Vendredi 1er
novembre 2019
Je me réveillai aux environs de huit heures. Etant en
vacances, j’aime beaucoup faire la grasse matinée : je me rendis compte
que je ne l’avais pas forcément faite cette semaine.
En m’asseyant dans mon lit
pour m’étirer, je sentis que mon derrière était encore fort douloureux :
mon père n’y avait pas été de main morte avec moi hier soir ! De toute
façon, il fallait bien que je me rende à l’évidence : Michael et Scarlett
ne donneront jamais de petites tannées. C’était à moi de me tenir à carreaux
sinon… tant pis pour mes fesses !
Je me décidai à rejoindre la pièce à vivre de la suite pour mon petit déjeuner. Mes parents étaient déjà. En arrivant, j’eus l’impression de les déranger car ils étaient en train de discuter.
-
Coucou Marie chérie, me dit Scarlett. Comment s’est
passée ta dernière nuit à Londres ?
-
Bien… répondis-je, hésitante. Vous voulez que je
vienne déjeuner un peu plus tard pour vous laisser parler tous les deux ?
-
Non, non ! me rassura Michael. Tout va
bien, ma puce. Viens t’installer.
Ma mère se leva immédiatement
pour me préparer mon petit déjeuner habituel, tandis que mon père me mit un petit
sac plastique sous le nez.
-
Tes médicaments pour aujourd’hui, dit-il. Prends-les
immédiatement.
Je ne bronchai pas étant
donné l’épisode d’hier soir. On peut dire que ça calme.
Mes médicaments pris et mon petit déjeuner servi, je
demandai à mes parents :
-
Je peux vous demander de quoi vous parliez ?
-
Nous parlions du départ d’Elsa et Victoire qui nous
affecte beaucoup ; en plus tout s’est fait derrière notre dos, dit
Scarlett. Nous parlions également sérieusement du fait de rester tous les quatre ou de
prendre des filles supplémentaires…
-
Et ? coupai-je précipitamment, crevant d’envie
de savoir.
-
Et pour le moment, nous allons finir l’année
scolaire à quatre, juste Louise, toi, papa et moi. M’annonça Scarlett. Nous
verrons l’année prochaine si nous changeons d’avis.
D’un côté, j’étais très
contente que Louise soit ma seule sœur et que nous ayons une vie de famille
rien qu’à quatre. D’un autre côté, cela me faisait de la peine pour Anaïs qu’elle
ne puisse nous rejoindre ; et puis je pensais à toutes ces jeunes filles
qui n’avaient pas des parents dignes de ce nom et qui auraient pu profiter de l’amour
de Michael et Scarlett. Cependant, c’était la décision de mes parents et ils ne
reviendraient pas dessus pour le moment.
-
Vous parliez de quoi d’autre ? me renseignai-je.
-
De choses qui ne regardent que ton père et moi,
trancha Scarlett.
Bon, ça, c’est fait. Ça m’apprendra
à poser trop de questions. Je rebondis :
-
Je sais qu’Elsa et Victoire vous ont brisé le cœur,
mais Louise et moi allons nous atteler à le reconstituer. Je ne sais pas si
Louise ira jusqu’au doctorat, mais pour ce qui est de mon cas, vous allez m’avoir
sur le dos durant les huit prochaines années !
-
On ne peut pas prévoir l’avenir, ma puce, me dit
Michael. Regarde ce qui s’est passé avec Tom et Dana…
-
C’est totalement différent ! protestai-je vivement.
Je serais encore chez eux s’ils avaient choisi leur famille au lieu de leur
boulot !
Voyant que c’était un sujet
sensible, Michael me rassura :
-
Maintenant que tu vis chez nous et que nous t’élevons,
tu seras toujours notre fille, ma puce.
-
Même lorsque vous aurez vos propres enfants ?
interrogeai-je pour me rassurer.
Je vis mes parents échanger un
regard gêné. Je demandai :
-
Quoi ? J’ai dit une bêtise ?
-
Pour le moment, nous ne voulons pas d’enfant
biologique, m’expliqua Scarlett. Nous ne savons pas si nous en voudrons un jour…
-
Pourtant, dis-je, lorsque Louise et moi sommes
arrivées il y a deux semaines, vous nous avez dit que vous en voudriez plus
tard…
-
C’était pour ne pas vous choquer, dit Scarlett. La
société accepte encore mal l’idée qu’un jeune couple ne veuille pas d’enfant. C’est
une des premières questions que l’on nous pose lorsqu’on rencontre une nouvelle
personne : vous êtes marié(e) ? Vous avez des enfants ? Et
lorsque nous répondons que nous n’en voulons pas, nous devons faire face à un « pourquoi ?! »
terriblement accusateur. Nous vous avons Louise et toi, c’est tout ce qui
compte. Pour nous, vous êtes nos filles.
-
Mais… Cela ne vous gêne pas que nous ayons déjà
dix-huit ans ? demandai-je. Enfin, j’veux dire… Les couches, les biberons…
-
…Les heures de sommeil en moins, les microbes,
les rendez-vous chez le pédiatre, la bave et les petits pots ? continua Michael.
Non, merci. Cela ne nous attire pas le moins du monde ! Et d’ailleurs,
avant que la solution d’être famille d’accueil nous soit proposée, nous avions
fait une demande d’adoption pour adopter un(e) adolescent(e).
-
Ah, donc vous vouliez quand même des enfants à
vous, mais déjà grands ! conclus-je.
-
Exact, dit Michael. Et je te signale que j’aurais
pu être ton père biologique ! Certes, je t’aurais eue jeune, mais je le
pourrais !
-
Ma mère biologique n’a qu’un an de plus que toi,
annonçai-je. Donc oui, tu aurais carrément pu être mon père biologique.
-
Lorsque nous avons pris la décision d’être
famille d’accueil et qu’Elsa, Victoire et Emilie ont débarqué chez nous, c’était
le plus beau jour de notre vie, dit Scarlett avec nostalgie.
-
Emilie ? m’étonnai-je. C’est qui, Emilie ?
-
Elle n’est restée que deux jours chez nous avant
de partir pour l’armée, m’expliqua Michael.
-
Ah.
-
Maintenant qu’Elsa et Victoire s’en vont elles aussi,
ça va vraiment faire un grand vide dans nos cœurs, continua Scarlett. Heureusement
que Louise et toi êtes là.
-
Et comme je vous l’ai dit, je suis là pour un paquet
d’années ! Et même après mes études, vous serez toujours mes parents !
Avec vous, je ressens un esprit de famille très fort que je ne ressentais pas
avec Tom et Dana. C’est comme si… Je vous avais attendu depuis tout ce temps.
Mes parents se levèrent pour
me prendre immédiatement dans leurs bras. Ce câlin à trois terminé, je repris :
-
Mes parents ont divorcé lorsque j’avais deux ans.
Je ne me souviens même pas de les avoir vus ensemble. Et puis mon père est décédé…
Et puis ma mère s’est construit une nouvelle famille… Depuis que je suis
arrivée chez vous, c’est la première fois que j’ai l’impression d’appartenir
pleinement à une famille. Cela n’enlève rien à l’amour exponentiel que je porte
à ma mère biologique, mon beau-père et mon p’tit frère ! C’est juste…différent.
Mes parents écoutaient ce déballage
avec attention. Je me confiais à eux jusqu’à ce que Victoire nous rejoigne, mettant
un point final à cette séquence-émotion.
Avec la présence de Victoire, l’ambiance était carrément plus tendue.
Mes parents avaient du mal à accepter qu’elle ait décidé de partir en faisait
tout cela dans leur dos et clairement, je les comprenais. A la place d’Elsa ou
de Victoire, j’aurais raconté à mes parents ce qui se passait et j’aurais
essayé d’en parler avec eux ; surtout que Michael et Scarlett sont très à l'écoute de leurs filles.
D’ailleurs, l’ambiance était tellement tendue que le
ton monta très vite :
-
Est-ce que tu gardes ce bébé juste pour échapper
au système ? demanda Michael pour en avoir le cœur net.
-
Ce n’est pas ton problème ! rétorqua
Victoire.
-
Tu parles autrement à ton père, Victoire ! reprit
machinalement Scarlett.
-
Il n’est plus mon père, ok ?! pesta la future
mère. On a joué à ce petit jeu durant huit semaines, c’était sympa mais on s’arrête
là, d’accord ?! Fabien vient me chercher à la sortie de l’Eurostar à 17h
et ensuite on ne se reverra plus ! Je reprendrai mon nom et mon indépendance,
et byebye !
Michael et Scarlett avaient
tous les deux les larmes aux yeux. Ils étaient aussi bouffés par une violente
colère. Alors que chacun se retenait de flanquer une volée à Victoire, je me
dévouai : avec ma main semi-plâtrée, je choppai l’arrière de la tête de
Victoire et la plaquai très violemment dans son assiette d’œufs brouillés. Au passage,
l’assiette fendue avait fait une égratignure sur le front de mon ancienne sœur.
En relevant la tête, Victoire s’adressa
à mes parents, le visage plein d’œufs brouillés :
-
Vous ne dîtes rien ?! Comment ça se fait
que vous ne !a défoncez pas ?!
-
Nous ne sommes plus tes parents et elle n’est
plus ta sœur, dit froidement Michael. Pourquoi dirions-nous quelque chose ?
Je jubilais de la réplique de
Michael. Bien fait !
Seule Elsa, s’étant levée,
aida Victoire à nettoyer sa plaie au front.
-
Sur ce, je vais prendre un bain !
annonçai-je en sortant de la pièce.
Je n’en
revenais pas qu’Elsa et Victoire infligent cela à des personnes qui ont pris soin
d’elles pendant huit semaines. Des personnes qui les ont nourries, logées,
blanchies, qui leur ont payé tout ce dont elles avaient besoin et qui sont
allées jusqu’à leur offrir de luxueuses vacances à Londres ! Et surtout : des
personnes qui leur ont donné tout l’amour dont ils étaient capables. Il fallait
vraiment n’avoir qu’un cœur de pierre pour faire un coup comme ça.
Malgré l’abandon dont ont fait preuve
Tom et Dana envers moi, je les aime toujours. Je sais que je les aimerai
toujours. Il faut juste que ma colère actuelle passe.
Mes parents
n’ayant pas le cœur d’aller au restaurant, nous fîmes livrer le déjeuner par le
room service ; puis nous fîmes nos bagages. Je réclamai à mes parents de
revenir à Londres, ils acceptèrent volontiers à condition que mon comportement
et mes résultats scolaires soient à la hauteur de leurs attentes. Les sachant
fans de l’Angleterre, je savais que cette condition n’était qu’une carotte virtuelle :
quoiqu’il arrive, nous reviendrons.
Je n’ai habituellement
pas le droit de contacter ma famille biologique la semaine sans être hors la
loi. Cependant, vu ma demande spéciale, mes parents acceptèrent que je fasse
une entorse pour que j’appelle ma mère :
-
Oui ?
-
Coucou maman !
-
Coucou ma chérie ! Comment vas-tu ?
-
Super et toi ?
-
Génial ! Alors, l’Auvergne ?
-
Je te raconterai. Je voulais juste te demander
quelque chose.
-
Dis-moi mon cœur.
-
Michael et Scarlett n’ont pas trop le moral :
est-ce que ça te dérange si je passe la journée de demain avec eux ?
-
Non pas du tout ! dit ma mère. Surtout que
j’ai une journée chargée demain, nous ne nous serions pas beaucoup vues de
toute façon.
- Cela tombe bien, alors ! Et d’ailleurs : Michael et
Scarlett veulent vous inviter au restaurant demain soir pour apprendre à vous
connaître. Tu serais ok ?
-
Eh bien… Ton beau-père est en déplacement pour
le travail donc il ne sera pas présent. Mais moi, oui ! J’accepte avec
plaisir !
-
Super !
-
Ton p’tit frère est invité aussi ?
-
Oui, bien sûr ! Et Mathieu aussi !
-
Bon ben super alors. Tu m’envoies l’adresse et l’heure
par SMS ?
-
D’accord ! A demain maman !
-
A demain, mon amour.
-
Je t’aime plus que tout.
-
Moi aussi ma chérie. A demain !
Je raccrochai et fis part de
la réponse de ma mère à mes parents adoptifs. Ils furent ravis et cela leur remonta
un peu le moral. Puis, ils appelèrent Louise pour demander à faire la même chose
avec ses parents. Rendez-vous pris pour ce soir.
A la sortie de l’Eurostar, il n’y eut pas d’au revoir
déchirants entre Elsa et Victoire, et Michael et Scarlett. Elsa et Victoire
furent glaciales. Victoire dit :
-
Bon ben, au revoir. Et merci de vous êtes
occupés de nous. A plus.
-
Ouais, voilà, enchaîna Elsa. Tout pareil. Salut.
Une fois qu’elles eurent le
dos tourné, Scarlett fondit en larmes dans les bras de son mari. J’entourai mes
parents de tout l’amour que je pouvais donner à ce moment-là. Ils me faisaient vraiment
beaucoup de peine.
Dans le taxi nous ramenant à la maison, Scarlett était
toujours aussi triste. Je lui tenais la main pour essayer de la réconforter.
Michael aussi avait le cœur brisé, seulement, en tant qu’homme, il le camouflait
mieux que sa femme.
Je fus contente de rentrer à la maison et de
retrouver ma chambre. Avec le départ d’Elsa et Victoire, nous décidâmes de modifier
la maison : je transférai ma chambre dans celle d’Elsa (bien plus
spacieuse) et ma chambre devint le bureau de Scarlett. Mes parents transformèrent
la chambre de Victoire en salle de sport (les appareils étaient jusqu’à
maintenant dans une salle du sous-sol).
Le temps de faire tout cela et de prendre une douche,
il était l’heure de rejoindre Louise et sa famille biologique au restaurant.
Nous les rejoignîmes dans un restaurant italien du
centre-ville. Nous fûmes les derniers à arriver. Après s’être cordialement dit
bonjour, nous nous assîmes. Louise était avec son père, sa mère et sa grande sœur.
Je trouvai que Louise ne ressemblait ni à son père,
ni à sa mère et encore moins à sa sœur. Pourtant, ils sont tous les quatre blonds
et on voit un léger air de famille mais cela s’arrête là. C’était la première
fois que je voyais un enfant qui ne ressemblait pas à ses parents. C’était
vraiment drôle ! J’étais d’ailleurs la seule à trouver que Louise était à
part : Michael et Scarlett trouvaient la ressemblance entre Louise et son
père absolument flagrante !
Le repas se déroula très bien. La famille de Louise est
très sympathique. Bien qu’il y ait un décalage de niveau social (Michael
et Scarlett sont des gens très aisés, la famille de Louise est issue - comme la
mienne - de la classe moyenne qui lutte pour s’en sortir à la fin de chaque
mois), le courant passa très bien.
-
Comment avez-vous vécu le départ de Louise en
famille d’accueil ? demanda Michael. Parce qu’au final, nous avons le beau
rôle ! Ça a dû être plus difficile pour vous !
-
Oui, d’autant que nous sommes très fusionnels
avec nos deux filles, répondit la maman de Louise. Gérer la séparation est déjà
compliqué, alors gérer en plus le fait que Louise ait de nouveaux parents…
-
Ne vous inquiétez pas, nous la traitons comme si
c’était la nôtre, rassura Scarlett.
-
Oui, nous n’en doutons pas, répondit le papa de
Louise. Notre fille a eu beaucoup de mal à changer de famille : elle s’était
attachée et habituée à Tom et Dana. Changer n’a pas été facile pour elle. Maintenant
qu’elle est chez vous, elle s’y sent vraiment bien !
Louise confirma d’un vif signe
de tête accompagné d’un grand sourire.
-
Votre
fille est vraiment agréable, dit Scarlett. C’est un réel plaisir de l’élever !
La famille
Vasseur fatiguée par la route du retour de Bretagne, le dîner ne s’éternisa
pas. Il n’était même pas vingt-trois heures lorsque nous rentrâmes à la maison.
Après avoir
pris une douche, je pris mes médicaments du soir et rejoignis mes parents dans
le salon. Nous bûmes un thé ensemble et j’en profitai pour demander si nous
pouvions repeindre ma nouvelle chambre en rose, la couleur jaune pastel ne me
plaisant pas. Michael et Scarlett acceptèrent et déclarèrent même que ce serait
notre mission de demain : peindre ma chambre en rose, avec un mur à
paillettes. Scarlett m’annonça que nous irions faire quelques emplettes pour
que je puisse décorer ma nouvelle pièce comme je le souhaite.
Mon thé
terminé, mes parents m’envoyèrent me coucher. La journée de demain s’annonçait
chargée !
A
suivre…
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