00h30, il n’y a plus un bruit dans le bâtiment. Avec la journée
que j’avais eu, il m’avait été très difficile de rester éveillée jusqu’à cette
heure tardive ; mais l’envie de me venger de Madame Christelle l’avait emportée
sur la fatigue. J’avais donc attendu que les adultes finissent leur réunion «
débriefing de la journée » et qu’ils s’endorment. Maintenant que tout était
calme, je pouvais passer à l’action.
Je me lève de mon lit, prends ma lampe de poche, traverse discrètement la
chambre pour ne pas réveiller Mathilde et attrape la poignée de la porte.
J’appuie délicatement dessus puis tire. Mince, la porte grince.
– Tu vas où ?
Mat s’était réveillée.
– T’occupe, répondis-je.
– Clem, tu vas encore t’attirer des ennuis !
– Ce ne sont pas tes affaires. Rendors-toi !
– Non. Je viens avec toi.
– Quoi ?! Hors de question !
Mathilde alluma sa lampe de chevet, s’assit sur son lit et se frotta les yeux.
Puis, elle enfila ses chaussons, attrapa sa lampe de poche et me rejoignis.
– Qu’est-ce que tu comptes faire ? me demanda ma coloc.
– Faire comprendre à Madame Christelle qu’il lui arrivera des bricoles si elle
me cause à nouveau des ennuis, expliquai-je.
– Alors nous y allons toutes les deux, décida Mat.
– Il est hors de question que tu sois punie alors que ce n’était pas ton idée,
dis-je.
– Non seulement je viens mais en plus c’est non-négociable, insista Mathilde.
Sinon, je tire l’alarme et tout le monde saura que tu voulais faire une bêtise.
Ma colocataire montait petit à petit dans mon estime. Moi qui la prenais juste
pour une rabat-joie néanmoins sympathique, je commençais à la considérer comme
une vraie copine. Elle était prête à risquer ses fesses par solidarité envers
moi. Quel courage !
Nous sortîmes donc de notre chambre et je me dirigeai vers la
salle d’arts plastiques. Mathilde me suivit. Nous ne communiquâmes pas pour
faire le moins de bruit possible. Elle n’avait donc aucune idée de mes
intentions et me faisait aveuglement confiance.
La salle d’arts plastiques était fermée.
– Merde ! m’exclamai-je en chuchotant.
– Je sais où trouver les clés, me dit Mat. Suis-moi !
Ma copine m’emmena jusqu’au local de la femme de ménage, qui se trouvait dans
le couloir des appartements de la haute hiérarchie. La prudence était de mise.
Nous entrâmes dans le local avec la ferme intention d’en ressortir avec le
trousseau de clés. Mais nous ne fîmes pas attention à la porte, qui se referma
toute seule en claquant très fort. J’étouffai un cri. Mathilde éteignit sa
lampe, je fis de même. Enfermées dans ce petit local de cinq mètres carrés,
nous nous figeâmes. Nous entendîmes du bruit, puis la voix de Monsieur Hugues :
« Y’a quelqu’un ici ?! ». Les pas s’approchèrent de la porte du local. S’il
ouvrait la porte, nous étions cuites. Le directeur-adjoint ne laisserait pas
passer une escapade nocturne. Heureusement, il ne lui prit pas l’envie de
vérifier. Nous l’entendîmes s’éloigner puis retourner dans ses appartements.
Ouf !
Ma copine et moi rallumâmes nos lampes-torche, à la recherche du trousseau.
– Trouvé ! chuchotai-je alors que j’apercevais l’objet recherché dans une
petite pochette du chariot de ménage.
– Prends-le très délicatement, me prévint Mat. Un seul bruit et nous sommes
finies !
Je fis extrêmement attention. De légers cliquetis se firent entendre mais rien
de très bruyant. Je collai le trousseau contre moi et serrai les clés entre
elles pour qu’elles évitent de bouger.
– On repart, dis-je. Et attention à la porte !
Nous sortîmes du local et déguerpîmes du couloir, beaucoup trop dangereux à
notre goût.
La salle d’arts plastiques déverrouillée, je cherchai l’objet de
ma vengeance : des marqueurs indélébiles. Nous embarquâmes la pochette remplie
de marqueurs de toutes les couleurs, puis nous sortîmes de la pièce en
n’oubliant pas de la verrouiller correctement.
Nous retournâmes dans notre dortoir et filâmes au bout du couloir. En face de
nous, la chambre de Madame Valérie. A gauche, celle de Madame Maud. A droite,
celle de Madame Christelle : notre destination. J’ouvris la porte et priai de
tout mon cœur pour qu’elle ne grince pas. Elle resta silencieuse : merci
Seigneur !
Mat et moi découvrîmes notre surveillante dormant à poings fermés, allongée sur
le côté gauche, sa bave coulant de sa bouche pour rejoindre son oreiller.
Dommage que nos téléphones portables aient été confisqués : cette photo
collector aurait très vite fait le tour du pensionnat !
J’ouvris la pochette de marqueurs et je priai encore une fois, pour que ceux-ci
fonctionnent sans que je n’aie à les secouer : cela ferait trop de bruit. J’attrape
le marqueur noir, enlève le capuchon et commence à écrire sur le front de ma
surveillante : « J-E S-U-I-S ». Mince. Elle se met à bouger, nous retenons
notre respiration. La voilà sur le dos. Elle entame un ronflement, j’en conclus
qu’elle dort profondément. Je reprends mon œuvre : « U-N-E B-O-U-F-F-O-N-N-E ».
Je recapuchonne le marqueur et Mathilde met son pouce en l’air pour me dire «
Bien joué ! ». Mais je n’en avais pas terminé. J’attrape le marqueur rouge et
écris sur le mur : « Telle est prise qui croyait prendre ! ». Je suis
satisfaite et pense que ce sera assez pour cette fois. Nous devons faire vite :
plus nous passons du temps loin de nos lits, plus nos chances de nous faire
prendre sont grandes.
Mathilde et moi filons remettre les marqueurs à leur place en n’oubliant pas de
verrouiller correctement la salle, puis remettre le trousseau de clés là où
nous l’avions trouvé et tout cela sans faire le moindre bruit. Lorsque nous
rejoignîmes nos lits, nous étions très fières de nous.
– TOUT LE MONDE DANS LA COUR ! EXECUTION ! DEPECHEZ-VOUS !
J’ouvris les yeux, me demandant bien qui hurlait ainsi. Mon réveil affichait
6h22, il n’était pas encore l’heure du réveil.
– DEPECHEZ-VOUS, J’AI DIT ! DANS LA COUR ! IMMEDIATEMENT ! LA PREMIERE QUE JE
VOIS TRAINER S’EN SOUVIENDRA !
C’était Madame Valérie qui hurlait ainsi. Nous n’eûmes pas trop le temps
d’émerger : quelques minutes plus tard, nous étions cinquante en rang, en
pyjama et en chaussons dans la cour de récréation. Heureusement, il ne faisait
pas trop froid, bien qu’un petit vent discret nous parcourait parfois, faisant
hérisser nos poils. Mathilde et moi avions une idée de la raison de ce
rassemblement, contrairement aux autres filles. Nous attendions là, en rang,
les cinq surveillantes générales nous faisant face. Soudain, Madame Christelle
arriva, accompagnée du directeur, de son adjoint, et du surveillant général.
Quand les pensionnaires découvrirent Madame Christelle, il y eut des éclats de
rire. Il y avait de quoi ! J’étais vraiment fière de mon œuvre.
– SILENCE ! cria Monsieur Éric, qui avait l’air fou de rage.
Tout le monde se tut.
– Que celle qui a fait ça se dénonce immédiatement ! gronda le directeur.
Je me tus, bien évidemment.
– Ce n’est jamais personne, bien sûr ! ajouta le directeur. Puisque c’est
ainsi, à partir de maintenant et jusqu’à ce que la ou les coupable(s) se
dénoncent, les récréations sont supprimées ! Vous les passerez à faire des
lignes ! Vous irez toutes au lit directement après le dîner ! Et surtout, à
partir de ce matin, vous passerez toutes une par une dans mon bureau, celui de
Monsieur Hugues ou celui de Monsieur Matthieu pour recevoir une correction ! Si
la ou les coupable(s) ont un tant soit peu d’empathie, elle viendra ou elles
viendront très vite se dénoncer au lieu de faire payer les autres à leur place
!
Monsieur Éric allait repartir puis annonça :
– Ah, j’allais oublier : que la coupable profite du fait de pouvoir s’asseoir,
car quand je l’aurais démasquée, cela lui coûtera très cher ! Maintenant, allez
faire vos lits et vous préparer pour aller déjeuner. Ensuite, les convocations
se feront par ordre alphabétique ! Donc à huit heures, Mademoiselle Abigaëlle,
dans mon bureau ! Mademoiselle Adèle, dans le bureau de Monsieur Hugues ! Et
Mademoiselle Agnès, dans le bureau de Monsieur Matthieu ! Pour les autres, vous
serez appelées en temps et en heure ! Vous pouvez disposer !
Si la liste était toujours la même, j’étais la 13ème dans l’ordre alphabétique.
Cela voulait dire que 12 filles allaient se prendre une volée à cause de moi.
12 filles qui n’avaient rien fait du tout. J’étais vraiment mal.
Au petit déjeuner, j’annonçai à Mathilde que j’allais me
dénoncer. Hors de question que des camarades paient pour mes bêtises.
– Je viendrai avec toi, m’annonça-t-elle.
Nous nous rendîmes donc à huit heures devant la porte de Monsieur Éric.
Abigaëlle, Adèle et Agnès était terrorisées. J’allais bientôt les soulager.
– Clémence ? Que fais-tu là ? me demanda le directeur en ouvrant la porte.
– Monsieur, Mathilde et moi avons quelque chose à vous dire…
A
suivre…
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