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Journal d'une étudiante accueillie. - Chapitre 98

 


Mercredi 22 janvier 2020

 

       Pierre ne ressemblait pas du tout à ce que je m’étais imaginée. Déjà, je le trouvais vieux : il devait avoir environ soixante-dix ans, soit plus que mes grands-parents adoptifs. De plus, Pierre était plutôt maigre - si on omettait son léger ventre bedonnant ! – et s’appuyait sur une canne pour marcher. J’espérais d’ailleurs qu’il avait nettoyé cette canne en entrant dans la maison, sinon ma maniaque de mère allait vite piquer une crise dès son retour à la maison !

Pour résumer, Pierre n’était ni effrayant, ni impressionnant : au contraire, il paraissait même vulnérable et chétif.

-    Bonjour, lui dis-je en m’asseyant à table pour prendre mon petit déjeuner.

-    Bonjour, me répondit-il. Tu dois être Marie ! Ravi de faire ta connaissance.

-    De même, poursuivis-je sans honnêteté.

Je remerciai Assa qui déposa mon assiette sous mon nez et entrepris de croquer dans ma tartine grillée nappée de beurre et de confiture, lorsque Pierre – qui, jusqu’alors, se tenait debout dans la cuisine, planté comme un porte-manteau et s’appuyant sur sa canne - s’assit avec moi à table et souhaita faire la conversation.

-    Tes sœurs et ton frère sont déjà en train de faire leurs devoirs dans leurs chambres, il faudrait que tu te dépêches davantage pour ne pas prendre trop de retard.

-    On se détend, rétorquai-je après avoir avalé le contenu de ma bouche. Il n’est que neuf heures du mat’ !

-    Certes, mais tu es tout de même en retard.

-    Le mercredi est mon jour de repos, donc t’es gentil mais je me passerai de tes conseils, et j’irai à mon rythme ! m’exclamai-je sur un ton légèrement insolent.

Mon but était bien évidemment de savoir de quel bois ce fameux Pierre se chauffait. Après l’incompétence totale de Virginie, j’avais hâte de découvrir si notre nouveau baby-sitter était du même calibre que sa collègue. Maintenant qu’oncle Caleb était rentré chez lui, mes fesses – quoique très douloureuses en ce bon matin ! – ne risquaient plus grand-chose avant deux jours.

-    Marie, j’aimerais vraiment que tu me parles sur un ton moins insolent et que tu cesses de me tutoyer.

-    Et la marmotte met le chocolat dans le papier alu ! ris-je.

Pierre haussa les sourcils puis déclara :

-    Puisque tu viens de te réveiller, je comprendrais aisément que tu n’aies pas encore examiné en détails l’affiche figurant sur la porte du sellier.

Je levais les yeux et les écarquillai presqu’aussitôt. Ce que contenait cette affiche ne pouvait être qu’une véritable farce, n’est-ce pas ?

 

Barème en vigueur en cas de non-respect des règles.

Manque de respect et/ou insolence : 5 minutes de fessée déculottée à la main, sur les genoux.

Oubli d’un médicament (pour Louise et Marie) : 1 minute de fessée déculottée à la main, sur les genoux.

Mensonge : 30 claques debout sur les fesses nues.

Refus de travailler à la maison (devoirs) : 30 secondes de fessée déculottée à la main, sur les genoux.

Devoir(s) non fait(s) : 3 minutes de fessée déculottée à la main, sur les genoux.

Orange à l’école : 2 minutes de fessée déculottée à la main, sur les genoux.

Rouge à l’école : 2 minutes de fessée déculottée à la brosse, sur les genoux.

Dispute avec son frère et/ou sa sœur : 10 coups de paddle sur les fesses nues.

Désobéissance quelconque à un adulte : 50 claques debout sur les fesses nues.

 

-    Cette blague est vraiment très drôle ! lançai-je à Pierre en faisant mine de ne pas avoir été déstabilisée par la lecture de ce panneau de malheur. C’est bon, je ne marche pas. Vous pouvez l’enlever.

-    Je remarque quand même que tu es passée au vouvoiement, ce qui est une très bonne chose, remarqua Pierre d’une voix insupportablement calme et détendue. Et je te conseille vivement d’abandonner le ton insolent que tu utilises depuis tout à l’heure envers moi, sinon je serai obligé d’appliquer le barème.

-    Vous croyez vraiment que vous allez pouvoir me mettre sur vos genoux pendant cinq minutes ?! demandai-je en tentant de me retenir d’exploser de rire. Sans vouloir vous manquer de respect, si je vous donne une pichenette, vous vous écraserez contre le mur du fond ! Physiquement, vous n’êtes clairement pas de taille à me maîtriser ! Vous me direz, ce sera quand même drôle de vous voir essayer…

-    Oh, parce que tu crois que je serai celui qui appliquera le barème ?! Non, bien sûr que non, ma grande ! Ton oncle passera ce soir à dix-huit heures, et demain, à la même heure. Et vendredi, ce sera avec tes parents que tu devras assumer tes bêtises. Moi, je ne fais que noter vos exploits dans mon téléphone ; et pour être sûr que cela ne passe pas à la trappe, j’envoie directement un message sur le groupe que nous avons en commun tes parents, ton oncle et moi. Ainsi, tout le monde est au courant en temps réel de vos manquements. C’est pour cela que je te demande de changer de ton, sinon je vais devoir envoyer un message dans le groupe…

Pierre attrapa son téléphone.

-    Non ! intervins-je. C’est bon, je vais changer de ton.

Tout à coup, avoir à faire à papa, maman et oncle Caleb ne me faisait plus rire du tout. J’avais assez morflé hier soir pour ne pas vouloir remettre ça ! Mes fesses étaient encore bien douloureuses et il était hors de question de recevoir une nouvelle fessée !

-    Donc, reprit Pierre en posant son téléphone sur la table, je répète que tu dois te dépêcher de déjeuner pour ne pas prendre trop de retard sur tes frère et sœurs.

-   

-    Je n’ai pas entendu ta réponse, Marie, insista le baby-sitter d’une voix toujours très calme.

-    Oui, répondis-je.

-    On dit : « Oui, Monsieur », me reprit Pierre.

-    Oui Monsieur, grommelai-je en serrant les dents.

-    Au fait, Marie, je me suis levé à sept heures ce matin pour m’assurer que tu prennes ton médicament mais… Je ne t’ai pas vue descendre.

-    Je vais le prendre maintenant ! rétorquai-je en peinant de plus en plus à masquer mon agacement.

-    C’était ce matin, à sept heures, que tu devais le prendre.

-    Je vais le prendre maintenant, c’est bon ! m’emportai-je.

-    Tu ne dois pas te déplacer pendant ton repas.

-    Eh bien apporte-le-moi maintenant au lieu de rester là à me reprocher de ne pas l'avoir pris !

La colère se faisait star en moi. Je ne savais pourquoi ce mec avait le don de m’irriter au plus haut point, et cela ne faisait que dix minutes que je le connaissais.

Pierre attrapa son téléphone et envoya un message. J’étais cuite. Oncle Caleb me refilerait certainement une trempe dès ce soir…

 

       Je finis mon petit déjeuner, pris mon médicament, puis montai dans ma chambre sans adresser un mot à Pierre. Je le détestais déjà.

       Durant la matinée, alors que je continuais de bosser sur mes cours, j’entendis Anaïs hurler contre, je le pensais, notre nouveau baby-sitter. Au moins, je ne serais pas seule à prendre une volée. Tout comme moi, une boule d’appréhension devait s’être formée dans le ventre de ma sœur en sachant ce qui l’attendait ce soir. Nous étions celles qui avions pris la plus grosse volée hier soir, et nous étions encore condamnées à une fessée aujourd’hui. Comment Mayeul et Louise faisaient-ils pour avoir un aussi bon self-control ?!

 

       Aux alentours d’onze heures et demie, Pierre entra dans ma chambre sans frapper – ce qui m’exaspéra ! – et vint vérifier mes devoirs. Il relut notamment mes exercices de grammaire avancée que j’avais d’abord rédigés au crayon à papier (n’étant pas sûre de moi) avant de repasser au stylo plume.

-    Ce n’est pas propre, trancha Pierre. On voit les traces de crayon, et la page est chiffonnée à cause des nombreux gommages. Tu recommences.

-    Pardon ?! m’étonnai-je.

-    Tu recommences ! insista-t-il en déchirant la page de mon cahier. Je veux quelque chose de propre.

-    Mais t’es un malade, toi ! m’énervai-je, ne tenant plus. Faut de faire soigner, hein ! Je ne recommence rien du tout !

-    Je sens que la fessée de ce soir va te faire du bien, Marie, dit Pierre en haussant un peu le ton. Elle va te remettre les idées en place !

Cette dernière phrase me fit me souvenir qu’oncle Caleb allait venir à la maison, et me fit prendre sur moi le peu de colère que j’arrivais encore à contenir. Je rêvais d’étriper ce vieillard boiteux ! Finalement, j’avais hâte que papa et maman rentrent de leur voyage et que tout redevienne comme avant !

 

       Le repas du midi se déroula dans une ambiance on ne pouvait plus tendue. Nous étions tous les quatre sur les nerfs à cause de « Papy Collabo » – comme l’appelait Louise ! – qui, pour le coup, arborait un sourire horriblement diabolique.

-    Anaïs, je souhaite que tu finisses ton assiette.

-    Je l’ai terminée, répondit ma sœur.

-    Non, il en reste un peu, remarqua Pierre.

-    C’est bon, il reste trois miettes !

-    Ce seront toujours trois miettes de gâchées si tu ne les manges pas.

-    Vous n’allez pas me prendre la tête pour trois miettes, quand même ?!

-    Je souhaite que tu finisses ton assiette, Anaïs. Ce n’est pourtant pas une demande complexe.

-    Non mais on dirait que vous faîtes tout pour me faire péter un câble ! tempêta ma sœur. D’abord ce matin, vous avez refusé que je prenne un bain parce que soit disant, j’allais prendre du retard sur mes devoirs, vous m’avez forcée à m’habiller « correctement » alors que je voulais rester en tenue décontractée car je ne sors pas de la maison le mercredi, vous avez déchiré en mille morceaux ma rédaction d’histoire parce que soit disant, la syntaxe n’était pas correcte et qu’il y avait des faits anachroniques, vous m’avez forcée à la réécrire au stylo-plume pour que ça fasse plus joli, et là vous me faîtes chier pour trois miettes ?! Putain, je vais vraiment finir par vous encastrer dans le mur, en fait !!

Au moment où Pierre attrapa son téléphone, Louise, Mayeul et moi sûmes que nous allions devoir gérer la crise de colère d’Ana pour qu’elle évite de s’attirer plus d’ennuis ; mais à peine avais-je mis ma main sur son avant-bras pour tenter de la calmer qu’elle se dégagea de ma main dans un geste brusque, se leva et fonça sur notre baby-sitter. Pour la première fois depuis son arrivée, Pierre afficha un visage horrifié. Furieuse, et en proie à une véritable crise de colère, Anaïs s’empara du téléphone de Pierre et le jeta si violemment contre le mur que l’appareil s’y explosa. Pierre appuya alors sur le bracelet qu’il portait au poignet droit : un bracelet noir qui possédait un discret petit bouton rouge, à peine remarquable si l’on n’y prête pas attention.

-    Qu’est-ce que c’est que ce bouton ?! hurla Ana.

-    Je…

-    Qu’est-ce que c’est que ce putain de bouton ?!

Folle de rage, Anaïs attrapa Pierre par le col de son pull, le sortit de table et le plaqua contre le mur.

-    Ana, non ! criai-je en tentant de lui faire lâcher sa prise.

-    Ana, s’il te plaît, calme-toi ! tenta Louise qui commençait à pleurer.

Mayeul, lui, n’osait même pas parler. A mon tour, les larmes me montèrent aux yeux. Jamais je n’avais vu ma sœur dans une telle colère, proche de la folie. Son visage était déformé par la fureur, et elle maintenait Pierre si fort que je me demandais s’il arrivait encore à respirer !

Après nous avoir menacés de « nous exploser la tête » si nous intervenions, Anaïs continuait de hurler sur notre baby-sitter sans le lâcher. Assa, qui avait tenté d’intervenir, s’était prise un coup de coude qui lui avait ouvert la lèvre.

Louise, Mayeul et moi nous étions regroupés dans un coin de la pièce, effrayés à l’idée que les choses tournent encore plus mal. Je crevais d’envie d’appeler mon oncle pour qu’il intervienne : seul lui ou papa pourraient maîtriser aisément Anaïs ; mais oncle Caleb était au travail, et papa était à des centaines de kilomètres de la maison.

Louise et moi, qui étions cachées derrière Mayeul qui nous protégeait, pleurions à présent. Je voyais bien que derrière sa rage, Anaïs éprouvait une réelle détresse ; mais il était impossible pour nous d’intervenir sans dommages.

       Soudain, la porte d’entrée s’ouvrit et quatre policiers entrèrent dans la maison. Pierre afficha un visage – qui tournait au bleu ! – soulagé, et Ana lâcha sa prise, se rendant enfin compte de la gravité de ses actes. Elle fut vite maîtrisée par les forces de l’ordre et menottée. Mes larmes coulèrent de plus belle : qu’allaient-ils lui faire ?!

-    Ana ! criai-je sans pouvoir m’en empêcher. Ana !

Me dégageant de la protection de Mayeul, je me ruai sur ma sœur en pleurant ; mais un policier intervint :

-    Ecartez-vous, mademoiselle ! Nous ne vous voulons aucun mal !

-    Où emmenez-vous ma sœur ?! criai-je en tentant de résister à Louise qui m’avait attrapé le bras pour me faire reculer.

-    Nous l’arrêtons pour violence envers un fonctionnaire, me répondit le même policier. Elle sera incarcérée au commissariat en attendant de comparaître devant le juge pour enfants demain matin.

 

En quelques minutes, tout était fini. Anaïs avait été emmenée par les policiers, Pierre avait été transporté à l’hôpital par les secours qui étaient arrivés quelques minutes après la police ; et Assa, Mayeul, Louise et moi étions blottis les uns contre les autres, pleurant de tristesse et de choc.

Je me prenais ce régime dictatorial en pleine figure. Je me rendis compte que, jusqu’à maintenant, malgré les discours et les rumeurs entendus de toutes parts, je n’avais pas pris pleinement conscience du cauchemar dans lequel nous, les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, avions été plongés depuis cinq mois.

On me traitait désormais comme une enfant, mes droits d’adulte m’avaient été sauvagement retirés ; jusqu’à mes menstruations ! Je subissais des châtiments corporels de façon très régulière – et je bénis le Ciel en cet instant d’être tombée chez des gens aimants et bienveillants comme Michael et Scarlett, et non chez un psychopathe comme le père de Magdalena ! – ; on m’avait presqu’entièrement coupée de ma famille biologique que je n’avais maintenant le droit de voir que tous les mois et demi ; même mon petit ami, je ne pouvais le voir qu’à de rares occasions !

Un jour, après avoir déçu Michael, je m’étais enfuie ; et j’avais risqué de me faire arrêter pour désertion ! J’aurais pu finir en prison ! J’aurais pu finir dans ces horribles camps pour déserteurs, à me faire battre tous les jours, et enfermer dans des conditions sordides… Était-ce ce qui attendait ma sœur ? Anaïs venait d’être arrêtée ! Elle passerait devant le juge ! Qui sait ce qui l’attendrait ?! La retireraient-ils de notre famille ?!

-    Papa et maman ! dit soudainement Louise, la figure rouge et les larmes ruisselant sur ses joues. Ils… ils ne sont pas au courant !

-    Je les appelle tout de suite, dit Assa en sortant son téléphone de sa poche.

 

Tandis qu’Assa s’éclipsait dans la bibliothèque pour téléphoner à nos parents, Mayeul fonça sur la porte du sellier et, de colère, arracha l’affiche du « Barème en vigueur en cas de non-respect des règles. ». Tout en la chiffonnant, il maugréait :

-    Satané grand-père ! Vieux timbré ! Espèce de vermine dégénérée !

-    Ma mère biologique dit toujours qu’il faudrait tuer les vieux à la naissance pour éviter de payer les retraites, dis-je pour tenter de détendre un peu l’atmosphère, puisque mes larmes commençaient à se calmer.

-    Marie, ce n’est pas le moment ! me réprimanda Louise qui pleurait toujours abondamment.

Assa réapparut dans la pièce à vivre et annonça :

-    Vos parents rentrent.

-    Les pauvres ! sanglota Louise de plus belle. Pour une fois qu’ils prenaient des vacances, ça a tourné à la catastrophe !

-    Et cette fois, la bêtise d’Anaïs ne se règlera pas avec une simple fessée, ajouta Mayeul. Cette fois-ci, ça nous dépasse tous !

-    Tu crois que c’est la faute d’Anaïs ?! m’offusquai-je. Je crois plutôt que c’est la faute de ce Pierre à la noix ! C’est lui qui l’a poussée à bout !

-    Elle n’était pas obligée de péter un câble, précisa Louise.

-    Bien sûr que non, mais il était évident que ça arriverait un jour ! la défendis-je. Vous vous rendez compte des conditions dans lesquelles nous évoluons ?! Il était évident qu’un jour, quelqu’un pèterait un câble !

-    Mais ce pétage de câble va peut-être mettre fin à notre famille ! s’inquiéta Mayeul.

-    N’importe quoi, rétorquai-je. Ils peuvent peut-être nous retirer Anaïs mais ils ne vont pas tous nous retirer de chez Michael et Scarlett !

-    Et pourquoi pas ?! demanda Louise. Le juge pourrait estimer qu’ils ont failli à leur devoir en partant en vacances sans nous, et par conséquent leur retirer leurs droits parentaux !

-    Stop, stop, stop ! intervint Assa. Cessez de vous faire du souci. On ne va pas paniquer à l’avance. Pour le moment, il faut qu’on arrive à se changer les idées avant le retour de vos parents. Je vais vous emmener dehors, ça vous fera du bien.

-    Mais Assa, on est privés de sortie ! rappela Mayeul.

-    Je pense que pour une fois, vos parents feront une exception. Mettez vos manteaux.

 

Assa nous emmena voir le deuxième volet de Jumanji au cinéma, puis elle nous paya une gaufre et un chocolat chaud en guise de goûter dans le pub d’en face.

Lorsque nous rentrâmes à la maison, à dix-sept heures trente, notre demeure semblait bien silencieuse et l’ambiance demeurait pesante. Heureusement, les câlins de Paillette, Toulouse et Berlioz nous réconfortèrent un peu.

-    Allez vous doucher les enfants et vous mettre en pyjama pendant que je prépare à manger, nous demanda Assa.

-    Mais, papa et maman vont croire que nous n’avons pas été sages ! protesta Louise.

-    Je leur expliquerai pourquoi vous serez en pyjama, ne vous inquiétez pas.

Nous obéîmes à Assa.

Alors que je me prélassais sous la douche, mon cœur était tellement lourd que j’avais l’impression qu’il pouvait tomber à tout moment. Je pensais à Ana. Où était-elle ? Est-ce qu’elle allait bien ? Elle devait se sentir tellement, tellement seule…

 

       Notre merveilleuse surprise en descendant au rez-de-chaussée fut de voir papa et maman, se tenant debout au milieu de la pièce à vivre, en train de discuter avec Assa.

-    Maman ! Papa ! m’exclamai-je en leur courant dans les bras.

Pour le coup, j’avais vraiment l’air d’une enfant de huit ans, peut-être même cinq, mais je m’en fichais pas mal. C’était ce qu’on attendait de moi, après tout ! Et puis, je l’avais fait instinctivement, sans y réfléchir. Depuis qu’Anaïs avait été arrêtée, je rêvais de serrer mes parents dans mes bras et d’être rassurée sur son sort.

-    Ma chérie, me répondit maman en me serrant très fort contre elle. Tu vas bien ? Tu n’as rien ?

-    Je vais bien ! répondis-je en étreignant mon père qui me fit lui aussi un merveilleux câlin. Et Ana, comment va-t-elle ? Vous avez des nouvelles ? Si vous aviez vu comment ils l’ont arrêtée ! C’était horrible…

Les larmes me montèrent aux yeux et je vis que Scarlett était dans le même état.

-    Nous allons attendre ton frère et ta sœur, déclara Michael, et nous vous parlerons.

Louise et Mayeul ne tardèrent pas à descendre au rez-de-chaussée et à m’imiter en courant dans les bras de nos parents ; ce qui me surprit venant de la part de Mayeul qui était d’ordinaire plutôt introverti, et loin d’être tactile !

       Nous nous assîmes au salon, papa et maman, Assa, Louise, Mayeul et moi. Mon père commença alors :

-    Nous avons eu Hugues au téléphone qui nous a fait part de la version de Pierre. Ce qui est rassurant, c’est que la version de Pierre concorde avec celle qu’Assa nous a donnée au téléphone. Pierre n’en a donc pas rajouté. Néanmoins, Hugues nous a dit que l’arrestation d’Anaïs était un fait plutôt grave et qu’elle risquait gros.

-    Elle risque gros ? couina Louise. C’est-à-dire ?

-    Elle risque une peine de détention allant d’un à douze mois, répondit papa.

-    Et si elle tombe demain sur un juge peu coopératif, elle risque d’être envoyée en maison de correction jusqu’à sa majorité, poursuivit maman en laissant couler une larme sur sa joue.

-    Mais… Est-ce qu’il se peut qu’elle soit acquittée ? se renseigna Mayeul.

-    C’est très peu probable, répondit maman. Les charges retenues contre elle pèsent lourd.

-    Les enfants, continua papa, nous devons vous dire que… si Anaïs écope d’une condamnation quelle qu’elle soit, elle sera retirée de notre famille.

-    Quoi ?! m’exclamai-je. Mais pourquoi ?!

-    Parce que papa et moi ne sommes pas habilités à avoir des enfants considérés comme délinquants, expliqua Scarlett.

-    Et vous n’avez pas possibilité d’obtenir cette habilitation ? interrogea Louise. Qu’est-ce qu’il faut faire pour l’avoir ?

-    Il faut suivre une longue et intense formation, répondit papa, et à la fin de cette formation, on n’est même pas sûrs de décrocher le label. Ils ne prennent que des personnes bien spécifiques : des anciens du GIGN ou des militaires ayant fait la légion étrangère… C’est très, très sélect !

-    Mais… et nous, qu’est-ce qu’on va devenir ? pleura Louise.

-    L’avocat que nous avons embauché pour défendre Anaïs est le meilleur dans son domaine. Il nous a dit qu’en dehors du retrait de votre sœur de notre foyer, nous ne serions pas affectés outre mesure, expliqua papa.

-    En d’autres termes, continua maman, nous pourrons rester tous les cinq et… nous devrons tenter de reprendre le cours de nos vies.

Je n’arrivais pas à croire à ce qui nous arrivait. Comment avait-on pu en arriver là ?! Comment ?!

Papa et maman nous racontèrent ensuite qu’avant de rentrer à la maison, ils avaient pu obtenir un parloir avec Anaïs, qui était consciente de son sort et qui s’était résignée en disant que, de toute façon, vivre en famille d’accueil n’était pas fait pour elle.

Michael et Scarlett lui avaient promis de se battre pour elle autant qu’ils le pourraient, puis ils avaient pu contacter le Procureur de la République auquel ils avaient posé quelques questions.

 

 

       Peu avant le coucher, une grosse dispute éclata entre papa et maman, et Louise, Mayeul et moi.

-    Je veux aller au tribunal ! actai-je.

-    Non, tu iras à l’école, Marie ! insista papa.

-    On a le droit d’aller au tribunal ! protesta Louise. On a vu tout ce qui s’est passé, pas vous ! On peut leur dire, nous, que Pierre l’a poussée à bout !

-    Il est hors de question que vous loupiez l’école, les enfants, trancha maman. Fin de la discussion !

-    C’est injuste ! criai-je. Si vous n’aviez pas embauché ce taré, tout cela ne serait jamais arrivé ! Et en plus, vous vous empêchez d’aller soutenir notre sœur ?!

-    De toute façon, j’irai au tribunal, même si vous ne voulez pas ! tempêta Mayeul.

-    Ouais, on se débrouillera pour y aller ! continua Louise.

-    Bon, ça suffit, maintenant !!! hurla papa en tapant fortement du poing sur la table.

Mon frère, ma sœur et moi nous figeâmes.

-    Maman et moi savons que vous êtes très attristés par ce qui arrive à Anaïs, et nous vous laisserons le temps de faire votre deuil comme il faut ! Mais vous n’êtes pas demandés à la barre demain, donc vous devez aller à l’école, point final ! Votre mère et moi avons assez à gérer avec cette affaire pour que vous en rajoutiez ! Vous avez le droit d’être tristes et en colère, mais vous n’avez en revanche pas le droit de vous en prendre à nous ! Demain, vous irez à l’école ; et si j’entends un mot de plus sur cette histoire, vous allez tous les trois aller au lit avec une bonne fessée ! C’est clair, maintenant ?!

-    Oui papa, grommela Mayeul.

-    Louise ?!

-    Oui papa, répondit-elle.

-    Marie ?!

-   

-    Marie Webber ?! insista Michael en avançant d’un pas et brandissant sa main. Est-ce clair, ou est-ce qu’il te faut une fessée pour que ce le soit ?!

-    C’est clair, papa, rétorquai-je à contrecœur.

-    Parfait ! Montez vous brosser les dents et vous coucher, maintenant ! Maman et moi arrivons dans quelques minutes.

 

Lorsque mes parents vinrent me border, je leur fis part de mes inquiétudes. La vie sans Anaïs ne serait plus la même. Qu’allions-nous faire de sa chambre ? La famille nous paraîtrait bien vide et bien triste pendant quelques temps…

Mais au fond de moi, j’avais l’espoir qu’Ana soit acquittée et qu’elle revienne à la maison.

 

A suivre…

Commentaires

  1. Oh non 😪 dites moi que ce n'est pas vrai 🙏
    J'aime trop Anaïs pour qu'elle quitte la famille 😪😪😪 Sans elle la famille ne sera plus la même 😪 Elle a fait tant de progrès depuis son arrivée chez vous, Michael et Scarlett !!!
    N'importe qui à sa place aurait explosé 😡
    avec ce Pierre qui l'a poussée à bout !
    Je vous en supplie, faites la libérer.
    Vous avez promis que vous ne l'abandonneriez jamais 😪
    Je n'ai jamais eu autant hâte d'avoir la suite 🙏🙏🙏

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  Mercredi 9 octobre 2019.                   Pas de grasse matinée ce matin : Héloïse nous réveilla à neuf heures pour que nous puissions travailler un peu sur nos cours. J’étais grognon au possible en me réveillant, comme cela m’arrive rarement. En m’asseyant à table au petit déjeuner, je fus agacée par Anaïs, toujours pleine d’énergie et en forme le matin. Je déteste les gens du matin. Ou les gens. Ou le matin.                   Après m’être préparée et habillée pour la journée, je remontai dans ma chambre et me sentis toujours aussi grognon. Je ne savais pas encore pourquoi mais j’avais l’impression que cette journée allait être désagréable au possible. Personne n’avait intérêt à me voler dans les plumes : je m’étais levée du pied gauche !          ...

Nouvelle rentrée, nouvelle vie ! (Chapitre 17)

 Ce chapitre a été écrit par Marie, une fan du blog. Malgré mes quelques commentaires et réécritures, elle a fait un excellent travail ! Bravo à elle ! Mardi 17 septembre 2019.   Lorsque Monsieur Éric toqua à la porte pour nous réveiller, j’étais très motivée pour me lever (ce qui est très rare !). Aujourd’hui sera une belle journée : d’abord parce que le mardi reste la meilleure journée de la semaine grâce à Madame Kelly, la prof la plus adorable du Pensionnat ; ensuite parce que j’ai réfléchi à un plan pour me venger de Monsieur Jean et de Monsieur Nicolas. Ce sera discret (enfin autant que faire se peut), rapide et efficace. Je sais bien que lorsque nous nous ferons attraper la punition sera salée ; mais je ne supporte pas l’idée de laisser croire à nos professeurs qu’ils ont tout le pouvoir (même si ce n’est peut-être pas tout à fait faux). Pour mener à bien mon plan, il me faudrait l’aide de mes amies. Je vais tout faire pour les convaincre de me...