Mercredi 18 septembre 2019.
Mon cours de piano se déroula
merveilleusement bien. Pour une fois, Monsieur Alexandre n’avait rien eu à
redire et était on ne peut plus fier de moi. Je sortis toute guillerette de la
salle de musique, de bonne humeur et ambitieuse au possible. Je me sentais de
taille à conquérir le monde !
Le repas du midi fut source de
tension. Puisque nos places dans le réfectoire sont attitrées, Mathilde et moi
mangeons toujours avec ces lâches de Lou et Naomy. Nous ne nous sommes pas reparlées
depuis hier et c'est très bien comme ça. Mathilde et moi ne voulions plus
rien avoir à faire avec elles. Seulement, alors que nous dégustions un délicieux
bœuf bourguignon préparé par le chef du Pensionnat, Lou entama :
-
Les filles, on
est vraiment désolées pour hier…
Nous
gardâmes le silence.
-
…on a eu peur et
on a mal réagi, nous sommes vraiment désolées…
J’eus
envie de les envoyer ch*er mais une petite voix me rappela à l’ordre :
« Ce n’est pas très catho, ça, Clémence… ! Elles se sont
excusées ! ». Je soupirai de résignation et répondis, le plus
calmement possible :
-
Laissez-nous du
temps pour digérer la colère et accepter vos excuses, les filles. Il nous faut
juste du temps.
-
Parce que tu
comptes pardonner ces traîtres ?! s’offusqua Mathilde.
-
Tout le monde a
droit à une deuxième chance, dis-je.
-
C’était DEJA leur
deuxième chance, Clem ! s’emporta ma meilleure amie. Tu vas leur en
laisser combien, comme ça ?! C’est absolument hors de question de les
pardonner ! Je te préviens Clem : ce sont elles ou c’est moi !
Mathilde
s’était tellement exclamée que tout le réfectoire avait fait silence pour observer
la scène. Cependant, mon amie au centre de l’attention s’en fichait pas mal.
Elle m’aboya :
-
Alors ?!?!
-
C’est toi,
évidemment ! répondis-je fidèlement.
Mathilde
se tourna alors vers nos deux amies et dit :
-
Dans ce cas,
merci de ne plus nous adresser la parole ! A partir d’aujourd’hui, vous
n’existez plus pour nous, je vous conseille donc de nous oublier !
J’étais dans une situation on ne peut plus
délicate : d’un côté, j’avais envie de pardonner (pas tout de suite mais
ça viendrait plus tard…) à Lou et Naomy, d’un autre je voulais rester auprès de
Mathilde… Je ne savais pas quoi faire et cela me faisait mal au cœur. Cependant,
alors que Mathilde avait ma confiance totale, Lou et Naomy ne l’avaient
absolument pas… Je restai donc fidèle à
ma meilleure amie.
L’après-midi, après le temps obligatoire de devoirs,
Mathilde et moi trainâmes avec Florentine, Eva et Charline, trois filles de
notre ancien dortoir. Nous allâmes nous promener ensemble à la lisière de la
forêt, puis après une très longue balade, nous nous posâmes dans un coin à
l’abri des regards. C’est alors que Florentine sortit quelques cigarettes de
l’intérieur de son chemisier, Charline sortit un briquet de son soutien-gorge. Devant
nos regards ahuris à Mathilde et moi, Eva nous lança :
-
Ben quoi ?
-
Ben… C’est
interdit… dit timidement Mathilde.
Nos
trois copines éclatèrent de rire.
-
C’est vous qui
dîtes ça ?! ria Florentine. Vous, les deux terreurs du Pensionnat, c’est
vous qui dîtes ça ?!
Elles
n’avaient pas tort.
-
Ils sont
tellement concentrés sur vos conneries qu’ils ne font même pas attention à
nous, nous dit Charline.
-
Euh…On a quand
même Madame Bérangère sur le dos ! continua Eva.
-
N’empêche qu’elle
n’a trouvé aucune preuve pour le moment, rétorqua Charline.
Un
sentiment d’injustice m’envahit. Monsieur Éric nous avait tellement à l’œil
Mathilde et moi qu’il en oubliait les autres pensionnaires. C’était peut-être
aussi le cas de mon cher Matthieu !
-
Et…vous vous les
procurez où, ces cigarettes ? demanda Mathilde avec une pointe d’admiration.
-
L’une de nous
trois fait le mur toutes les semaines pendant le temps des devoirs pour aller
en acheter.
-
Mais…avec quels
sous ? m’étonnai-je, sachant que nous n’avons pas le droit d’avoir de
l’argent au sein de l’école.
-
Ma grande sœur
m’en cache dans un espace du muret, dans le centre-ville, répondit Florentine qui est d’origine creusoise.
L’injustice
laissa place à l’envie. Florentine avait sa famille tout près d’elle et
l’apprendre à un moment où mon frère et ma sœur me manquaient beaucoup était
compliqué pour moi.
-
Et les
mégots ? interrogea Mathilde.
-
On les jette
par-dessus le muret, répondit machinalement Charline.
La sonnerie retentit. Il était l’heure d’aller dîner. Les
trois filles finirent leurs clopes, s’aspergèrent de parfum et nous suivirent
Mathilde et moi à l’intérieur du bâtiment.
Avant d’entrer dans le réfectoire, Monsieur Nicolas
surgit de nulle part, m’attrapant par le bras. Surprise, j’affichai une mine
apeurée. Il me rassura :
-
Mademoiselle
Clémence, je voulais vous parler de votre devoir d’hier.
-
Euh…oui ?
-
Vous êtes la
seule de votre classe à avoir obtenu la moyenne, dit-il. Vous avez eu 15/20,
alors que la moyenne de la classe est de 5,4/20.
Hébétée,
je ne savais que répondre. Je n’en revenais pas !
-
Je photocopierai
votre copie pour la distribuer au reste de la classe. Je vous félicite,
mademoiselle Clémence ! Malgré toutes vos frasques, vous êtes une bonne
élève. Je ne l’aurai pas cru.
Je
rêve ou Monsieur Nicolas essayait d'être gentil ?
-
Euh… eh bien…
euh…merci Monsieur, balbutiai-je.
-
De plus, je vais
de ce pas toucher un mot à Monsieur Éric sur votre cas. D’une part pour votre
excellente note, d’autre part pour votre odeur pestilentielle de cigarette.
Je me refroidis instantanément et allai m’asseoir à table de façon automatique. J'aurais dû savoir qu'il y avait anguille sous roche !
Je
n’eus même pas le temps de commencer mon entrée que le Directeur surgit
derrière moi. Il me huma quelques instants (sûrement pour vérifier les dires de
mon prof de philo !) et me gronda :
-
Profite bien de
ton repas, Clémence ! Nous allons avoir quelques explications après le repas,
toi et moi !
Avant
de repartir, il se tourna vers Mathilde et lui lança sur le même ton :
-
Toi aussi !
Nous dinâmes avec une grosse boule dans la gorge. Florentine,
Charline et Eva ne se souciaient de rien. Pourtant, j’étais persuadée que nous
allions devoir les balancer, à contrecœur. Si je voulais m’en sortir au mieux,
il allait falloir que je les dénonce. Je n’aurai très certainement pas le
choix.
J’eus envie de passer un peu de temps à la
bibliothèque, pour me détendre, avant de rentrer chez Monsieur Éric et me faire
dégommer. Mathilde, elle, avait opté pour la salle de télé. Malheureusement
pour nous, le Directeur vint nous chercher durant nos moments de détente
respectifs et nous en priva. Il nous amena jusque dans ses appartements et
ferma la porte.
-
Allez au coin,
toutes les deux ! Il faut que je me calme, sinon je vais vous
massacrer !
Nous
nous exécutâmes, penaudes. Nous n’avions pas forcément envie de faire de vague,
vu l’état de monsieur le Directeur.
-
Je vous ai déjà
reprises hier, gronda-t-il, et je pensais vraiment vous avoir reprises bien
comme il faut…
-
Oui
Monsieur ! dit Mathilde. Je vous jure qu’on n’a rien fait !
-
Alors pourquoi
est-ce que vous sentez la cigarette ?! Pourquoi ?!
-
On n’a pas fumé,
Monsieur ! protestai-je. J’vous jure !
-
Alors
expliquez-moi ! Expliquez-moi pourquoi vous sentez autant le tabac !
Répondre
serait dénoncer nos copines. Le dilemme était cornélien. Je n’avais absolument
pas envie d’avoir une nouvelle fois mal aux fesses, surtout avec les stigmates
des jours précédents ! Cependant, je me tus ; et Mathilde aussi.
-
Bien ! gronda
le Directeur. Vous ne voulez pas parler ?! Parfait !
-
Pas la fessée,
Monsieur ! pria Mathilde. Je vous en prie…
-
Tu sais quoi,
Mathilde ? Je suis fatigué. Je suis vraiment fatigué ! C’est la
première fois que j’ai des élèves aussi entêtées et aussi déterminées à défier
l’autorité, même avec les fesses ecchymosées ! Donc maintenant, ça va être
très simple, vous allez venir prendre le téléphone et appeler immédiatement vos
familles pour leur raconter combien vous êtes insupportables, et leur demander de
venir en discuter avec moi !
-
Non, Monsieur !
priai-je, les larmes me montant aux yeux. Je vous en prie, ne faîtes pas ça !
Je
préférais mille fois recevoir la fessée de ma vie plutôt qu’avoir à appeler mon frère.
-
Dans ce cas, dîtes-moi
la vérité !
-
On…on a juste
traîné avec Florentine, Charline et Eva ! avoua Mathilde, en larmes à l’idée
de devoir affronter ses parents au téléphone. Elles fument en cachette depuis
la rentrée et nous l’avons découvert cette après-midi, on traînait avec elles pour
la première fois et… oh pitié, Monsieur, ne composez pas le numéro de nos
familles ! J’vous en supplie !
Le
Directeur marqua un temps de silence, soupira puis reprit d’une voix plus douce :
-
Quittez le coin
et venez vous asseoir sur le canapé.
Nous
nous exécutâmes, les mines perplexes.
-
Mon but était de
découvrir la vérité et pour cela, je voulais vous pousser dans vos retranchements.
-
Quoi ? m’étonnai-je
en essuyant ses larmes. Tout ça, c’était du bluff ?
Monsieur
Éric eut un sourire en coin puis dit :
-
Vous auriez quand
même reçu une très bonne fessée si vous étiez fautives !
-
Monsieur, rétorqua
Mathilde, s’il vous plaît, ne dîtes pas aux filles qu’on les a balancées, il y
aura sûrement des représailles…
-
Vous allez me donner
toutes les informations nécessaires et je m’arrangerai pour qu’elles soient
prises en flagrant délit et sans aucun lien avec vous. D’accord ?
Ma
meilleure amie et moi soupirâmes de soulagement.
-
Maintenant, préparez-vous
à aller dormir et tâchez de vous tenir à l’écart des bêtises, comme de celles
qui en font !
La soirée fut beaucoup plus douce pour nous, malgré cette
pointe de culpabilité qui me rongeait. Mathilde avait cédé et je me sentais mal
vis-à-vis de ça...
A suivre…
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