Lundi 24 mai
2021
Deux semaines ont passé depuis la volée mémorable de
ma sœur. Si je croyais que Judith se calmerait après avoir été punie par papa,
je me trompais : ma nouvelle grande sœur s’attelait désormais à faire de
nos vies un véritable enfer.
Notre classe est désormais
divisée en deux : d’un côté il y a Haley, Meredith, June, Beverly,
Hermione, Trent et moi. De l’autre, il y a tout le reste de la classe. En peu
de temps, Judith est devenue l’une des filles les plus populaires du lycée et a
réussi à rallier tout le monde à sa cause.
Valentin et Kathleen sont partis depuis hier soir :
ils ont décidé de passer deux semaines en amoureux à l’autre bout du pays, en Floride.
Ils ont donc laissé la maison à Manon et Romain, en espérant qu’elle soit
encore en un seul morceau lorsqu’ils reviendront dimanche prochain.
Une fois mon réveil éteint, je passe chercher Trent
puis nous nous rendons dans le séjour pour prendre notre petit déjeuner. A peine
arrivés dans la pièce, nous sommes assaillis de bruit : une dispute entre
Romain et Harry. Loli, en train de faire des pancakes, feint d’ignorer ce bruyant
désaccord ; elle nous fit un sourire et nous invita à nous asseoir pour
déjeuner. Malgré notre présence, la dispute ne cessa pas :
-
Loli n’est pas ta boniche ! gronda Romain à
Harry.
-
A quoi ça sert d’avoir une femme de ménage alors ?!
-
A nous aider ! s’emporta Romain. Ce n’est
pas pour ça que tu dois tout dégueulasser ! Alors tu vas me faire le
plaisir de ramasser ton linge sale et de le mettre dans la panière comme tout
le monde !
-
Est-ce que vous pourriez arrêter de crier dès le
matin ? demandai-je calmement.
-
T’as qu’à le faire, toi, mettre le linge sale
dans la panière ! continua Harry en ignorant totalement ma réplique.
-
J’te préviens, Harry : si ton linge n’est
pas dans la panière quand j’ai fini de déjeuner, je t’en colle une ! Je
vais te faire regretter d’être né !
Harry se figea. Lui et sa sœur
ne savent pas (encore) ce que c’est que de recevoir une fessée. Non sans se
démonter, il céda :
-
C’est bon, j’vais l’faire ! Pas la peine de
t’exciter !
-
Et tu m’parles autrement ! J’suis pas ton
pote !
-
Ouais ben j’ai pas demandé à avoir un grand frère !
rétorqua Harry.
-
J’ai pas demandé non plus à t’avoir ! J’étais
déjà très bien avec deux sœurs, on m’en a rajouté deux autres en plus de deux
frères ! J’ai ma dose !
Manon nous rejoignit encore un
peu endormie. Elle demanda :
-
Qu’est-ce qui se passe ici ?
-
Les p’tits qui commencent à ne pas vouloir obéir,
narra Romain. Mais j’te garantis que tout le monde va filer droit durant ces
deux semaines ! Hors de question qu’ils me les brisent !
-
Hey, on n’a rien fait, nous ! me
défendis-je.
-
Y’a intérêt ! me prévint Romain. En l’absence
de papa et Kathleen, il y aura une organisation militaire et aucune dérive !
Ils étaient déjà pas très rassurés de laisser leur maison à sept jeunes
adultes, je ne compte pas les décevoir !
Trent et moi nous regardâmes. Ça
annonçait la couleur… Nous allions avoir vite hâte que papa rentre !
-
Vous avez cours à huit heures et demie ?
nous demanda mon grand frère.
-
Oui, répondis-je.
-
J’peux savoir où sont Judith et Hermione ?!
-
Hermione est sous la douche, répondit Manon. Et
je crois que Judith dort encore.
-
Si elle est en retard en cours, j’la tue ! annonça
le flic.
-
J’vais aller la réveiller, se décida Manon.
Romain nous
déposa au lycée. Mis à part Trent, Hermione et moi qui subissons cet enfer,
aucun membre de la famille n’est au courant de ce que Judith et sa clique nous
font subir. Nous avons pris la décision de ne pas les mettre dans la confidence :
cela empirerait les choses. Nous passerions pour des balances et l’enfer se
transformerait en damnation.
Nous nous
assîmes en sciences tous les sept et le reste de la classe se mit à rire. Beverly
me regarda et me demanda :
- Qu’est-ce qu’ils ont encore ?
-
Aucune idée, dis-je.
Ce fut à la fin du cours que
nous comprîmes ce qui se passait : nous étions tous les sept collés à nos
chaises.
-
Ben alors, vous ne venez pas ? nous lança Judith
avant de quitter la pièce en riant.
Je me sentais humiliée et en
colère. J’avais littéralement envie la tuer.
Nous eûmes du mal à nous
libérer : sous l’emprise de la colle très forte qu’ils avaient appliquée,
nos vêtements furent abîmés voir déchirés. Nous dûmes sécher le début du cours
suivant pour rentrer chez nous, nous changer. Puisque nous arrivâmes en retard
en cours d’anglais, la prof nous fila une heure de colle. Nous serrâmes les
dents et acceptâmes la sanction sans rien dire : nous ne voulions pas que
nos familles s’en mêlent. L’année serait bientôt terminée, nous n’aurions plus
longtemps à tenir.
Néanmoins, je me dis que ça
allait être de plus en plus compliqué lorsque je reçus un texto de Romain :
Retard en cours
+ heure de colle. Bravo. On règlera ça ce soir.
-
Vous l’avez reçu aussi ? demandai-je à
Trent et Hermione.
Ils acquiescèrent. Hailey s’énerva :
-
Vous n’allez pas continuer à vous faire punir à
la place de Judith, quand même ! C’est n’importe quoi ! C’est elle
qui devrait prendre les roustes que vous prenez !
-
Reste en dehors de ça, dit Trent.
Nous n’eûmes pas le temps de
finir notre discussion : la mère de Beverly débarqua à la cafétaria et
s’assit à notre table. Sans mot dire, elle mit son smartphone sous le nez de sa
fille pour lui montrer le mail reçu par le lycée. Puis, elle dit :
-
Ce n’est vraiment pas ton genre d’agir ainsi, ma
fille ! Alors tu vas m’expliquer ce qui se passe, et tu vas me l’expliquer
maintenant !
Nous fûmes six à être en
stress que Beverly ouvre la bouche. Nous ne pouvions pas l’empêcher de parler ;
seulement, nous savions que cela allait aggraver les choses.
Soudain, Beverly fondit en
larmes et raconta tout à sa mère :
-
Ils sont horribles, maman ! Ils nous
insultent en plein cours – et les profs ne disent rien ! -, ils mettent de
la colle forte sur nos chaises, des pommes pourries dans nos sacs de cours, ils
nous font des crochepieds, …
Beverly racontait tout à sa
mère, de A à Z. A l’autre bout de la cafétaria, Judith et sa bande nous regardaient
d’un mauvais œil.
D’un côté, j’étais soulagée que Beverly déballe tout :
nous aurions enfin un adulte avec qui partager ce fardeau. D’un autre, j’appréhendais
déjà la tournure que les évènements allaient prendre : les représailles
promettaient d’être salées.
Lorsque mon amie eut fini son récit, sa mère prit
quelques instants de silence avant de déclarer :
-
Bien. Je vais de ce pas aller en parler à vos
parents et nous allons trouver une solution.
Nous protestâmes, essayant de
l’en dissuader et lui disant que les représailles seraient horribles ;
mais elle ne nous écouta pas et tenta même de nous rassurer, nous disant que
nous avions les adultes de notre côté et que tout irait bien.
Lorsque nous rentrâmes du lycée à 15h30, les adultes
étaient réunis dans notre séjour : il y avait la mère de Beverly, le père
de June, les parents de Meredith, ceux d’Hailey, et puis Romain et Manon. Sur
le grand écran de télé, papa était également là en visioconférence. Ils
cherchaient à s’accorder pour éviter que nous vivions un enfer plus chaud qu’actuellement.
Nous prîmes part à la conversation et cela nous soulagea grandement : nous nous sentions soutenus pour la première
fois depuis deux semaines.
Lorsque tout le monde fut parti, Romain et Manon nous
demandèrent pourquoi nous n’avions pas parlé plus tôt.
-
Nous craignions que ce soit pire, dit Trent.
-
Et aussi…que vous ne nous croyiez pas, ajouta
Hermione.
Manon nous montra le pantalon
déchiré de Trent, trouvé dans la poubelle.
-
Vous croyiez sincèrement que nous n’allions pas
vous croire ?! Ce manque de confiance mériterait justement une fessée !
Nous sommes vos grands frère et sœur ! Vous devez avoir confiance en nous !
A ce moment précis, la porte
de la maison s’ouvrit : Judith rentra.
-
C’est à cette heure-ci que tu rentres ?! lui
aboya Manon.
-
J’étais partie bosser avec mes amis à la
bibliothèque, inventa Judith.
-
T’as demandé la permission à qui ?! demanda
Romain.
-
A papa, répondit Judith avec aplomb.
-
Ça, ça m’étonnerait ! dit Manon. Il nous l’aurait
dit !
-
Il a sûrement oublié, rétorqua Judith.
-
Tu aurais dû rentrer il y a une heure, gronda
Romain. Tu n’as aucune excuse, Judith !
-
Oh lâche-moi, c’est bon ! On ne va pas en
faire un fromage ! Bon, on mange quoi ce soir ?
-
Toi, tu vas commencer par te manger une fessée
carabinée ! gronda Manon en fonçant sur notre sœur.
Depuis la volée mémorable que
lui avait flanqué papa, Judith craignait de recevoir une nouvelle fessée. Vu le
niveau de colère de Romain et Manon, à sa place, je craindrais aussi !
Judith passa beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps
sur les genoux de Manon, puis de Romain. Sans mentir, je dirais qu’elle a passé
une heure à se faire punir. Il y a eu plusieurs passages au coin mais elle en a
quand même pris pour son grade. Mon frère et ma sœur se relayaient : main,
puis martinet, puis re-main, puis paddle en bois, puis ceinture, puis re-main… Avant
de commencer, ils avaient promis à Judith qu’elle ne pourrait plus s’asseoir après
tout le mal qu’elle nous avait fait : je crois que la mission était
largement accomplie ! J’avais un énorme sentiment de justice.
-
Plus de téléphone pendant six mois ! annonça
Romain.
-
Et plus d’ordinateur non plus ! ajouta
Manon. Tu prendras l’ordinateur fixe de la maison si tu as besoin d’effectuer
des recherches pour l’école !
-
Papa te flanquera une bonne fessée quand il
rentrera, poursuivit Romain. Mais il tient à ce que tu saches que si jamais il
y a des représailles auprès de Trent, Zoé et/ou Hermione, tu passeras l’année
prochaine en pension !
-
T’as même pas intérêt à leur refaire du mal, t’entends ?!
-
…
-
Est-ce que tu m’entends ?! insista Manon.
-
Oui, répondit Judith, la voix tremblotante.
Judith fut
privée de dessert et envoyée dans sa chambre. Romain et Manon profitèrent de
son absence pour nous passer un savon sur le fait que nous ne leur avions rien dit ;
nous n’avions plus intérêt à leur cacher quoique ce soit.
Avant de dormir,
Romain vint me dire bonne nuit. Il s’assit à côté de moi sur mon lit et me dit :
-
Je ne supporterai pas que quelqu’un te fasse du
mal. Et encore moins une nouvelle sœur débarquant de je ne sais où. Tu es mon
trésor, Zoé. Je tiens à toi plus que tout au monde. J’aime papa, j’aime Manon, j’aime
notre famille… Mais toi, c’est différent. Tu es mon diamant. Promets-moi que tu
me diras à chaque fois qu’il se passera quelque chose, à chaque fois que quelqu’un
te fera du mal. Promets-le-moi, Zo.
-
J’te le promets, répondis-je les larmes aux
yeux.
Romain m’embrassa longuement sur
le front puis me souhaita bonne nuit avant de me dire qu’il m’aimait.
J’allais fermer les yeux lorsque je reçus un texto :
Ça va mal aller
pour vous, bande de balances !
Aussitôt, les larmes coulèrent sur mes joues. Souhaitant
tenir ma promesse, je me levai de mon lit et sortis de ma chambre à la
recherche de Romain. Je le trouvai dans le salon, à jouer aux jeux vidéo avec
Manon.
-
Zo ? s’étonna Manon. Tu ne dors pas ?
Pourquoi tu pleures, ça ne va pas ma puce ?
Sans répondre, je leur montrai le texto.
-
On a pris son téléphone et son ordi ! s’exclama
ma sœur. Comment est-ce qu’elle a pu…
-
Je voudrais qu’on soit comme avant, pleurai-je.
Comme quand y’avait juste papa, Trent, vous et moi…
Romain se leva du canapé et me prit dans ses bras.
-
Ça va aller, mon p’tit cœur. Je te promets que
ça va aller.
Pendant que Manon me raccompagnait dans ma chambre, Romain
annonça qu’il allait parler à Judith.
J’étais
tellement stressée et angoissée que Manon dut me filer un cachet pour dormir. D’ailleurs,
elle resta dormir avec moi.
Demain, Trent, Hermione et moi devrons avoir un entretien en visio avec Valentin et Kathleen pour parler de la situation. J'espérai qu'ils puissent, même à distance, apaiser la situation.
A suivre…
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