Dimanche 22 septembre 2019.
Ce matin, nous pouvons nous
réveiller à l’heure que nous souhaitons : puisque nous nous sommes tous
couchés très tard hier, Monsieur Interminable a annoncé une journée « à la
cool » aujourd’hui. Celles qui le souhaitent peuvent même passer la journée
en pyjama !
Le dimanche matin, je suis censée aller à la messe : mais l’appel du lit était bien trop fort aujourd’hui pour que je daigne me lever à temps. Je me promis de ne rien en dire à mon frère et à ma sœur.
J’ouvris les yeux aux alentours de
onze heures et vis que j’étais seule dans la chambre : Mathilde avait été
plus matinale que moi.
Je
me rendis dans le réfectoire où un buffet nous proposant un brunch avait été installé.
Comme d’habitude, les mets proposés étaient dignes d’un restaurant étoilé :
je comprends pourquoi ma fratrie paye aussi cher ma scolarité. Au niveau
logistique, nous sommes vraiment extrêmement bien traitées ici : les repas
sont de très grande qualité, les locaux sont propres et bien entretenus, les
chambres sont bien meublées avec tout le nécessaire, les lits sont très
confortables… Bref, tout ce qu’il faut pour avoir une scolarité saine et sans
encombre.
Après avoir mangé une tonne de
viennoiseries et bu plein de chocolat chaud, je ne pouvais plus rien avaler sous peine d’exploser.
Puisque l’opportunité nous était donnée de rester en pyjama aujourd’hui, je
décidai de la saisir. Repue, je rejoignis quelques copines dans la salle de cinéma
et nous regardâmes un film d’action.
Il était déjà 15h lorsque le film se
termina. Ayant envie de m’évader encore un peu, je faussai compagnie à mes
amies et filai emprunter un livre à la bibliothèque. En en sortant, j’avais l’intention
d’aller me poser au soleil sur un transat dans le jardin pour lire mon nouveau
livre. Seulement, lorsque j’entrai dans le couloir menant aux extérieurs, j’entendis
quelqu’un pleurer. Je me stoppai et regardai tout autour de moi, ne sachant d’où
venait ce bruit. A force de chercher, je découvris quatre filles du dortoir n°5
dans les escaliers. Elles avaient toutes les quatre les yeux rouges, signe qu’elles
avaient toutes les quatre pleuré.
-
Ça ne va pas, les
filles ? leur demandai-je en m’approchant.
-
Oh salut Clémence,
me dit Renata.
-
Ça ne va pas ?
réitérai-je.
-
Si, si, ne t’inquiète
pas, répondit Willow.
Renata,
Willow, Isabella et Juliette savent qui je suis (car tout le Pensionnat sait
qui je suis !) mais il est vrai que puisque nous ne nous fréquentons pas,
elles ne me connaissent pas plus que ça. C’était sûrement la raison de leur méfiance
à mon égard. Je leur dis alors :
-
Les filles, je sais
qu’on ne se connait pas trop. Mais je vous promets que je sais garder un
secret. Si vous avez un souci, il faut me le dire. Si ça se trouve, je peux vous
aider !
-
C’est…c’est…c’est
qu’on a eu un souci avec deux profs, avoua Juliette.
-
Qui ça ?
demandai-je.
-
Monsieur Jean et
Monsieur Nicolas, répondit Isabella.
Mon
sang ne fit qu’un tour. Ces deux-là, je me suis jurée d’avoir leurs têtes !
-
Qu’est-ce qui s’est
passé ? demandai-je en tentant de garder mon calme.
-
Ils nous ont toutes
les quatre flanqué une volée parce que soi-disant on ne leur a pas dit bonjour
en les croisant dans le couloir, narra Willow. Alors que c’est faux ! On
leur a dit bonjour ! C’est juste qu’ils n’ont pas entendu !
-
Quand vous dîtes
qu’ils vous ont flanqué une volée… commençai-je, gênée de demander quelque
chose d’aussi délicat. C’est-à-dire ? Enfin, sans indiscrétion bien sûr !
Si vous ne voulez pas en parler…
-
Ils nous ont
alignées toutes les quatre face au mur, debout mains sur la tête, narra Renata.
Ils nous ont enlevé nos jupes, baissé nos culottes et nous avons pris cent
coups de badine chacune.
-
Juste pour un « bonjour »
qu’ils n’ont pas entendu ?! m’énervai-je.
Les
filles hochèrent la tête.
-
Très bien, dis-je.
Venez avec moi.
-
Où ça ?
demanda Juliette.
-
On va aller voir
Monsieur Matthieu et Monsieur Lionel et tout leur raconter, actai-je.
-
Quoi ?! Clémence,
non ! On ne veut pas avoir plus de problèmes que ceux que nous avons déjà !!
-
Vous n’aurez pas
de problèmes, affirmai-je. Si problèmes il doit y avoir, je les assumerai
seule. Vous me faîtes confiance ?
Les
filles réfléchirent puis hochèrent la tête.
-
Alors suivez-moi.
Renata,
Isabella, Willow et Juliette me suivirent jusqu’à la porte du bureau de mon
cher Surveillant Général. Je frappai.
-
Entrez !
dit-il.
J’ouvris
la porte. En le voyant bucher sur un dossier, je lui lançai :
-
Vous travaillez
le dimanche, Monsieur ?
-
Je ne devrais
pas, dit-il, mais j’aimerais finir ce que j’ai commencé hier. Avec la soirée
Cluedo, je n’ai pas pu alors…
-
D’accord, rétorquai-je.
-
Qu’est-ce qui
vous amène Clémence ? se renseigna-t-il en me voyant accompagnée de quatre
camarades.
-
J’ai un service à
vous demander.
-
Lequel ?
-
J’aimerais que
vous renvoyiez sur le champ Monsieur Jean et Monsieur Nicolas, en les remerciant
pour le travail effectué jusqu’à présent.
-
C’est une
plaisanterie ? me lança-t-il, perplexe.
-
Non.
-
Pour quel motif
les renverrais-je ? s’informa le SG.
-
Pour abus de châtiments
corporels, répondis-je.
-
Vos camarades et
vous avez pris une fessée qui vous reste en travers de la gorge, c’est ça ?
demanda Monsieur Matthieu.
-
Non Monsieur,
dis-je. Moi, je n’ai rien pris du tout.
-
C’est un jour à
marquer d’une pierre blanche ! me taquina mon aimé.
-
Très drôle !
ironisai-je. Vous avez néanmoins raison sur un point : mes camarades ont
pris une fessée qui leur est restée en travers de la gorge. Elle est également
restée en travers de la mienne, figurez-vous !
Je
demandai à mes nouvelles copines si elles étaient d’accord pour montrer leurs
derrières au Surveillant Général. Après hésitation, elles acceptèrent ; Monsieur
Matthieu leva les sourcils en signe d’étonnement.
-
Quelle bêtise
avez-vous faite pour mériter une telle sanction ? se renseigna le SG.
-
Monsieur Jean et
Monsieur Nicolas ont dit que nous ne leur avons pas dit bonjour en passant à côté
d’eux dans le couloir, expliqua Juliette. Alors que nous leur avons dit bonjour !
C’est juste qu’ils n’ont pas entendu !
Monsieur
Matthieu baissa son regard au sol. Je voyais bien qu’il réfléchissait. Il
appuya ensuite sur un bouton de son téléphone fixe. Nous entendîmes la voix de
Monsieur Interminable :
-
Oui ?
-
Lio, tu peux
venir dans mon bureau, s’il te plaît ?
Quelques
secondes plus tard, le Directeur temporaire faisait son entrée dans la pièce.
Il jeta un œil aux derrières de mes camarades et Monsieur Matthieu lui exposa la
situation, confirmée par les filles.
-
Rhabillez-vous Mesdemoiselles,
dit Monsieur Lionel. Nous en avons assez vu.
Monsieur
Lionel et Monsieur Matthieu échangèrent un regard perplexe.
-
Vous savez très
bien que ce n’est pas le premier abus dont font preuve ces deux profs ! repris-je.
Ils ont déjà eu un avertissement pour ça !
-
Comment savez-vous
cela ? me demanda Monsieur Lionel.
-
Je l’ignorais
mais maintenant j’en ai la confirmation, dis-je satisfaite. Il est noté dans le
règlement intérieur que toutes les punitions, corporelles ou non, doivent être
justifiées et proportionnelles à la bêtise commise ! Si vous ne les renvoyez
pas, je convoque la presse ! Je vais faire un scandale !
-
Clémence, on se
calme ! me stoppa Monsieur Matthieu. Nous sommes conscients que c’est une
situation inadmissible, d’accord ? Néanmoins, en l’absence de Monsieur Éric,
nous sommes pieds et poings liés…
-
Eh bien
appelez-le ! ordonnai-je, énervée.
-
Clémence, vous
allez tout de suite baisser d’un ton ! me gronda Monsieur Interminable. Je
sais que vous êtes en colère et que l’injustice vous est intolérable, mais vous
n’avez absolument aucune légitimité pour nous parler de la sorte ! C’est
bien clair ?!
-
Oui Monsieur,
dis-je en descendant de mes grands chevaux.
-
Bien !
conclut Monsieur Lionel.
Le
Directeur-Adjoint installa des chaises pour que nous puissions nous asseoir, puis
appela Monsieur Éric en visioconférence. Nous le vîmes tous apparaître sur l’écran
plat fixé sur le mur gauche de la pièce.
Monsieur Lionel et Monsieur Matthieu
expliquèrent la situation à Monsieur Éric. Je connaissais déjà bien assez mon
Directeur pour voir qu’il tentait de contenir sa colère envers les deux professeurs
accusés.
-
Faîtes venir les
professeurs concernés, demanda Monsieur Éric.
Messieurs Jean et Nicolas firent leur entrée quelques
minutes après avoir été convoqués. Monsieur Lionel installa de nouvelles
chaises pour eux. J’avais l’impression d’être dans un tribunal improvisé :
les filles étaient la partie civile, les deux profs les accusés et moi la
procureure générale. Quant à Monsieur Interminable et Monsieur Matthieu, ils
étaient les assesseurs du juge, Monsieur Éric.
La discussion dura une bonne
demi-heure. Monsieur le Directeur demandait aux professeurs de se justifier,
leur rappelant qu’ils n’étaient pas tout puissants et qu’administrer une
punition aussi sévère méritait une raison beaucoup plus valable que celle qu’ils
avaient donnée. De plus, Monsieur Éric rappela que les deux hommes avaient déjà
eu un avertissement, qu’ils avaient apparemment choisi d’ignorer.
C’était
la première fois que je voyais les deux profs qui terrorisaient tout le
Pensionnat se conduire comme des enfants pris la main dans le sac. Ils étaient
tout penauds et cela me faisait plaisir à voir.
Après
une très longue discussion et quelques minutes de réflexion, Monsieur Éric annonça :
-
Messieurs, vos fonctions
au sein de cet établissement s’arrêtent immédiatement. Vous devrez quitter vos
appartements dans la soirée afin qu’ils puissent être nettoyés pour vos remplaçants.
Je peux vous faire une lettre de recommandation si vous souhaitez postuler dans
un autre établissement. Vous recevrez un dédommagement du montant de votre
salaire. Je vous remercie pour vos services au sein de ce Pensionnat et vous
souhaite une bonne continuation.
J’étais
complètement ébahie. J’avais réussi à les faire renvoyer ! Si j’avais eu
une bouteille de champagne à la main, je l’aurais faite péter au point d’éclabousser
tous ceux présents autour de moi. J’avais réussi ! Monsieur Jean et
Monsieur Nicolas étaient virés ! Adieu les fessées abusives ! Adieu
les cours avec la peur au ventre !
Lorsque les deux hommes sortirent du
bureau, je ne pus m’empêcher de leur lancer :
-
Bon ben, merci d’être
venus, hein ! A la revoyure !
-
Clémence !
me gronda Monsieur Matthieu.
J’arborais
un sourire on ne peut plus satisfait en me taisant. Victoire, victoire,
victoire !!!
Messieurs Nicolas et Jean sortis,
Monsieur Éric ordonna à Monsieur Interminable :
-
Lionel, appelle les
professeurs sur liste d’attente. Qu’ils viennent au plus vite. Il est hors de
question que les élèves ratent ne serait-ce qu’un cours.
Puis,
le Directeur continua :
-
Matthieu, si tu
peux faire les changements administratifs nécessaires, ce serait super.
Le
DA et le SG acquiescèrent. Monsieur Éric continua :
-
Réunissez l’ensemble
du Pensionnat dans la soirée pour les prévenir du changement. Je rentrerai
demain à la première heure pour accueillir les nouveaux professeurs.
-
Vous êtes vachement
directif comme mec, commentai-je à l’égard du Dirlo.
-
Je suis le
Directeur, Clémence. Je me dois d’être directif. Sur ce, je dois vous laisser.
Bonne soirée et merci pour votre temps.
Monsieur
Interminable remercia également Monsieur Éric et nous congédia.
En sortant du bureau, Renata, Isabella,
Juliette et Willow devinrent officiellement mes copines. Elles se confondirent
en remerciements et je ne savais plus où me mettre tellement j’étais flattée. J’essayais
néanmoins de rester humble pour être conforme à mes valeurs.
Evidemment, grâce à nous, la
nouvelle fit le tour du Pensionnat avant même l’annonce officielle. Tout le
monde ne parlait que de ça. L’avis général était plutôt à la satisfaction :
nous débarrasser de ces deux bourreaux qui en faisaient voir de toutes les
couleurs à nos fesses était génial ! Et surtout : nous savions dorénavant
que nous étions écoutées ! Nous avons des droits et la direction nous défendra
toujours en cas d’abus.
Pendant le dessert, au dîner, Monsieur
Lionel se tint debout sur l’estrade et nous annonça :
-
Comme vous le
savez désormais toutes, votre professeur de littérature, Monsieur Jean, et
votre professeur de philosophie, Monsieur Nicolas, ont été reconnus coupables d’abus
de pouvoir : ils ont été beaucoup trop loin lors d’une punition infligée à
quelques unes de vos camarades. En conséquence, Monsieur le Directeur a pris la
décision de les renvoyer. Vous ne reverrez donc plus Monsieur Nicolas ni
Monsieur Jean dans l’enceinte de cet établissement.
Un
brouhaha se fit entendre. Monsieur Lionel intervint :
-
Je n’ai pas fini !
Les remplaçants de ces deux professeurs arriveront demain matin avant le début
des cours. A 8h15 précises, vous devrez être dans le hall pour les accueillir. Monsieur
Yves se chargera de vos cours de philosophie. Monsieur Raphaël, lui, se
chargera de vos cours de littérature. Ils reprendront évidemment le même programme
que celui que vous aviez avec vos précédents professeurs : donc tous les
devoirs et évaluations que vous aviez en cours avec Monsieur Jean et Monsieur
Nicolas sont maintenus.
Une
vague de déception submergea la totalité de la pièce.
-
J’en ai
maintenant terminé pour les nouvelles d’aujourd’hui, dit Monsieur Lionel. J’espère
que vous avez bien profité de votre tranquille journée aujourd’hui puisqu’à
partir de maintenant, nous reprenons le rythme normal du Pensionnat. Extinction
des feux à 21h précises. Bonne fin d’appétit, mesdemoiselles.
Les
discussions autour des deux nouveaux profs durèrent jusqu’au coucher. A quoi
allaient-ils ressembler ? Seraient-ils gentils ou impitoyables ? Réponse
dès demain matin. Ils auraient deux heures chacun pour m’aider à me faire une
opinion sur eux.
Je m’endormis avec la hâte de découvrir
ces deux nouvelles têtes.
A suivre…
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