Accéder au contenu principal

Un joli fantôme du passé. - Chapitre 31

 




Mercredi 22 septembre 2021.

 

                Il était quatre heures du matin et je n’avais pas dormi de la nuit. J’étais en colère contre mon père, contre Trent, et contre l’humanité tout entière. Je me sentais incomprise au possible.

Je m’assis douloureusement sur mon lit et réfléchis : que faire ? J’en avais plus qu’assez. Moi qui avais attendu toute ma vie d’être majeure pour être libre, je l’étais enfin. Pourtant, je continuais d’être privée de sortie et de prendre des fessées monstrueuses, tout ça parce que j’habitais encore sous le toit de mon idiot de père.

La colère submergeait tout mon être. Je pris alors la décision de faire ce que je savais faire de mieux : fuir.

 

                Je pris des affaires, mon téléphone, ma recharge, et piquai du liquide dans le coffre-fort de la maison. J’ouvris la porte de la chambre, ce qui réveilla Trent. Il me demanda sans ouvrir les yeux :

-          Tu vas où ?

-          Là où tu ne peux pas aller à ma place.

Il se rendormit. Je m’habillai dans la salle de bains, finalisai mon sac à dos et me rendis dans l’entrée. Sans un regard derrière moi, je désactivai l’alarme et sortis de la maison.

 

 

                En marchant vers je ne savais où, je fondis en larmes. J’étais en train de les quitter, tous. Papa, Romain, Manon, Trent, Meredith… et même Judith. Tout ça parce que j’avais pris une cuite dans un bar étudiant. Tout ça pour éviter d’être à nouveau fessée et privée de sortie. Cela en valait-il vraiment la peine ?

Je ne craignais pas d’être SDF. J’avais déjà dormi sous les ponts ou dans les cages d’escalier dès mon plus jeune âge. Cela ne me faisait absolument pas peur. La raison de mes pleurs était belle et bien de quitter tous ceux que j’aimais. De quitter mon train de vie de gosse de riche pour retourner à la rue. Peut-être qu’après tout, cela n’avait été qu’un rêve. Un doux rêve qui prenait maintenant fin. Je retournais à ma misérable vie.

 

                Il était maintenant sept heures du matin et mon téléphone sonnait sans cesse : la maisonnée s’était rendu compte de mon absence. Le registre d’appels était plein :

 

« Papa »

« Manon »

« Papa »

« Romain »

« Trent »

« Trent »

« Trent »

« Papa »

« Trent »

« Papa »

« Romain »

 

Chaque appel que je recevais était une déchirure mais je ne pouvais pas répondre. J’étais allée trop loin pour répondre maintenant. J’avais décidé de partir. C’était trop tard.

Pourquoi gardais-je mon téléphone allumé ? Peut-être parce que je voulais encore croire qu’on tenait à moi, que je n’étais finalement pas si seule et incomprise que ça. Néanmoins, je savais que Romain et Valentin avaient les moyens de me localiser si mon téléphone restait en ma possession. Je le jetai alors dans une poubelle à un arrêt de bus et montai dans le véhicule.

 

 

                Dix heures du matin. Mes larmes n’ont pas cessé de couler depuis mon départ de la maison. Le bus dans lequel je suis montée atteignit son terminus et le chauffeur me somma de descendre. Enfilant mon sac à dos, j’obéis. Je marchai plus d’une heure avant de trouver un pont qui me sembla être un bon abri. Je me rendis sous l’infrastructure et m’assis douloureusement par terre. Mes fesses étaient encore très douloureuses des deux derniers jours.

Epuisée, je m’endormis à même le sol.

 

 

                Je fus réveillée par une vieille dame qui semblait avoir une soixantaine d’années.

-          Jeune fille ! Jeune fille !

J’ouvris difficilement les yeux : mes larmes avaient séché et avaient formé des croûtes tout autour de mes cils. Je m’essuyai avec ma manche et regardai la dame. Elle me sourit.

-          Que voulez-vous ? lui demandai-je.

-          Je veux simplement t’aider, répondit-elle.

-          Je n’ai pas besoin d’aide, affirmai-je.

-          Ce n’est pas ce que le Seigneur m’a dit, m’annonça-t-elle.

-          Quoi ? ris-je. Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Bon, écoutez madame, les témoins de Jéhovah et compagnie, très peu pour moi. Personnellement, je n’y crois pas à votre Dieu, là. Alors maintenant, laissez-moi dormir.

-          Tu n’as pas besoin d’y croire, j’y crois bien assez pour nous deux ! sourit-elle.

-          Parfait ! tranchai-je. Bonne journée à vous !

En tournant la tête pour me rendormir, je vis que le soleil allait bientôt se coucher.

-          Avant de partir, dis-je à la vieille dame, pouvez-vous m’indiquer l’heure, s’il vous plaît ?

-          Il sera bientôt vingt heures, répondit-elle. Mais je n’ai pas l’intention de m’en aller. Pas sans toi. Je m’appelle Alma.

-          Zoé, répondis-je par politesse.

-          Eh bien Zoé, ce soir, tu vas dîner et dormir chez moi, annonça-t-elle.

-          Ça aussi, c’est votre Dieu qui vous l’a dit ? me moquai-je.

-          Exactement.

-          Merci, mais non merci.

-          Je ne partirai pas d’ici sans toi, Zoé.

-          Ecoutez, je n’ai pas quitté un milieu où on me faisait chier pour en trouver un autre, d’accord ?!

-          Je te demande simplement de venir dîner chez moi, et d’y passer la nuit. Demain matin, tu seras libre de t’en aller.

La nuit tombait et la proposition d’Alma était tout de même très alléchante. Je pris mon sac à dos et suivis la vieille dame.

 

                Nous arrivâmes chez elle en quelques minutes. Alma habitait seule dans une maison modeste. Elle était veuve et tous ses enfants avaient quitté la maison.

-          Tu aimes les lasagnes ? me demanda-t-elle une fois que nous fûmes toutes les deux entrées.

-          Oui, répondis-je.

-          Parfait. Installe-toi, fais comme chez toi. Tu peux poser tes affaires où tu le souhaites. Je suppose que tu as besoin d’aller aux toilettes : c’est la porte juste derrière toi.

Effectivement, je n’étais pas allée au cabinet depuis hier soir et je n’avais pas encore osé faire mes besoins dans la rue.


        Tandis que les lasagnes réchauffaient dans le four, Alma me fit visiter sa maison et me montra ma chambre pour la nuit. Ma maison me manqua instantanément. Je ne pus m’empêcher de me dire : « Putain, Zoé, qu’est-ce que tu as fait ?! ». Mais je pensai toujours qu’il était trop tard pour reculer.

                Alors que je défaisais mon sac à dos, j’aperçus le magazine « Business Plan » posé sur la table de nuit. C’était pile poil le magazine dont mon père faisait la une. Je décidai de ne pas m’énerver et de penser que c’était juste une coïncidence plutôt qu’un coup monté.

 

                Alma m’accueillit gentiment à sa table et récita une prière avant de commencer à manger. Quelque chose me disait que son truc de Dieu, ce n’était pas du chiquet.

-          Comment en es-tu arrivée à dormir dans la rue ? me demanda-t-elle d’emblée avant d’avaler une cuillère de soupe.

-         

-          Tu n’es pas une gamine de la rue, dit-elle devant mon silence. Crois-moi, j’en ai vu défiler, ici. Tes vêtements sont impeccables, tu sens bon, tu es bien coiffée, ta manucure est parfaite… Tu as dû partir de chez toi hier ou ce matin. Pourquoi as-tu fait ça ?

-         

-          Pour t’aider, il faut que tu me parles, Zoé.

-          Je ne vous ai rien demandé.

Elle regarda vers le ciel, comme si elle demandait à son Dieu de l’aider. Puis, elle reprit à mon intention :

-          Il y a des gens qui t’aiment et qui s’inquiètent pour toi. Tu es riche, Zoé. Tous tes vêtements sont de marque, y compris ton sac à dos. Qu’est-ce qui t’a conduit à te retrouver sous un pont ?!

-          Ma famille me traite comme une enfant, lâchai-je. Je ne suis plus une enfant. J’ai dix-neuf ans.

-          Quand tu parles de ta famille, tu parles…

-           …de mon père, dis-je. Mon grand frère, aussi. Ma grande sœur, c’est pareil. Quant à mon petit copain… Il me prend pour une irresponsable.

-          Je vois. Tu es la petite dernière de la famille.

Je tentais de me retenir un maximum mais il y avait quelque chose chez Alma qui me donnait envie de me confier.

-          Tu imagines comme ils doivent être morts d’inquiétude en ce moment-même ?

-          Ça leur passera, dis-je. Ils m’oublieront avec le temps.

-          J’ai perdu ma fille aînée dans un accident de voiture, me confia la vieille femme. Elle avait dix-sept ans. Pas un seul jour ne passe sans que je ne pense à elle. Pourtant, ça fait trente-trois ans.

-         

-          Pourquoi dis-tu que ta famille te traite comme une enfant ?

-          Mon père passe son temps à me punir !

-          A-t-il des raisons ?

-          Il veut que je lui obéisse et je refuse de le faire.

-          Il sait ce qui est bien pour toi.

-          Non !

-          Comment peux-tu en être sûre ?

Je racontai alors à Alma que nous avions été séparés pendant presque dix-sept ans et que, par conséquent, mon père ne pouvait pas me connaître comme un père lambda connaît sa fille.

-          Tu es vraiment certaine de ce que tu avances ? insista la veuve.

-         

-          Comment s’appelle ton père, Zoé ?

-          Si je vous le dis, vous vous ferez un malin plaisir de le contacter.

-          Je te promets que je ne ferai rien sans ta permission. Tu as ma parole.

-          Valentin Duhamel, dis-je.

-          C’est un nom qui me parle…

-          Normal, il fait la une du magazine qui est dans la chambre où je vais dormir…

-          Ah oui ! Voilà ! C’est un brillant homme d’affaires !

-          Un brillant homme d’affaires qui me frappe dès que je lui désobéis…

-          Il te frappe ?!

-          Oui.

-          Pourquoi n’as-tu pas prévenu la police ?

-          Mon frère fait partie de la police. Il cautionne. Toute la famille cautionne. Ils me frappent tous.

-          Est-ce pour cela que tu es partie de chez toi ?

-          Entre autres. Mon père avait promis de me refrapper demain, enfin…aujourd’hui.

J’étais tellement en colère contre ma famille que j’étais prête à les faire passer pour des personnes maltraitantes. Cependant, lorsqu’Alma débarrassa les bols de soupe et s’éclipsa dans la cuisine pour ramener le plat de lasagnes, je culpabilisai. Je dis alors à son retour :

-          Alma… Je ne suis pas battue, à la maison.

-          Pourtant, tu dis que toute ta famille te frappe…

-          Oui, avouai-je. Mais c’est toujours justifié. Et ça se limite à une fessée. J’ai déjà reçu une ou deux gifles de façon exceptionnelle mais…

-          Ah, c’est pour cela que tu te tortilles sur ta chaise, sourit Alma. Effectivement, cela me choque déjà beaucoup moins. Il est courant, dans les foyers américains, d’user de cette punition, même sur des enfants majeurs. Mon mari faisait de même avec nos enfants, à l'époque... Cependant, je croyais que les temps avaient changé. C’est à cause d’une fessée donnée par ton père que tu t’es retrouvée dans la rue ?

Maintenant qu’Alma le formulait ainsi, cela me semblait ridicule. Ma colère avait pris le dessus sur toute raison. J’étais complètement débile.

Posant ma fourchette sur le bord de mon assiette, j’essuyai ma bouche et demandai à Alma :

-          Je peux emprunter votre téléphone ?

 

A suivre…

Commentaires

  1. Je vous en supplie, ça fait 24h que je réactualise tout le temps pour voir s'il y a la partie 2 !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Elle est en cours d'écriture ! Elle sortira cette semaine :)

      Supprimer
  2. Vivement la deuxième partie !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Alors ? Qu'en avez-vous pensé ?

Les stars du blog :

Journal d'une étudiante accueillie (Chapitre 1)

Ça y est, nous y sommes. Mon pire cauchemar est arrivé. Monsieur X. a été élu à la Présidence de la République et il va appliquer son programme. Je m’appelle Marie, j’ai 18 ans, et je vais aller au bagne pour la première fois de ma vie. Enfin, au bagne... J'exagère légèrement. Je vais en fait aller en famille d’accueil, famille dans laquelle je vivrai la semaine ; je pourrai rentrer voir ma famille, dont l’homme de ma vie, le week-end. J’ai eu mon bac littéraire en juin dernier, mention très bien. J’ai décidé d’entamer une licence de Lettres afin de réaliser mon rêve : devenir professeure des écoles. Mais Monsieur le Président de la République l’a décrété : « Tous les étudiants de 18 à 25 ans seront accueillis en structure pour le bien de leurs études ». Pour le bien de nos études ? Pff, tu parles ! Encore des propos démagogues ! Alors me voilà inscrite à l’université Jules Verne de *****, dans laquelle je vais passer minimum trois ans, pour me former au métier de professeu...

Le tutorat de Little Princess (séance 3)

Comme vous avez pu le voir, j'ai changé le titre de cette rubrique. D'abord parce que je le trouvais trop long, ensuite parce qu'il devenait mensonger : Thomas n'est plus mon "nouveau" tuteur mais mon tuteur, tout simplement !   Nous ne nous étions pas vus depuis le lundi 7 décembre. Du 7 décembre au 6 janvier : un mois de « mise à l’épreuve » après la rouste de la dernière fois.   A peine deux jours après ce recadrage musclé, j’avais de nouveau testé Thomas, mais cette fois-ci je m’étais bien assurée que ce soit à distance. Jusqu’ici, toutes mes tentatives de rébellion avaient purement et simplement échouées, et j’en avais payé les frais. Restait ma toute dernière carte et j’hésitais vraiment à la jouer. Et puis tant pis, je me lançai.                 Depuis le début du semestre, ça ne passe pas avec ma prof d’histoire : je ne vous referai pas ici le récit de mon altercation v...

Le tutorat de Little Princess - Partie 3 (Préambule (3) - Et m*rde...)

                  Il paraît que c’est cela que l’on appelle « avoir sacrément merdé »…                     Lorsque ma mère était enceinte de ma sœur et moi, ce fut une grossesse difficile : déni de grossesse les quatre premiers mois, puis perte de ma jumelle. A six mois et demi, s’ils voulaient me donner une chance de vivre, il fallait accoucher ma mère.                   L’une des grosses conséquences de cette naissance très prématurée : de nombreuses malformations dues au fait que mes organes n’ont pas eu le temps de se placer correctement. Si la plupart sont bénignes, en revanche ma malformation intestinale pose problème. J’ai ce qu’on appelle un « mésentère commun complet ». Une malformation inte...

Nouvelle rentrée, nouvelle vie ! (Chapitre 17)

 Ce chapitre a été écrit par Marie, une fan du blog. Malgré mes quelques commentaires et réécritures, elle a fait un excellent travail ! Bravo à elle ! Mardi 17 septembre 2019.   Lorsque Monsieur Éric toqua à la porte pour nous réveiller, j’étais très motivée pour me lever (ce qui est très rare !). Aujourd’hui sera une belle journée : d’abord parce que le mardi reste la meilleure journée de la semaine grâce à Madame Kelly, la prof la plus adorable du Pensionnat ; ensuite parce que j’ai réfléchi à un plan pour me venger de Monsieur Jean et de Monsieur Nicolas. Ce sera discret (enfin autant que faire se peut), rapide et efficace. Je sais bien que lorsque nous nous ferons attraper la punition sera salée ; mais je ne supporte pas l’idée de laisser croire à nos professeurs qu’ils ont tout le pouvoir (même si ce n’est peut-être pas tout à fait faux). Pour mener à bien mon plan, il me faudrait l’aide de mes amies. Je vais tout faire pour les convaincre de me...

Journal d'une étudiante accueillie (Chapitre 26)

  Mercredi 9 octobre 2019.                   Pas de grasse matinée ce matin : Héloïse nous réveilla à neuf heures pour que nous puissions travailler un peu sur nos cours. J’étais grognon au possible en me réveillant, comme cela m’arrive rarement. En m’asseyant à table au petit déjeuner, je fus agacée par Anaïs, toujours pleine d’énergie et en forme le matin. Je déteste les gens du matin. Ou les gens. Ou le matin.                   Après m’être préparée et habillée pour la journée, je remontai dans ma chambre et me sentis toujours aussi grognon. Je ne savais pas encore pourquoi mais j’avais l’impression que cette journée allait être désagréable au possible. Personne n’avait intérêt à me voler dans les plumes : je m’étais levée du pied gauche !          ...