Vendredi 20
septembre 2019.
Le vendredi
a beau être le dernier jour de travail avant deux jours de relâchement, il
commence toujours par deux heures de littérature avec le terrible Monsieur
Jean.
Etant, de plus, notre
professeur principal, Monsieur Jean nous fit un sermon dès son entrée en
classe :
-
J’ai eu accès à vos premières notes,
mesdemoiselles ! C’est inadmissible ! Pour le moment, la moyenne de
la classe est de 10,3/20. C’est très insuffisant ! Il va falloir vous
ressaisir et faire en sorte d’augmenter cette moyenne !
A nous toutes, nous avions la
moyenne, non ? Ce n’était pas ce qui comptait ?
-
De plus, reprit le prof, celles que je vais dès
à présent citer commenceront lundi des cours de soutien qui se dérouleront tous les
jours de 16h30 à 18h30 !
Quel enfer ! Deux heures
de cours en plus par jour ? L’angoisse totale ! J’espérais grandement
ne pas être dans le lot…
-
Il s’agit de Mesdemoiselles Lucille, Mathilde,
Lou, Camille, Jessica, Léa, Valentine, Salomé, Louise et Yéline ! annonça
le littéraire.
Je ressentis deux sentiments
mêlés entre eux. D’un côté, j’étais soulagée d’échapper à cette torture
quotidienne. D’un autre côté, Mathilde faisait partie du lot : je serai
donc toute seule en salle de devoirs puis en salle de détente.
Monsieur Jean nous fit un cours autour de Victor Hugo
et de son œuvre. Aimant beaucoup cet auteur, cet exposé me passionna.
-
Pour vendredi dans trois semaines, vous me ferez
un exposé écrit sur une œuvre de Victor Hugo, de votre choix, annonça Monsieur
Jean. Il faudra bien évidemment l’avoir lue ! Levez la main pour
m’informer de celle que vous avez choisie. Je vous écoute !
Je fus la seule à lever la
main. Tout le monde me regarda et je me sentis extrêmement gênée.
-
Mademoiselle Clémence ? interrogea Monsieur
Jean.
-
Le dernier jour d’un condamné, annonçai-je.
-
Très bon choix ! admit le prof. C’est noté.
Les autres ?
Personne d’autre ne se
manifesta. Je supposai qu’elles ne connaissaient pas bien cet immense auteur.
-
C’est navrant ! commenta Monsieur Jean. Dans ce
cas, je vais laisser une feuille au secrétariat, je la récupèrerai lundi matin.
Je veux que tout le monde se soit inscrit lorsque je récupèrerai la feuille. Si
ne vous trouvez pas le livre que vous avez choisi à la bibliothèque de
l’établissement, demandez à la secrétaire de le commander.
Il y eut quelques secondes de
silence, puis le professeur reprit :
-
Pourquoi est-ce que je ne vois aucun agenda sur
les tables ?! Vous comptez juste sur votre mémoire, c’est ça ?!
Un gros brouhaha se fit
entendre, correspondant aux élèves sortant leurs agendas.
-
Vous notez ! gronda Jean. Pour le vendredi
11 octobre : rendre exposé écrit en littérature française ! Pour le
lundi 23 septembre : avoir choisi son œuvre sur Victor Hugo !
Tout le monde s’affaira à
noter tandis que Monsieur Jean se levait de sa chaise et s’emparait d’une
craie. Tout en écrivant au tableau, il annonça :
-
Vous passerez également une par une en
exposé sur l’auteur que je vous attribue immédiatement.
Il se mit à écrire au tableau
et tout le monde resta à regarder.
Passage en exposé
oral :
Lundi 7 octobre :
Yéline : George Sand
Camille : Montaigne
Louise : Simone de Beauvoir
Jeudi 10 octobre :
Emma : Homère
Salomé : Louise Labé
Capucine : Robert Stevenson
Vendredi 11 octobre :
Hélène : Voltaire
Laëtitia : Stendhal
Valentine :
Pierre Ronsard
Lundi
14 octobre :
Léa : Jean de La Fontaine
Charline : Mme de Sévigné
Florentine : Mme de La Fayette
Jeudi
17 octobre :
Naomy :
Gustave Flaubert
Lou :
Honoré de Balzac
Astrid : Molière
Vendredi 18 octobre :
Emilie : Joachim Du Bellay
Clémence : Emile Zola
Mathilde : Alexandre Dumas
Lundi 21 octobre :
Jessica : François Rabelais
Eva : Charles Baudelaire
Noémie : Didier Diderot
Jeudi 24 octobre :
Lucille : André Malraux
Il lui avait fallu dix bonnes minutes pour écrire
tout ça, dix minutes durant lesquelles le silence avait plané. Nous étions
toutes effrayées à l’idée de savoir à quelle sauce nous allions être mangées.
J’étais tombée sur Zola, pour un exposé se déroulant dans un mois. J’étais bien mieux lotie que
d’autres ! A moi de faire mon maximum pour décrocher une très bonne note
tout en faisant en sorte de ne pas proposer à mes camarades un exposé
soporifique.
-
Vous notez également que le vendredi 25 octobre,
vous aurez un devoir sur table sur tous ces auteurs !
Non mais il n’est pas bien, ce
prof ! Il y a en tout et pour tout vingt-deux auteurs ! Comment
voulait-il que nous retenions autant d’informations ?! Monsieur Jean
voulait vraiment nous plomber notre moyenne de littérature française !!
Le cours d’histoire-géographie avec Madame Constance
fut tout aussi riche en travail : elle nous donna une dissertation à
rendre pour la semaine d’après, sur le réchauffement climatique. J’ignorais où
j’allais trouver la force et l’énergie d’effectuer tout ce travail mais il
allait bien falloir si je voulais éviter ces dix heures de soutien par
semaine !
Durant le repas du midi, Monsieur Éric monta sur l’estrade.
Je me demandai bien ce qui se passait. Une fois que tout le monde se fut tu, il
commença :
-
Je dois
partir quelques jours en séminaire. Mon départ se fera cette après-midi et je
serai de retour lundi matin. Durant mon absence, Monsieur Lionel assurera mes
fonctions. Je compte sur vous pour être sages et disciplinées. Je m’occuperai
de celles qui ne l’ont pas été à mon retour ! Sur ce, bonne fin d’appétit.
Monsieur Interminable aux commandes ?
Il n’allait vraiment pas falloir faire de vagues… Je ne voulais surtout pas
reprendre une fessée comme celle d’hier !!
Les deux heures de philosophie amenèrent des ennuis à
plusieurs de mes camarades. Monsieur Nicolas avait prévenu : toutes celles
qui n’avaient pas eu la moyenne aurait droit à une punition cuisante. Elles
étaient dix-sept. J’ai donc passé les trois premiers quarts d’heure de mon cours
de philosophie à regarder mes camarades danser sur les genoux de notre prof de
philo. Leurs fesses devenaient cramoisies et leurs larmes se multipliaient.
Avec la trempe que j’avais prise hier par Monsieur Interminable, je compatissais
grandement à leur douleur ! Même si je suis devenue plus résistante, une fessée
reste une fessée et ça fait toujours un mal de chien. En même temps, c’est un
peu le but : avoir assez mal pour ne plus recommencer...
Durant ce moment où je n’avais rien à faire d’autre
que d’assister au calvaire des autres, je laissai mes pensées se disperser. Un
flash-back me revint en pleine tête.
Nous sommes un jour sans école et il pleut. Je
suis en train de faire un puzzle avec Côme. Il a les yeux rouges : on
dirait qu’il vient de pleurer.
-
Pourquoi tu pleures ?
-
Ce n’est rien, ma puce, me répondit-il.
-
Pourquoi tu pleures ? insistai-je.
-
Parce que papa et maman sont partis au ciel,
me répondit mon frère.
-
Ils vont revenir ?
-
Non, Clémence. Ils ne reviendront jamais.
-
Pourquoi ? Ils ne nous aiment plus ?
C’est pour ça qu’ils ne veulent pas revenir ?
-
Non ma puce, c’est juste que quand on est auprès
de Dieu, on ne peut plus revenir sur la terre. C’est comme ça.
Je suis
sortie de mes songes par Monsieur Nicolas :
-
Bien ! dit-il. Maintenant que celles qui le
méritaient ont été punies, je vais pouvoir faire cours avec celles qui restent !
Nous fîmes les 1h15 de cours
restants avec Monsieur Nicolas en premier plan et nos dix-sept camarades en
second plan, tournées vers le mur, leurs fessiers écarlates exposés à la
classe. De quoi dissuader n’importe quelle élève souhaitant faire la maligne !
J’arrivai en cours de piano et m’installai à mon
instrument. Monsieur Alexandre me banda immédiatement les yeux.
-
Qu’est-ce que vous faîtes ?
-
Je veux que tu décroches ton regard du clavier.
Je veux que tu entres en connexion avec le piano. Ressens les notes. Joue-moi
le premier morceau.
-
Mais monsieur…
-
Je n’ai pas prévu de te donner de fessée si tu
te trompes aujourd’hui, me coupa Monsieur Alexandre. Tu apprends à jouer à l’aveugle
et je ne dois pas te punir pour cela. En revanche, proteste encore une fois et j’aurai
une très bonne raison de sévir !
Je déglutis bruyamment, me tus
et me mis à jouer. Après une dizaine d’essais non concluants, je m’agaçai :
-
Monsieur, y’a pas moyen de m’enlever ce fichu bandeau ?!
Je n’arrive à rien !
-
Tu n’es pas connectée avec tes sens, Clémence !
Ni avec ton instrument !
-
Comment puis-je être connectée alors que mes
yeux sont bandés ?! C’est impossible !
-
Ah oui ? Et Ray Charles ? C’est un
immense pianiste et il était aveugle ! Il y a un début à tout, Clémence. Je
refuse que tu baisses les bras ! Tu n’as pas le droit ! Dans mon cours,
je veux de la persévérance ! Reprends.
Je soupirai.
-
Concentre-toi sur ce que tu ressens à l’intérieur
de ton corps, me conseilla mon prof. Abandonne-toi à la musique. Ressens la
musique. Tu connais ce clavier par cœur. Si ça peut t’aider, visualise les
notes dans ta tête.
Il me
fallut dix minutes supplémentaires pour réussir à jouer quelques notes d’affilées.
Je n’aimais pas du tout jouer à l’aveugle !
-
Toutes les séances se passeront ainsi jusqu’à ce
que tu réussisses.
Je soupirai à nouveau.
Monsieur Alexandre reprit :
-
Si tu y crois, tu ne verras que des possibilités.
Si tu n’y crois pas, tu ne verras que des excuses. A demain, Clémence.
Non convaincue, je décidai néanmoins
de fournir un effort pour être plus optimiste et éviter de contrarier mon prof
de piano.
Pour mon plus grand bonheur, ce fut Monsieur Matthieu
qui vint nous border Mathilde et moi en l’absence de Monsieur Éric. Croiser son
regard juste avant de m’endormir fut merveilleux.
Il n’y a pas de doute : je suis raide dingue de
ce type.
A suivre…
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