Vendredi 25 octobre 2019
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Je crois que je vais tomber amoureuse de Monsieur
Mickaël, me dit Mathilde en sortant du cours de littérature.
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Euh… Il est loin d’être beau… rétorquai-je avec une
pointe de dégoût.
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Il n’y a pas que la beauté physique dans la vie !
protesta Mathilde. Toi tu peux te permettre de viser l’élite : tu es une véritable
bombe ! Mais il y en a qui n’ont pas la même chance que toi ! Tu peux
aisément envisager de sortir avec Monsieur Matthieu ! Mais moi…
-
Pourquoi tu dis ça ?! aboyai-je, des sueurs
froides apparaissant dans mon dos.
-
Comme ça… répondit mon amie. Oh là là,
détends-toi ! Qu’est-ce que t’as aujourd’hui ?! T’as pas fait caca, c’est
ça ?!
-
Oh la ferme, lançai-je sans retenue.
Madame
Constance nous attendait de pied ferme dans sa classe d’histoire-géographie.
Elle nous passa un savon monumental à la suite des dernières notes et nous fit
bien comprendre que c’était la dernière fois que la classe aurait une moyenne
aussi lamentable. Avec mon 17,5/20 (pour lequel je gagnai une étoile), je ne me
sentis évidemment pas concernée. Mes résultats scolaires étaient jusqu’ici brillants
et je n’avais pas besoin qu’une vieille harpie vienne dire le contraire. Aux
autres, peut-être, mais certainement pas à moi.
Le cours de
philosophie avec Monsieur Yves fut agréable mais glacial. Pour entamer son
nouveau chapitre sur la nature, il nous emmena faire cours dans le parc. Un 25
octobre. La totalité du parc était certes ensoleillée mais il ne faisait que dix-huit
degrés, et à cause du vent qui soufflait, nous avons toutes dû assister au
cours avec nos manteaux.
A la fin du cours, Monsieur
Yves annonça :
-
Pour
vendredi prochain, vous allez me faire une dissertation ayant pour sujet « La
nature est-elle une illusion ? ». Evidemment, tout devoir non rendu équivaudra
à une heure de retenue accompagnée d’une fessée. Bon week-end à toutes !
Nous remballâmes nos affaires
et je courus aussitôt à mon cours de piano : j’étais en retard.
-
Pardonnez-moi pour le retard, Monsieur, Monsieur
Yves m'a retenue !
Par chance, Monsieur Alexandre
ne m’en tint pas rigueur et mon cours de piano se passa très bien. Mon professeur
trouva même que je m’étais améliorée.
En sortant de mon cours de musique, j’entrepris de me
diriger vers la salle des devoirs (Monsieur Alexandre m’avait informée que Manu
était souffrant et donc absent) lorsque j’entendis un bruit sous l’escalier du
bâtiment A. Curieuse, je m’avançai, ouvris la porte du placard et y découvris
deux étudiantes que j’avais déjà croisé auparavant : Abigaëlle et
Sophie. Elles étaient chacune en train de boire une bière. Elles s’y étaient installées
une véritable planque. On aurait dit un remix de Harry Potter : le
placard sous l’escalier transformé en planque pour élèves dépravées.
-
Tu ne vas pas nous dénoncer, hein ?!
paniqua Sophie lorsqu’elle vit que je les avais découvert.
-
C’est Clémence ! dit Abigaëlle. Ce serait
la dernière à nous balancer ! Tu veux t’asseoir et boire une bière avec
nous ?
-
Mais… C’est interdit… dis-je.
-
Ah toi ! Le dirlo et ses deux gorilles t’ont bien
retournée le cerveau ! s’exclama Abigaëlle. En revanche, si tu restes
comme ça, on va finir par nous voir ! Alors, soit tu te poses avec nous,
soit tu te barres !
Je ne sais quel élan malin me
tira à l’intérieur du placard sous l’escalier du bâtiment A. Sophie ferma la
porte derrière moi et je me retrouvai assise face à elles. Leur petite cachette
était une vraie mine d’or. Elles s’y étaient parfaitement installées avec des
tonnes de plaids et de coussins. Je me serais crue dans le stand d’un souk, au
Maroc. Sophie me tendit une bière après l’avoir décapsulée. J’hésitai, puis la
pris.
-
Vous n’allez pas en salle des devoirs ?
demandai-je innocemment avant que mes deux camarades explosent de rire.
-
Pourquoi faire ? Nous n’y allons jamais !
Depuis la rentrée, nous passons les heures d’études ici, toutes les deux.
-
Ils n’ont jamais demandé où vous étiez ?! m’étonnai-je.
-
Tu les as déjà vu faire l’appel à l’étude ?
Il est vrai que les
surveillantes n’avaient jamais vérifié notre présence durant les heures de
devoirs.
-
Mais, et si vous vous faîtes prendre… m’inquiétai-je
après avoir bu une gorgée de bière.
-
Notre piaule, c’est notre secret à nous, annonça
Abigaëlle. Personne – à part toi – n’a jamais su que cette cachette existait.
Tous les espaces sous les escaliers sont inutilisés. Ce sont des placards pour
la déco, si tu veux. Quand on l’a découvert, on a pris celui-là d’assaut. On l’a
nettoyé et on s’y est installées avec tout le confort que tu peux voir.
-
C’était quand ?! interrogeai-je, bouche
bée.
-
Le deuxième jour après la rentrée, répondit Sophie.
-
On se sent un peu comme des résistantes au
régime ! continua Abigaëlle. Tu sais, comme les opposants à Vichy durant
la Deuxième Guerre Mondiale !
Je ris.
-
Si un jour vous vous faîtes prendre… commençai-je.
-
On risque quoi ? demanda Abigaëlle avec
désinvolture. Une journée dans la salle grise ? Laisse-moi rire…
-
Pour dire ça, tu n’y es jamais allée ! lui
lançai-je.
-
On s’est toutes déjà fait défoncer quand on
était p’tites, nan ?! réagit Sophie. Moi, y’a une fois où j’suis rentrée
de l’école après avoir fait une sacrée connerie : mon père m’a collée une volée ! J’ai pas pu m’asseoir pendant trois jours et ensuite c’était
réglé, j’suis pas traumatisée pour autant… Alors leur salle grise, là…
-
Les filles, je vous promets qu’il faut le vivre
pour savoir, dis-je. Personnellement, j’ai pris au moins huit déculottées en
une journée dans cette salle. Elles ont pratiquement toutes été données par des
membres de la Direction. Je n’ai pas pu m’asseoir sans douleur pendant plus d’une
semaine. Je ne voudrais y retourner pour rien au monde…
-
J’ai déjà été dans la cellule, se vanta Abigaëlle.
Alors je répète que la salle grise ne me fait pas peur !
-
C’est quoi, la cellule ? demandai-je,
intriguée.
-
C’est un peu comme la salle grise mais t’es
seule, répondit Abigaëlle. C’est une salle au sous-sol avec une toute petite fenêtre.
Dedans y’a un lit, une table de nuit, un bureau et une chaise. Dans un petit
renfoncement, t’as une douche, un lavabo et des toilettes. Suivant le nombre d’heures
que tu as prises – moi, j’avais pris quarante-huit heures – tu restes enfermée
là-dedans. Y’a juste une surveillante qui t’apporte les repas et les devoirs. De
temps en temps dans la journée, t’as un membre de la Direction ou une
surveillante générale qui vient te flanquer une déculottée, histoire que t’aies
pas envie de recommencer. Pour en sortir, t’es obligée de montrer que t’as bien
fait tous les devoirs qu’ils t’ont amenés. Sinon, tu ne sors pas. Et il faut
aussi que t’aies bien retenu la leçon. C’est le Dirlo qui décide de te libérer
ou pas. J’ai la chance que ce soit tombé sur un week-end, du coup, j’avais pas les
cours à rattraper ! J’ai juste dit au Directeur ce qu’il voulait entendre
et basta !
-
Ah ! compris-je. C’est pour ça que tu n’étais
pas là à la sortie ?! J’ai pensé que tu étais malade…
-
Nan, j’étais en cellule. J’suis la seule de tout
le Pensionnat à y être allée, pour l’instant.
Encore quelque chose que je ne
connaissais pas sur cette école du malheur. Ils n’étaient effectivement pas au
bout de leurs ressources punitives. Et moi qui croyais que j’étais la plus
téméraire de tout le Pensionnat… Etait-ce parce que j’avais eu un traitement de
faveur que je n’étais pas encore allée en cellule ? Je ne pus m’empêcher
de dire :
-
Tout le monde n’arrête pas de me dire que je
suis une vraie terreur, pourtant je ne suis jamais allée en cellule…
-
Normal, tu es la chouchoute ! lança Sophie.
-
Quoi ?! dis-je, hébétée.
-
T’es la chouchoute de la plupart des adultes de
l’école ! renchérit Abigaëlle. Tu es la chouchoute de la Direction, ça c’est
clair et net ; et de certains profs aussi !
-
C’est impossible, dis-je. Je suis loin d’être sage
et je ne compte même plus le nombre de fessées que j’ai ramassées depuis la
rentrée !
-
Evidemment, ils ne vont pas te laisser faire n’importe
quoi, non plus ! dit Sophie.
-
Ça se sait entre nous, que tu es la chouchoute !
continua Abigaëlle. T’es casse-couilles mais t’es attachante, tu vois ?
En fait, t’es attachiante. Tu fais connerie sur connerie mais t’as de vraies valeurs
morales, t’es pratiquement toujours de bonne humeur et en plus de ça, t’es
archi-belle. Forcément que tu es la chouchoute de tout le monde ! C’est
vraiment dur de te détester ! Moi, j’ai dû faire les trois quarts de tes
conneries et pourtant, j’ai fait deux jours de cellule. Toi, t’en n’as fait
aucun.
Je gardai le silence. Ce que
venaient de me dire ces deux filles me bouscula. Moi ? Une chouchoute ?
-
Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez,
déclarai-je.
-
Adèle a entendu le Directeur et le D.-A. parler.
Le Directeur a dit : « Si c’est Clémence, ce n’est pas pareil. ».
Et le D.-A. a rétorqué : « Oui, si c’est Clémence, ce n’est pas
pareil. ».
Mais…enfin, d’où
sortaient-elles cela ?
Tout en buvant ma bière, je
réfléchissais à tout ça. Bizarrement, le fait d’être une chouchoute me réchauffait
le cœur.
-
J’aimerais bien savoir de qui je suis la chouchoute,
exactement ! dis-je.
-
Des trois membres de la Direction, on t’a dit !
répondit Abigaëlle. Du prof de musique, évidemment, et aussi de votre nouveau
prof de français, là. Le p’tit drôle !
-
Je peux aussi vous dire qu’il y en a qui ne
peuvent pas me piffrer ! rétorquai-je. Genre la prof d’histoire-géo !
Dès qu’elle peut me frapper avec sa règle…
-
Y’a aussi des profs qui ne supportent pas les
chouchoutes, continua Sophie en haussant les épaules. Mais tu t’en fous, t’as
la direction dans ta poche ! J’aimerais bien être à ta place !
-
Bon aller, faut que j’y aille, j’ai des devoirs
à faire, dis-je en vidant ma bière pour éviter de discuter sur ce sujet. Merci pour le coup et les infos !
-
Fais gaffe que personne ne te voit en sortant !
dit Sophie. Et prends un chewing-gum sinon ton haleine va te trahir.
Je pris la gomme qu’elle me
tendit et sortis de la cachette. Je marchai en direction de la salle des devoirs
lorsque je me trouvai nez à nez avec Monsieur Interminable.
-
Clémence ? Pourquoi n’es-tu pas en salle
des devoirs ?
-
Je suis allée aux toilettes, dis-je précipitamment.
-
Avec ton sac de cours ? s’étonna le D.-A.
-
Eh bien, j’ai mes… enfin, vous savez, quoi !
mentis-je.
-
Chaque élève a une pochette dédiée à cela, justement
pour éviter de trimballer votre sac en entier.
-
Oui mais je préfère quand même prendre mon sac…
Je n’ai pas envie que tout le monde voie que je vais changer de culotte de
règles en me voyant aller aux toilettes avec ma pochette !
Je vis Monsieur Lionel
ressentir une certaine gêne dont je me satisfis. Il se reprit néanmoins :
-
Pourquoi as-tu choisi les toilettes les plus
éloignées ?
-
Elles sont plus propres et plus confortables.
-
Voyez-vous cela…
-
Monsieur, dois-je m’entretenir avec vous au
sujet de mes toilettes préférées ? Vous y tenez vraiment ?
-
A vrai dire, non.
-
Puis-je aller faire mes devoirs ?
-
Allez-y.
-
Merci, Monsieur ! répondis-je en reprenant
mon chemin avec un grand sourire.
-
Vous ne vous en sortirez pas toujours aussi
bien, Clémence ! me lança Monsieur Lionel alors que je continuais de
marcher. Je suis persuadé qu’il y a des fessées qui se perdent !
Je ne répondis pas jusqu’à
atteindre la salle des devoirs.
Le soir, au dîner, nous étions punies : puisqu’une
élève n’avait pas terminé son assiette ce midi, nous n’avions pas le droit de
parler ce soir. On se serait crues dans un monastère. Si Monsieur Matthieu
entendait des chuchotements, il criait un : « SILENCE ! » retentissant.
J’attendis donc d’être sur le
chemin des appartements du Directeur pour tout raconter à Mathilde : la
cachette, la bière, la cellule et mon statut de chouchoute.
-
Bien sûr que tout le monde le sait, Clémence !
-
Bien sûr que tout le monde sait quoi ?
demanda Monsieur Éric en nous rejoignant.
Alors que nous nous taisions,
il nous ouvrit la porte et nous laissa entrer devant lui.
-
Alors ? Qu’est-ce que tout le monde sait ?
insista-t-il.
-
Que Clémence est la chouchoute des adultes, et
notamment de la Direction, répondit Mathilde avec courage.
Pris au dépourvu, Monsieur Éric
ne répondit pas tout de suite.
-
Qui ne dit mot, consent ! s’amusa Mathilde.
-
Tu te tais ! lui lança Monsieur Éric.
-
Si vous vous fâchez comme ça, c’est qu’elle a
raison ! dis-je pour soutenir mon amie.
- Bon, ça suffit ! coupa le Directeur. Au
lit, maintenant !
-
Mais, il n’est que 19h45 ! protestai-je.
-
Certes mais je vous ai assez vues pour aujourd’hui !
Vous pourrez discuter un peu une fois couchées mais pour le moment, je veux
vous voir au lit dans dix minutes ! Vite !
-
Mais pourquoi vous nous punissez alors que nous
n’avons rien fait ?! interrogeai-je avec colère. C’est injuste !
-
Tu veux que je te punisse réellement pour que tu
voies la différence ?! menaça Monsieur Éric.
-
Non ça ira, répondis-je.
Je pris une bonne claque sur
le derrière.
-
Ça ira, Monsieur ! me reprit-il. Répète !
-
Non ça ira, Monsieur, marmonnai-je avec mauvaise
foi.
-
Au lit ! Exécution !
Nous nous exécutâmes. J’étais
trop heureuse que le Dirlo ne fasse pas le récap’ de ma journée. Il devait être
au courant que Monsieur Lionel m’avait croisée dans les couloirs à l’heure où
je devais être à l’étude mais il ne me questionna pas là-dessus, je l’en remerciai
intérieurement.
- T'as vu, le Dirlo a presque confirmé que ton statut de chouchoute ! Et au fait : c’est absolument dingue cette histoire de cachette !
me dit Mathilde à voix basse, une fois que nous fûmes couchées.
-
Oui ! J’ai bien envie qu’on en crée une
rien qu’à nous, avouai-je.
-
Je n’osais pas te le proposer ! réagit ma
meilleure amie, ravie.
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On se choisira un placard demain alors ! proposai-je.
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Parfait ! Je marche à fond !
- Au fait, Mathilde... Est-ce que je peux te poser une question... Tu sais, par rapport à ce qui s'est passé hier... Le harcèlement , tout ça...
- Non, tu ne peux pas ! répondit mon amie, catégorique.
Je n'insistai pas pour aujourd'hui, me promettant de revenir à la charge.
A suivre...
Ah ! contente d'avoir des nouvelles de Clémence ... la suite promet d'être intéressante et des fessées ne vont sûrement pas tarder !
RépondreSupprimerComment vont-elles s'y prendre pour qu'on ne remarque pas leur absence ???
RépondreSupprimerJe suis très impatiente de découvrir la suite !
RépondreSupprimerMerci Little Princess !