Mercredi 22
septembre 2021.
Il était quatre heures du matin et je n’avais pas
dormi de la nuit. J’étais en colère contre mon père, contre Trent, et contre
l’humanité tout entière. Je me sentais incomprise au possible.
Je m’assis douloureusement sur
mon lit et réfléchis : que faire ? J’en avais plus qu’assez. Moi qui
avais attendu toute ma vie d’être majeure pour être libre, je l’étais enfin.
Pourtant, je continuais d’être privée de sortie et de prendre des fessées monstrueuses,
tout ça parce que j’habitais encore sous le toit de mon idiot de père.
La colère submergeait tout mon
être. Je pris alors la décision de faire ce que je savais faire de mieux :
fuir.
Je pris des affaires, mon téléphone, ma recharge, et
piquai du liquide dans le coffre-fort de la maison. J’ouvris la porte de la
chambre, ce qui réveilla Trent. Il me demanda sans ouvrir les yeux :
-
Tu vas où ?
-
Là où tu ne peux pas aller à ma place.
Il se rendormit. Je m’habillai
dans la salle de bains, finalisai mon sac à dos et me rendis dans l’entrée.
Sans un regard derrière moi, je désactivai l’alarme et sortis de la maison.
En marchant vers je ne savais où, je fondis en
larmes. J’étais en train de les quitter, tous. Papa, Romain, Manon, Trent,
Meredith… et même Judith. Tout ça parce que j’avais pris une cuite dans un bar
étudiant. Tout ça pour éviter d’être à nouveau fessée et privée de sortie. Cela
en valait-il vraiment la peine ?
Je ne craignais pas d’être
SDF. J’avais déjà dormi sous les ponts ou dans les cages d’escalier dès mon
plus jeune âge. Cela ne me faisait absolument pas peur. La raison de mes pleurs
était belle et bien de quitter tous ceux que j’aimais. De quitter mon train de
vie de gosse de riche pour retourner à la rue. Peut-être qu’après tout, cela
n’avait été qu’un rêve. Un doux rêve qui prenait maintenant fin. Je retournais à ma misérable vie.
Il était maintenant sept heures du matin et mon
téléphone sonnait sans cesse : la maisonnée s’était rendu compte de mon
absence. Le registre d’appels était plein :
« Papa »
« Manon »
« Papa »
« Romain »
« Trent »
« Trent »
« Trent »
« Papa »
« Trent »
« Papa »
« Romain »
Chaque appel que je recevais
était une déchirure mais je ne pouvais pas répondre. J’étais allée trop loin
pour répondre maintenant. J’avais décidé de partir. C’était trop
tard.
Pourquoi gardais-je mon
téléphone allumé ? Peut-être parce que je voulais encore croire qu’on tenait
à moi, que je n’étais finalement pas si seule et incomprise que ça. Néanmoins, je savais que
Romain et Valentin avaient les moyens de me localiser si mon téléphone restait
en ma possession. Je le jetai alors dans une poubelle à un arrêt de bus et
montai dans le véhicule.
Dix heures du matin. Mes larmes n’ont pas cessé de
couler depuis mon départ de la maison. Le bus dans lequel je suis montée atteignit
son terminus et le chauffeur me somma de descendre. Enfilant mon sac à dos,
j’obéis. Je marchai plus d’une heure avant de trouver un pont qui me sembla
être un bon abri. Je me rendis sous l’infrastructure et m’assis douloureusement
par terre. Mes fesses étaient encore très douloureuses des deux derniers jours.
Epuisée, je m’endormis à même
le sol.
Je fus réveillée par une vieille dame qui semblait
avoir une soixantaine d’années.
-
Jeune fille ! Jeune fille !
J’ouvris difficilement les
yeux : mes larmes avaient séché et avaient formé des croûtes tout autour
de mes cils. Je m’essuyai avec ma manche et regardai la dame. Elle me sourit.
-
Que voulez-vous ? lui demandai-je.
-
Je veux simplement t’aider, répondit-elle.
-
Je n’ai pas besoin d’aide, affirmai-je.
-
Ce n’est pas ce que le Seigneur m’a dit,
m’annonça-t-elle.
-
Quoi ? ris-je. Qu’est-ce que c’est que ces
conneries ? Bon, écoutez madame, les témoins de Jéhovah et compagnie, très
peu pour moi. Personnellement, je n’y crois pas à votre Dieu, là. Alors
maintenant, laissez-moi dormir.
-
Tu n’as pas besoin d’y croire, j’y crois bien
assez pour nous deux ! sourit-elle.
-
Parfait ! tranchai-je. Bonne journée à
vous !
En tournant la tête pour me
rendormir, je vis que le soleil allait bientôt se coucher.
-
Avant de partir, dis-je à la vieille dame,
pouvez-vous m’indiquer l’heure, s’il vous plaît ?
-
Il sera bientôt vingt heures, répondit-elle.
Mais je n’ai pas l’intention de m’en aller. Pas sans toi. Je m’appelle Alma.
-
Zoé, répondis-je par politesse.
-
Eh bien Zoé, ce soir, tu vas dîner et dormir
chez moi, annonça-t-elle.
-
Ça aussi, c’est votre Dieu qui vous l’a
dit ? me moquai-je.
-
Exactement.
-
Merci, mais non merci.
-
Je ne partirai pas d’ici sans toi, Zoé.
-
Ecoutez, je n’ai pas quitté un milieu où on me
faisait chier pour en trouver un autre, d’accord ?!
-
Je te demande simplement de venir dîner chez
moi, et d’y passer la nuit. Demain matin, tu seras libre de t’en aller.
La nuit tombait et la
proposition d’Alma était tout de même très alléchante. Je pris mon sac à dos et
suivis la vieille dame.
Nous arrivâmes chez elle en quelques minutes. Alma
habitait seule dans une maison modeste. Elle était veuve et tous ses enfants avaient
quitté la maison.
-
Tu aimes les lasagnes ? me demanda-t-elle
une fois que nous fûmes toutes les deux entrées.
-
Oui, répondis-je.
-
Parfait. Installe-toi, fais comme chez toi. Tu peux
poser tes affaires où tu le souhaites. Je suppose que tu as besoin d’aller aux
toilettes : c’est la porte juste derrière toi.
Effectivement, je n’étais pas
allée au cabinet depuis hier soir et je n’avais pas encore osé faire mes
besoins dans la rue.
Tandis que les lasagnes
réchauffaient dans le four, Alma me fit visiter sa maison et me montra ma
chambre pour la nuit. Ma maison me manqua instantanément. Je ne pus m’empêcher
de me dire : « Putain, Zoé, qu’est-ce que tu as fait ?! ». Mais
je pensai toujours qu’il était trop tard pour reculer.
Alors que je défaisais mon sac à dos, j’aperçus le
magazine « Business Plan » posé sur la table de nuit. C’était pile
poil le magazine dont mon père faisait la une. Je décidai de ne pas m’énerver
et de penser que c’était juste une coïncidence plutôt qu’un coup monté.
Alma m’accueillit gentiment à sa table et récita une
prière avant de commencer à manger. Quelque chose me disait que son truc de
Dieu, ce n’était pas du chiquet.
-
Comment en es-tu arrivée à dormir dans la rue ?
me demanda-t-elle d’emblée avant d’avaler une cuillère de soupe.
-
…
-
Tu n’es pas une gamine de la rue, dit-elle
devant mon silence. Crois-moi, j’en ai vu défiler, ici. Tes vêtements sont
impeccables, tu sens bon, tu es bien coiffée, ta manucure est parfaite… Tu as
dû partir de chez toi hier ou ce matin. Pourquoi as-tu fait ça ?
-
…
-
Pour t’aider, il faut que tu me parles, Zoé.
-
Je ne vous ai rien demandé.
Elle regarda vers le ciel,
comme si elle demandait à son Dieu de l’aider. Puis, elle reprit à mon intention :
-
Il y a des gens qui t’aiment et qui s’inquiètent
pour toi. Tu es riche, Zoé. Tous tes vêtements sont de marque, y
compris ton sac à dos. Qu’est-ce qui t’a conduit à te retrouver sous un pont ?!
-
Ma famille me traite comme une enfant,
lâchai-je. Je ne suis plus une enfant. J’ai dix-neuf ans.
-
Quand tu parles de ta famille, tu parles…
-
…de mon père, dis-je. Mon grand frère,
aussi. Ma grande sœur, c’est pareil. Quant à mon petit copain… Il me prend pour
une irresponsable.
-
Je vois. Tu es la petite dernière de la famille.
Je tentais de me retenir un
maximum mais il y avait quelque chose chez Alma qui me donnait envie de me confier.
-
Tu imagines comme ils doivent être morts d’inquiétude
en ce moment-même ?
-
Ça leur passera, dis-je. Ils m’oublieront avec
le temps.
-
J’ai perdu ma fille aînée dans un accident de
voiture, me confia la vieille femme. Elle avait dix-sept ans. Pas un seul jour
ne passe sans que je ne pense à elle. Pourtant, ça fait trente-trois ans.
-
…
-
Pourquoi dis-tu que ta famille te traite comme
une enfant ?
-
Mon père passe son temps à me punir !
-
A-t-il des raisons ?
-
Il veut que je lui obéisse et je refuse de le
faire.
-
Il sait ce qui est bien pour toi.
-
Non !
-
Comment peux-tu en être sûre ?
Je racontai alors à Alma que
nous avions été séparés pendant presque dix-sept ans et que, par conséquent,
mon père ne pouvait pas me connaître comme un père lambda connaît sa fille.
-
Tu es vraiment certaine de ce que tu avances ?
insista la veuve.
-
…
-
Comment s’appelle ton père, Zoé ?
-
Si je vous le dis, vous vous ferez un malin plaisir
de le contacter.
-
Je te promets que je ne ferai rien sans ta permission.
Tu as ma parole.
-
Valentin Duhamel, dis-je.
-
C’est un nom qui me parle…
-
Normal, il fait la une du magazine qui est dans
la chambre où je vais dormir…
-
Ah oui ! Voilà ! C’est un brillant
homme d’affaires !
-
Un brillant homme d’affaires qui me frappe dès
que je lui désobéis…
-
Il te frappe ?!
-
Oui.
-
Pourquoi n’as-tu pas prévenu la police ?
-
Mon frère fait partie de la police. Il cautionne.
Toute la famille cautionne. Ils me frappent tous.
-
Est-ce pour cela que tu es partie de chez toi ?
-
Entre autres. Mon père avait promis de me
refrapper demain, enfin…aujourd’hui.
J’étais tellement en colère
contre ma famille que j’étais prête à les faire passer pour des personnes
maltraitantes. Cependant, lorsqu’Alma débarrassa les bols de soupe et s’éclipsa
dans la cuisine pour ramener le plat de lasagnes, je culpabilisai. Je dis alors à son retour :
-
Alma… Je ne suis pas battue, à la maison.
-
Pourtant, tu dis que toute ta famille te frappe…
-
Oui, avouai-je. Mais c’est toujours justifié. Et
ça se limite à une fessée. J’ai déjà reçu une ou deux gifles de façon
exceptionnelle mais…
- Ah, c’est pour cela que tu te tortilles sur ta chaise, sourit Alma. Effectivement, cela me choque déjà beaucoup moins. Il est courant, dans les foyers américains, d’user de cette punition, même sur des enfants majeurs. Mon mari faisait de même avec nos enfants, à l'époque... Cependant, je croyais que les temps avaient changé. C’est à cause d’une fessée donnée par ton père que tu t’es retrouvée dans la rue ?
Maintenant qu’Alma le
formulait ainsi, cela me semblait ridicule. Ma colère avait pris le dessus sur
toute raison. J’étais complètement débile.
Posant ma fourchette sur le
bord de mon assiette, j’essuyai ma bouche et demandai à Alma :
-
Je peux emprunter votre téléphone ?
A suivre…
Je vous en supplie, ça fait 24h que je réactualise tout le temps pour voir s'il y a la partie 2 !!!
RépondreSupprimerElle est en cours d'écriture ! Elle sortira cette semaine :)
SupprimerVivement la deuxième partie !
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