses !

-    Quand est-ce que tu vas t’arrêter de faire des bêtises, hein ?! Quand ?! Tu avais pourtant été plutôt sage depuis un mois, sans être punie une seule fois ! Mais depuis samedi dernier, je ne sais quelle mouche t’a piquée, tu es insupportable ! On dirait que tu prends un malin plaisir à défier les règles, Alice ! Mais les règlements sont faits pour être respectés ! Et les enfants qui ne les respectent pas, comme mademoiselle Alice Marie Letilleul, ont de gros ennuis ! J’ai été plutôt indulgent avec toi ces temps-ci…

-    Depuis toujours, coupa maman.

-    … mais cette fois, c’est différent ! reprit papa, ignorant la réplique de sa femme. Jouer avec le feu, c’est très, très dangereux, Alice ! Si ta mère n’était pas arrivée à temps, tu aurais mis le feu au local de la femme de ménage ! Tu te rends compte de la gravité de ta bêtise ?! Le feu, ça peut te tuer, Alice ! Tes copines et toi auriez pu y rester ! Et tu es encore beaucoup trop jeune pour rejoindre le Bon Dieu et le petit Jésus, c’est moi qui te le dis ! Tu n’as jamais, ô grand jamais intérêt à recommencer ou je te jure que je te donne une déculottée sur mes genoux dont tu te souviendras ! Pour l’heure, tiens-toi bien sage jusqu’à la fin de la semaine ! Je ne veux pas entendre parler de toi en mal sinon gare à toi ! Au piquet, maintenant ! File ! Et que je n’entende pas un seul son sortir de ta bouche ou je te jure que…

Je courus au piquet avant que papa ne finisse sa phrase cherchant à tout prix à éviter un autre accès de colère de la part de papa ou de maman. J’avais vraiment abusé sur cette bêtise-là et je n’avais qu’une envie : me cacher dans un trou de souris !

 

  Ce ne fût qu’au lever de la sieste que je commençai à ne plus avoir trop mal aux fesses. Ce n’était que la deuxième fois de toute ma vie que papa me collait une fessée (d’habitude, c’est toujours maman qui le fait), et depuis la première, j’avais bien oublié ô combien cela faisait mal ! Ma mémoire rafraîchie, il était hors de question que j’y repasse !

  Anne-Marie était arrivée pour s’occuper de moi et toutes les deux nous fîmes de la peinture. Je peignis une jolie maison pour papa et une belle fleur multicolore pour maman. Tout en peignant, je discutai avec Anne-Marie :

-    Il faut que je trouve un moyen de faire payer à Evelyne le fait qu’elle m’ait dénoncée !

-    Lili, la vengeance est un péché ! me reprit ma cousine.

-    Le Bon Dieu me pardonnera, répondis-je. A cause d’Evelyne, papa m’a donné une fessée, il est hors de question que je laisse passer ça !

 

  A force de réflexion, j’avais mis au point un plan infaillible et j’étais plutôt fière de moi.

 

  A dix-neuf heures, la famille Mallard arriva et nous les accueillîmes poliment. Puis, alors que les adultes s’installaient pour prendre l’apéritif dans le salon, maman nous dit :

-    Les enfants, allez donc faire visiter la maison à Aline, Annette et Evelyne. Ensuite, vous pourrez jouer tous ensemble dans la salle de jeux !

-    D’accord, maman ! répondirent Léonie et Gabrielle.

Mes sœurs prirent leur rôle de guide très au sérieux, montrant chaque pièce de la maison à Evelyne et ses sœurs. Une fois que nous arrivâmes tous les dix dans la salle de jeux, Aline s’exclama :

-    Votre maison est vraiment immense !

-    C’est parce que nos parents sont très riches, dis-je. Contrairement aux vôtres.

Une première petite réflexion de ma part dont j’étais très fière. Mais Rose me reprit immédiatement :

-    Lili, ça ne se fait pas de dire de telles choses !

-    Pourquoi, puisque c’est la vérité ? demandai-je.

-    Parce que ça peut blesser les gens ! m’expliqua Rose.

-    Evelyne se fichait bien de me blesser, elle, lorsqu’elle m’a dénoncée à maman ce matin ! pestai-je. J’ai pris une fessée à cause d’elle !

-    J’en ai pris deux sacrées à cause de toi hier ! rétorqua Evelyne. Plus une gifle ! Je t’ai seulement rendu la monnaie de ta pièce !

-    Oh les filles, vous n’allez pas commencer à vous disputer ! intervint Léo. On est là pour s’amuser !

-    Je ne m’amuse pas avec les traîtres, moi ! dis-je.

-    Lili, ça suffit ! me gronda Rose. Tu fais immédiatement la paix avec Evelyne ou j’avertis papa et maman que tu n’es pas sage !

-    Très bien, admis-je. Viens Evelyne, on va faire la paix en priant dans la chapelle, comme ça le Bon Dieu verra que nous nous sommes réconciliées.

Sûrement à contrecœur, Evelyne me suivit jusque dans une pièce de la maison que l’on appelle « la chapelle ». Nous y faisons nos prières. Un autel y est installé avec des statues du Christ, de la Vierge et de quelques saints. Il y a également des cierges, des branches de rameau et plusieurs figurines représentant les anges. La croix du Christ surplombe le tout dans un vitrail que papa et maman ont fait faire sur mesure.

  Je me mis à genoux sur un prie-Dieu, Evelyne fit de même ; Mais le prie-Dieu que je lui avais indiqué était piégé : avec l’aide d’Augustin, j’avais fait exprès d’enlever quelques vis pour qu’il ne tienne plus en place. Au moment où Evelyne s’agenouilla, le prie-Dieu se cassa. Dans sa chute, le dossier alla se cogner contre la statue en porcelaine de Sainte Marie-Madeleine qui se brisa. Je m’empressai alors de courir à toute vitesse dans le salon, pour dénoncer aux adultes :

-    Papa ! Maman ! Evelyne a cassé un prie-Dieu et la statue de Sainte Marie-Madeleine !

Mes parents affichèrent des têtes à la fois offusquées et mécontentes.

-    Evelyne, descends immédiatement ! hurla Virgile Mallard.

Je vis descendre mon ennemie jurée à reculons. Elle entra dans le salon tête baissée. Je jubilai.

-    Que faisiez-vous dans la chapelle ?! demanda maman, tenant Madeleine, la petite sœur d’Evelyne, dans les bras.

-    Nous nous étions disputées et nous allions nous réconcilier devant le Bon Dieu, expliquai-je. C’est là qu’Evelyne a fait exprès de casser le prie-Dieu et la statue de Sainte Marie-Madeleine !

-    C’est faux ! protesta Evelyne. Je n’ai absolument pas fait exprès !

-    Bien sûr que si ! insistai-je.

-    Puisque tu es chez eux et que c’est à leur chapelle que tu as causé du tort, dit Eugénie à sa fille, c’est à Jean-Pierre et à Ariane de décider s’ils te punissent ou non !

Papa et maman se levèrent et montèrent à l’étage, sûrement pour constater les dégâts. Ils redescendirent quelques minutes plus tard. Papa attrapa ma pire ennemie par le bras. Maman le stoppa :

-    Jean-Pierre, arrête !

-    Evelyne est ma filleule ! Elle a fait une bêtise, elle a le droit à une fessée !

-    Le prie-Dieu était dévissé, plaida maman. Il aurait fini par casser un jour ou l’autre ! Ce n’est pas la faute d’Evelyne s’il s’est cassé !

-    En raisonnant comme cela, tu peux excuser toutes les bêtises du monde ! rétorqua papa. Je suis désolé mais tout cela mérite une fessée !

Evelyne reçut une bonne claque sur les fesses de la part de papa devant tout le monde. Elle pleura à chaudes larmes et je ne pus retenir un sourire en coin que ma mère aperçut tout de suite. Elle m’ordonna :

-    Alice, viens avec moi.

Le fait qu’elle m’appelle « Alice » et non « Lili » prouva que ça ne sentait pas du tout bon pour moi. Je la suivis sans dire mot. Nous traversâmes le couloir puis la bibliothèque pour atterrir dans la salle des devoirs. Elle ferma la porte derrière nous et me gronda :

-    Depuis quand te réjouis-tu du malheur des autres ?!

-    Evelyne a cassé la statue de Sainte Marie-Madeleine, elle l’a mérité ! rétorquai-je.

-    Tu crois que c’est à toi d’en juger ?!

-    Papa pense comme moi.

-    Ce n’est pas mon cas !

-    Je m’en fiche, dis-je avec audace. Elle m’a dénoncée ce matin et elle a cassé le prie-Dieu et la statue, elle n’est pas sage donc c’est normal que papa l’ait punie !

-    Parce que toi, tu es sage peut-être ?! Je me demande même si tu ne l’as pas aidée à casser ce prie-Dieu ! Car une enfant de cinq ans, seule, qui casse un prie-Dieu en bois, cela me paraît bien étrange !

-    De toute façon, tout est toujours ma faute avec vous !

-    Pas du tout, Alice ! Seulement tu es ma fille et je te connais par cœur ! Contrairement à ton père, j’ai bien conscience que tu n’es plus un bébé mais une petite fille et que tu es bien partie pour être encore plus chipie que Léonie et Gabrielle réunies ! Alors si tu as une bêtise à avouer, fais-le maintenant parce que je te jure que si je l’apprends par quelqu’un d’autre que toi ou le découvre par moi-même, ça ira mal !

-    Je n’ai rien fait ! protestai-je.

Ma mère m’attrapa le menton et me fixa de son regard bleu océan :

-    Tu me promets que tu n’as rien fait, Alice ?!

-    Oui maman, mentis-je. Je vous le promets.

-    Alors pourquoi ai-je retrouvé le tournevis de ton père dans ta chambre, tout à l’heure ?!

J’avais soigneusement remis le tournevis de papa dans sa boîte à outils. Impossible qu’il ait été dans ma chambre.

-    Il ne pouvait pas être dans ma chambre ! m’exclamai-je.

-    Pourtant, il y était ! insista maman.

-    Alors quelqu’un l’y a mis là car je n’y ai pas touché ! feignis-je. D’abord, je ne sais même pas ce que c’est, moi, un tournevis !

Maman me lâcha le menton. Elle commençait à me croire. Il faut dire que j’avais merveilleusement bien menti.

-    Très bien, excuse-moi, ma Lili. Retournons dans la salle à manger, nous allons passer à table.

 

Durant le repas, Evelyne me fusillait du regard. J’étais assise en bout de table, elle à ma gauche.

-    Tu vas me le payer, Letilleul ! Je te jure que tu vas me le payer ! me cracha-t-elle.

-    Tente quoique ce soit ce soir ou n’importe quand et je m’arrangerai pour qu’un de mes parents ou de mes frères et sœurs soit là pour le voir. Les Letilleul sont plus nombreux et plus riches que les Mallard, Evelyne. Mets-toi ça dans le crâne.

-    Que dis-tu ma Lili ? demanda mon père, me voyant chuchoter à l’autre bout de la table.

-    Que le repas que maman a préparé est très bon ! Bravo, maman !

-    Tu as raison, mon bébé. Ta mère fait vraiment des merveilles en cuisine ! Mais ce n’est pas seulement pour ça que je l’ai épousée !

Les adultes rirent. Gabrielle, assise à ma droite, me chuchota à son tour :

-    Avec moi, tu ne peux pas mentir : je vous ai vus faire Gus et toi avec le prie-Dieu !

Moment de panique. Mon cœur se mit à battre à cent à l’heure. Ma sœur reprit :

-    Ne t’inquiète pas, je ne te balancerai pas. Je voulais juste te dire « Bien joué ! ». Tu remontes dans mon estime, petite sœur. Tu es enfin digne d’être une Letilleul. Et Gus aussi !

Gaby et moi nous échangeâmes un sourire qui me réchauffa le cœur.

 

  Après le repas, Evelyne et moi nous assîmes dans un coin de la salle à manger et jouâmes aux cubes en compagnie de Jacques et Clément.

-    Laisse-moi jouer avec ce cube, Alice ! m’ordonna Evelyne après avoir repéré mon cube préféré.

-    C’est mon préféré, il n’y a que moi qui ai le droit de jouer avec ! répondis-je.

-    Oui, expliqua Clément. Nous avons tous un cube que nous préférons et qui est à nous. Mais il y en a plein d’autres avec lesquels tu peux jouer !

En colère de ne pas avoir ce qu’elle voulait, Evelyne m’arracha mon cube des mains et en abîma une face.

-    Tiens ! Ton maudit cube !

-    Je vais le dire ! annonçai-je.

-    Tu ne pourras pas toujours être protégée par tes parents !! lança Evelyne.

-    Oh que si, elle le peut, dit Jacques.

-    Lili est la petite protégée, poursuivit Clément. Gare à quiconque l’importune !

Les larmes me montèrent aux yeux en voyant mon cher cube abîmé. J’eus envie de sauter à la gorge d’Evelyne et de l’amocher comme elle venait d’amocher mon jouet mais je trouvai cela plus judicieux de…

-    PAPA ! appelai-je en pleurant. PAPA, MAMAN ! Venez vite !

  Mes parents arrivèrent, Virgile et Eugénie essayant d’endormir Madeleine dans la chambre de Nono.

-    Pa…pa… ma…man…, Evelyne a… a… a… abîmé mon beau… mon beau cube ! Il est… devenu tout moche, maintenant !

-    Dis donc Evelyne ! gronda papa. La fessée que je t’ai donnée tout à l’heure ne t’a pas suffi ?!

-    Je n’ai pas fait exprès ! se défendit Evelyne.

-    Jacques, Clément, mes bons p’tits garçons, dit maman. Avez-vous vu ce qu’il s’est passé ?

-    Lili a interdit à Evelyne de jouer avec ce cube-là, car c’était son préféré, narra Jacques. Clément a expliqué à Evelyne qu’on avait tous notre cube préféré mais qu’elle avait le droit de jouer avec tous les autres ! C’est alors qu’Evelyne a arraché le cube de Lili de ses mains et l’a abîmé.

-    Mon pauvre cube, me lamentai-je. Il était si beau !

Maman s’assit sur le fauteuil près de la cheminée puis me prit dans ses bras pour me consoler. Tout en me caressant les cheveux, elle me promit que nous rachèterions un cube aussi beau que celui-là l’était. Quant à papa, il attrapa Evelyne et lui flanqua une déculottée si salée que le derrière d’Evelyne avait déjà viré au rouge vif avant la deuxième claque. Papa ne supporte pas la méchanceté gratuite et il la punit très, très sévèrement !

Lorsque Virgile et Eugénie revinrent dans la pièce et me virent toute pleureuse dans les bras de maman et leur fille les fesses à l’air, à la merci de la main de mon père, ils se demandèrent ce qu’il avait bien pu se passer. Maman leur narra toute l’histoire et à peine remise de la fessée de papa, Evelyne reçut un savon de sa mère.

-    Nous sommes vraiment, vraiment désolés, dit Virgile. Vous nous invitez très gentiment pour l’anniversaire d’Eugénie et nos enfants sèment la pagaille dans votre jolie maison… Nous sommes confus !

-    Virgile, nous avons dix enfants, dit papa. Ce soir, ils sont plutôt calmes mais il y a des soirs où ils tentent de nous faire perdre la raison ! Nous comprenons totalement ce que vous traversez !

-    Nous allons nous installer au salon pour boire un thé et nous détendre, dit maman.

Voyant bien que j’étais fatiguée, maman me garda dans ses bras au salon et continua à me faire des papouilles dans les cheveux alors que je tenais mon cube abîmé fort contre mon cœur.

Seule avec les adultes qui discutaient (bien que quelques minutes après notre arrivée, Clément vint se blottir dans les bras de papa), ce fût pour moi le moment d’en savoir plus sur Evelyne.

-    Nous ne savons plus quoi faire avec elle, dit Eugénie. Aline est vraiment la fille la plus parfaite que nous puissions avoir. Annette est parfois turbulente mais elle est quand même facile à vivre. Madeleine est encore un bébé, alors même si elle a un petit caractère, il est très facile à dompter. Mais Evelyne… Nous ne savons vraiment plus quoi faire.

-    Nous étions dans ce cas auparavant, avec Léonie et Gabrielle, avoua maman.

-    Comment avez-vous fait pour qu’elles deviennent sages ? demanda Eugénie.

-    Oh, elles ne sont toujours pas sages et elles ne le seront jamais ! admit papa. Nous nous sommes faits à cette idée ! Seulement, elles font quand même moins de bêtises – du moins, sous notre nez – car elles savent qui commande à la maison. Le secret : c’est l’autorité et la discipline. Si vos enfants craignent vos punitions, c’est avec cela qu’il faut les faire marcher. Nous avons beaucoup d’enfants et de neveux et nièces. Je n’en connais pas un seul qui n’ait pas la trouille de prendre une déculottée sur mes genoux ou une volée au martinet. Pas un seul !

-    Evelyne reçoit de temps en temps le martinet mais ce n’est pas pour cela qu’elle s’assagit ! dit Virgile.

-    Alors c’est que la correction n’est pas assez sévère, trancha papa d’un ton dur et ferme. Ariane et moi n’avons usé que trois fois du martinet avec nos enfants et nous n’avons jamais eu besoin de donner de gifle. Parce que je peux vous dire que les fessées que je donne laissent des séquelles ! Pas besoin de gifle ou de martinet pour ça ! Et si malgré tout ils recommencent, je recommence aussi ! Ariane et moi ne lâchons rien !

Blottie contre maman, je faisais mine de dormir pour que l’on m’oublie le plus vite possible.

-    Cependant, cela fait des lustres que nous n’avons pas eu besoin ne serait-ce que d’hausser le ton sur les deux premiers ! dit maman.

-    C’est vrai, j’estime que c’est une preuve que nous avons fait du bon travail avec leur éducation, même si nous y avons laissé beaucoup d’énergie ! dit papa. Nos aînés sont studieux et respectueux ! Lorsque nous pourrons dire cela de nos dix enfants, nous aurons réussi notre pari !

-    Vous avez bien raison ! dit Eugénie. Je vous admire d’avoir une telle philosophie de vie et une telle application dans l’éducation de vos enfants.

-    En parlant d’éducation, dit maman. Virgile, Eugénie. Jean-Pierre et moi voulions vous parler de quelque chose.

-    Oui ?

-    Nous connaissons un jeune qui sort tout juste du lycée, Hubert Mélon, expliqua maman. Il a eu son bac il y a quatre mois et souhaite travailler dans l’agriculture. En attendant d’avoir de l’argent pour s’acheter sa propre ferme, il cherche du travail et nous nous sommes dit que peut-être, vous pourriez l’embaucher. C’est un jeune très recommandable et bien sous tous rapports !

-    C’est très gentil de proposer, dit Virgile, mais nous avons déjà Aline qui nous aide beaucoup à la ferme.

-    Justement, coupa maman. Aline a de très bonnes capacités scolaires et cela m’embête qu’elle ne poursuive pas ses études à cause de votre situation financière. Si vous embauchez le jeune Hubert, Jean-Pierre et moi nous engageons à inscrire Aline dès cette semaine dans le même Pensionnat qu’Aliénor afin qu’elle reçoive un enseignement de qualité.

-    Mais, comment ferons-nous pour payer sa scolarité ? s’affola Eugénie.

-    C’est justement ce dont on vous parle, poursuivit papa. Vous n’aurez aucun frais de scolarité puisque nous les prenons à notre charge. Et nous nous engageons à faire de même avec Annette, Evelyne et Madeleine lorsqu’elles en auront l’âge, ainsi que les éventuels enfants que vous pouvez encore avoir. Ainsi, elles pourront choisir, soit de reprendre la ferme, soit de continuer leurs études. Qu’en dîtes-vous ?

-    C’est très gentil, dit Virgile, mais nous ne pouvons pas accepter. Vous avez dix enfants à charge et payer la scolarité de nos quatre filles, cela vous coûterait une fortune. Nous ne pouvons pas accepter…

-    Mais c’est le cadeau d’anniversaire d’Eugénie, annonça maman. Donc vous ne pouvez absolument pas refuser. Nous avons tellement d’argent que nous n’aurons pas assez de nos vies pour le dépenser. Alors laissez-nous faire le bien autour de nous.

Eugénie et Virgile, pleins d’émotions, ne surent que répondre. Bien sûr qu’ils acceptaient l’offre de mes parents ! Surtout qu’Eugénie annonça juste après qu’elle était enceinte ! Elle savait donc que l’avenir de tous ses enfants, y compris de celui qui était en cours de fabrication, était assuré.

 

  Je n’entendis pas la suite de la conversation car, toujours blottie dans les bras de maman, je m’endormis.

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                  Il paraît que c’est cela que l’on appelle « avoir sacrément merdé »…                     Lorsque ma mère était enceinte de ma sœur et moi, ce fut une grossesse difficile : déni de grossesse les quatre premiers mois, puis perte de ma jumelle. A six mois et demi, s’ils voulaient me donner une chance de vivre, il fallait accoucher ma mère.                   L’une des grosses conséquences de cette naissance très prématurée : de nombreuses malformations dues au fait que mes organes n’ont pas eu le temps de se placer correctement. Si la plupart sont bénignes, en revanche ma malformation intestinale pose problème. J’ai ce qu’on appelle un « mésentère commun complet ». Une malformation inte...

Journal d'une étudiante accueillie (Chapitre 26)

  Mercredi 9 octobre 2019.                   Pas de grasse matinée ce matin : Héloïse nous réveilla à neuf heures pour que nous puissions travailler un peu sur nos cours. J’étais grognon au possible en me réveillant, comme cela m’arrive rarement. En m’asseyant à table au petit déjeuner, je fus agacée par Anaïs, toujours pleine d’énergie et en forme le matin. Je déteste les gens du matin. Ou les gens. Ou le matin.                   Après m’être préparée et habillée pour la journée, je remontai dans ma chambre et me sentis toujours aussi grognon. Je ne savais pas encore pourquoi mais j’avais l’impression que cette journée allait être désagréable au possible. Personne n’avait intérêt à me voler dans les plumes : je m’étais levée du pied gauche !          ...

Nouvelle rentrée, nouvelle vie ! (Chapitre 17)

 Ce chapitre a été écrit par Marie, une fan du blog. Malgré mes quelques commentaires et réécritures, elle a fait un excellent travail ! Bravo à elle ! Mardi 17 septembre 2019.   Lorsque Monsieur Éric toqua à la porte pour nous réveiller, j’étais très motivée pour me lever (ce qui est très rare !). Aujourd’hui sera une belle journée : d’abord parce que le mardi reste la meilleure journée de la semaine grâce à Madame Kelly, la prof la plus adorable du Pensionnat ; ensuite parce que j’ai réfléchi à un plan pour me venger de Monsieur Jean et de Monsieur Nicolas. Ce sera discret (enfin autant que faire se peut), rapide et efficace. Je sais bien que lorsque nous nous ferons attraper la punition sera salée ; mais je ne supporte pas l’idée de laisser croire à nos professeurs qu’ils ont tout le pouvoir (même si ce n’est peut-être pas tout à fait faux). Pour mener à bien mon plan, il me faudrait l’aide de mes amies. Je vais tout faire pour les convaincre de me...