Mercredi 2
octobre 2019.
Lasse. C’est l’état dans lequel je me réveillai ce
matin. J’en avais marre d’être ici, marre de prendre des roustes ; et je
ne voyais absolument aucune échappatoire jusqu’à l’obtention de mon bac au mois
de juillet. De plus, ce ne serait qu’une pause de deux mois puisque mes études
supérieures me conduiraient dans un nouveau pensionnat de ce genre.
Ce système de répression intense
n’était clairement pas fait pour moi. Malgré les amies que je me suis faite
ici, mon affection pour Monsieur Éric et mon amour pour Monsieur Matthieu, je
souhaitais plus que tout au monde reprendre mon ancienne vie : retourner dans
mon ancien lycée.
En sortant de ma chambre, je croisai Monsieur Éric.
Avant même de lui dire bonjour, je lui lançai :
-
Je veux voir le psychologue.
-
Bonjour Clémence, répondit-il en tentant de
rester stoïque. Tu es sûre que tu veux voir le psychologue ?
-
Oui.
-
C’est à cause de la fessée que je t’ai donnée
hier soir ? s’inquiéta-t-il.
-
Je veux voir le psychologue. En urgence,
Monsieur. S’il vous plaît.
-
Tu acceptes d’aller déjeuner avant ?
J’hochai la tête et retournai
dans ma chambre pour aller faire mon lit et m’habiller.
Monsieur Eric était inquiet. Depuis l’estrade où il déjeunait
avec les membres de la Direction et les professeurs, il ne cessait de me jeter
des coups d’œil. Je sentais qu’il se posait des questions : Avait-il été
trop loin hier soir ? S’était-il trompé sur toute la ligne sur la
façon de s’y prendre avec moi ?
Je pris mon petit déjeuner dans le silence le plus total,
les yeux rivés sur mon assiette, ne daignant même pas répondre aux questions de
mes amies. Mathilde n’osait même pas ouvrir la bouche. Elle se fait toute
petite depuis que j’ai appris, samedi, qu’elle avait raconté à tout le monde
que je passais en conseil de discipline. D’ailleurs, elle peut bien continuer
de se faire toute petite : je ne suis pas près de lui pardonner une telle
chose. Que Jésus me pardonne de ne pas lui pardonner et qu’il me donne la force
de pouvoir le faire à l’avenir. Pour le moment, je l’ignore depuis samedi et je
pense que c’est la pire punition qu’elle puisse vivre, encore plus que toutes
les fessées qu’elle pourra prendre cette année.
Mon petit déjeuner pris, alors que je devais me diriger
en cours de piano, je me rendis dans le couloir médical. J’espérai de tout cœur
que Monsieur Éric n’avait pas oublié de prévenir mon prof de piano : Monsieur
Alexandre me collerait encore une fessée et je n’avais plus du tout envie d’en
prendre.
Je passai devant les portes « Infirmerie »
et « Stock matériel médical », puis devant une porte « Médecin ».
En tournant la tête à gauche, je vis enfin la porte « Psychologue ». Je
me tins devant, soupirai un bon coup, et frappai.
-
Entrez ! me répondit-on.
J’ouvris la porte et entrai.
J’arrivai dans une grande pièce qui devait faire à
peu près la taille du bureau de Monsieur Matthieu. Il y avait un long divan sur
le côté droit de la pièce, avec un fauteuil en face. Sur la gauche, un immense
aquarium regorgeant de poissons plus exotiques les uns que les autres. Au
milieu de la pièce, devant une baie vitrée prenant tout le pan de mur et donnant
sur le jardin privé de la Direction, un bureau majestueux en chêne. Derrière ce
bureau, dans un grand fauteuil noir qui aurait pu appartenir à la famille Adams,
se trouvait un homme à l’air sévère. Boule à zéro, sourcils fournis, lunettes
noires carrés, yeux noirs, bouc brun et carrure d’un videur de boîte. Je le voyais
bien me dire : « Faîtes demi-tour, Mademoiselle. Ceci est un espace
privé. ».
Une chose était sûre, il ne donnait
pas envie de se confier. Pour être sûre, je lui demandai :
-
C’est vous, le psy ?
-
Effectivement, dit-il en m’observant tout autant
que je l’observais.
-
Vous avez le droit de me punir ? De me
donner la fessée ?
Il sourit en coin et répondit :
-
Théoriquement, j’en ai le droit. Cependant, je l’ai
refusé puisque cela va à l’encontre d’un climat de confiance durable et sain.
Soulagement. D’une part parce
que je pourrais vraiment me confier à lui, d’autre part parce que cette armoire
à glace devait donner des fessées au moins aussi fortes que celles de Monsieur Matthieu.
L’idée était que je puisse parler sans avoir peur d’en prendre une.
Je m’approchai de l’aquarium. Il me regarda faire. Il
avait les coudes appuyés sur son bureau et ses mains lui soutenaient le menton.
Il avait l’air impassible.
Alors que je continuais de
regarder l’aquarium, il me dit :
-
Je suis fasciné par le monde marin. Je les
trouve intelligents, libres et majestueux.
-
Ils ne sont pas vraiment libres dans un aquarium,
dis-je.
-
En quelque sorte, ils le sont. Ils n’ont pas la
crainte qu’un prédateur viennent les dévorer. Pour pouvoir être libre, il faut
avoir un cadre.
-
Pourquoi me dîtes-vous cela ? interrogeai-je.
-
N’est-ce pas pour cela que vous venez me voir ?
-
C’est Monsieur Éric qui vous l’a dit ?
-
Personne ne m’a rien dit. Les seules
informations dont je dispose sont le fait que j’ai un rendez-vous, et l’heure
de ce dit rendez-vous. Je ne connais même pas votre prénom.
-
Alors comment pouvez-vous savoir que je viens
pour ça ? demandai-je, intriguée.
-
En vous observant, répondit-il.
-
Et que savez-vous de plus, en m’observant ?
-
Je vous propose un jeu, dit-il. Je vous informe de
quelque chose que j’ai observé sur vous, vous me dîtes si cela est vrai ou non ;
puis vous m’informez de quelque chose que vous avez observé sur moi, et je vous
dirai à mon tour si cela est vrai ou non. Êtes-vous partante ?
-
Je suis partante, j’adore les jeux, dis-je.
-
Vous êtes ici parce que vous ne réussissez pas à
vous adapter au fonctionnement de ce pensionnat, dit-il.
-
Correct, rétorquai-je. Vous êtes un psychologue.
-
Exact, ria-t-il. Ce n’est pas quelque chose que
vous avez observé, je me trompe ?
-
Vous vous trompez, dis-je. Je l’ai observé avec
la plaque sur votre porte.
-
Très bien, ria-t-il. Vous aimez contourner les
règles.
-
Correct, admis-je. Comment le savez-vous ?
-
C’est ce que vous essayez de faire avec notre
jeu. A vous.
-
Vous avez l’apparence de quelqu’un d’extrêmement
sévère mais vous êtes un nounours, à l’intérieur, tentai-je.
-
Ce n’est qu’à moitié exact. Vous trouvez que j’ai
l’air de quelqu’un d’extrêmement sévère ?
-
Oh oui. Vous pourriez être le remplaçant de Monsieur
Éric.
Le psy ria une nouvelle fois
et enchaîna :
-
Et vous pensez que je suis un « nounours »
à l’intérieur ? Qu’entendez-vous par cela ?
-
Vous êtes hyper gentil et vous ne feriez pas de
mal à une mouche. Vous avez l’autorisation de donner des fessées mais vous l’avez
refusée car vous seriez incapable d’en donner.
-
J’en serais capable pour un motif valable,
néanmoins j’ai un seuil de tolérance plus élevé que la plupart de ceux qui ont
le même droit que moi ici. De plus, je ne vous ai pas menti : je refuse de
m’adonner à cette pratique pour favoriser un climat de confiance.
-
Je fais confiance à Monsieur Éric, dis-je.
-
Lui confiez-vous toutes vos craintes en étant sûre
de pas risquer de recevoir une fessée ?
-
…
-
C’est bien là ce que je tente de vous expliquer.
Je marquai un temps de silence
puis demandai :
-
Comment vous appelez-vous ?
-
Emmanuel. Mais vous pouvez m’appeler Manu. Et vous ?
-
Clémence. Mais vous pouvez m’appeler Clem.
Peut-on se tutoyer ?
-
J’attendais que tu le proposes.
Il y eut de nouveau un temps
de silence, puis Manu dit :
-
Pour la suite de cette séance, je te propose que
nous augmentions notre confort. Je vais aller m’asseoir sur le fauteuil et toi
sur le divan. Tu n’es pas obligée de t’y allonger, Clem. Tu peux aussi t’y
asseoir ou t’y mettre dans la position souhaitée par ton corps et ton esprit.
La seule chose que je te demande est d’enlever tes chaussures si tu souhaites poser
un ou deux de tes pieds sur le divan.
J’allai m’asseoir en tailleur
après avoir enlevé mes chaussures. Manu s’assit à côté de moi.
-
Pourquoi es-tu venue me voir, Clem ?
-
Tu le sais déjà.
-
Je souhaite que tu le formules à ta façon.
-
Je n’en peux plus d’être ici. J’en ai
profondément marre.
-
Pourquoi te sens-tu tant lassée ?
-
J’ai l’impression que quoique je dise, quoique
je fasse ici, je prends une fessée. Même lorsque je fais ce qui me semble
juste.
-
Cela fait approximativement vingt-cinq jours que
tu es ici, c’est exact ?
-
Vingt-sept jours, exactement. Aujourd’hui, c’est
le vingt-huitième jour.
-
En vingt-huit jours, combien y’a-t-il de jours
où tu n’as reçu aucune punition ? Pas une, de toute la journée ?
-
Deux, peut-être trois.
-
Est-ce ta vision des choses ou est-ce la réalité ?
Pour que Manu en ait le cœur net,
je me levai et me tournai dos à lui. Je relevai ma jupe et baissai ma culotte pour
lui montrer l’état de mes fesses. Une fois ceci fait, je me rhabillai et me rassis
en tailleur.
-
C’est la réalité, Manu. Un ou deux jours, peut-être
trois.
-
On peut donc élever le compte à vingt-cinq fessées,
dit-il.
-
Il y a des jours comme hier où j’en ai pris plusieurs
en une journée. On pourrait aisément élever le compte à trente-cinq ou
quarante.
-
Par qui ces nombreuses fessées ont-elles été données ?
-
Les membres de la Direction, les profs… Et trois
ou quatre par des surveillantes.
-
Te souviens-tu pour quelles raisons ?
-
Il y en a qui ont été collectives, à la suite
d’une bêtise ou d’un mauvais travail de la classe. Dans ce cas, nous prenions
toutes, peu importe que l’on soit fautives ou non. Mais la plupart du temps, c’est
parce qu’ils considèrent que j’ai désobéi.
-
Ils considèrent ? Tu ne penses pas avoir
désobéi ?
-
Il y a beaucoup de fessées que j’ai prises qui
étaient totalement injustes. Par exemple, lorsque j’arrive en retard en cours
de piano à cause d’un prof ou d’une camarade, je vais prendre une fessée. Cependant,
j’admets aussi que j’ai fait beaucoup de bêtises. Je suis très loin d’être une
enfant de chœur. J’ai toujours été du genre à enfreindre les règles. Mais ici…
-
Ici ?
-
Eh bien, lorsque j’enfreignais une règle à l’extérieur,
j’avais parfois droit à une fessée à la maison ; mais c’était loin d’être
tous les jours et c’était beaucoup moins sévère. Ici, tout le monde nous
surveille, tout le monde peut nous tomber dessus à tout moment. Que ce soient
les profs, les surveillantes… Tout le monde a droit de nous punir, c’est injuste !
-
Si je comprends bien, tu voudrais que moins de
personnes aient l’autorisation de te punir. C’est ça ?
-
Oui.
-
Pourquoi ?
-
Pour pouvoir faire ce qui est juste à mes yeux
sans me faire punir à longueur de temps.
-
N’est-ce pas injuste de pouvoir faire des
bêtises en toute impunité ?
-
Je ne parle pas de faire des bêtises, seulement
de faire ce qui est juste.
-
Peux-tu développer ?
-
Eh bien… Par exemple, défendre une camarade qui
se fait injustement gronder. Je vais être punie pour avoir été insolente.
-
Ne pourrais-tu pas défendre cette camarade sans
insolence ?
-
Dès que l’on va à leur encontre, ils nous
déclarent automatiquement insolentes…
-
Es-tu sûre que cette camarade se fait
injustement gronder ? Etais-tu là lors de sa faute ?
-
Non mais… C’est un exemple !
-
Certes mais cet exemple pourrait devenir concret
incessamment sous peu, non ?
-
Oui.
Manu soupira puis reprit :
-
Clem, es-tu venue ici pour trouver une
légitimité à tes bêtises et ainsi discréditer toutes les punitions qui t’ont
été infligées ?
-
Non ! Je suis venue parce que j’en ai marre
d’être ici.
-
Pourquoi ?
-
Parce que j’en ai marre de prendre des fessées !
-
Pourquoi ?
-
Dois-je vraiment répondre à cette question ?
-
Non. Ici, il n’y a rien que tu ne doives faire.
Tu n’es obligée de rien. Nous discutons simplement, et nous réfléchissons ensemble
à des pistes pour régler les soucis que tu avances.
- Tu me demandes pourquoi j’en ai marre de
prendre des fessées ?!
-
Oui, je te le demande.
-
Parce que ça fait mal, bon sang ! Ça fait atrocement
mal, c’est infantilisant, c’est humiliant… Et suivant la personne qui la donne,
tout cela est potentiellement augmenté ! Je préférerais mille fois prendre
une gifle ou une beigne… A croire que le sadisme de ce pensionnat fait tout
pour nous dissuader de faire des bêtises.
-
Tu penses entrer dans une forme de résistance en
faisant des bêtises, Clem ?
Ce que Manu venait de dire n’était
absolument pas bête.
-
Peut-être, répondis-je.
-
Comment as-tu atterri ici ?
-
Mon frère et ma sœur m’ont inscrite, après mon
échec au bac.
-
Donc tu as été inscrite de force. Contre ta
volonté.
-
Oui.
-
De façon inconsciente, ne ferais-tu pas tout ce
qu’il faut pour te faire renvoyer et prendre ta revanche sur ton frère et ta sœur ?
-
Peut-être.
-
Cependant, tu sais qu’il est impossible pour toi
d’être renvoyée d’ici puisque cet établissement ne cède pas à cela. Ton seul
gain est un état déplorable pour ton postérieur, ressemblant à celui que tu
viens de me montrer.
-
Où veux-tu en venir ?
-
Comment s’appellent ton frère et ta sœur ?
-
Côme et Célestine.
-
En tentant de faire payer à Côme et Célestine ton
inscription ici, c’est à toi que tu fais du mal. Et cela te rend malheureuse.
-
Je ne suis pas malheureuse…
-
Alors, qu’est-ce qui t’a fait entrer dans mon
bureau ?
-
Ma lassitude.
-
La lassitude est une forme de malheur, dit Manu.
-
Admettons que j’oublie ma pseudo vengeance comme
tu dis, repris-je. Je n’ai pas forcément envie non plus de me plier aux règles
d’ici !
-
Pourquoi ?
-
Je n’aime pas les règles. Elles sont faites pour
emmerder le monde.
-
Tu es sûre de cela ?
Je ne répondis pas.
-
Je vais te laisser y réfléchir.
Je remis mes chaussures. Une
fois que j’eus fini, Manu me dit :
-
Je veux te revoir, Clem. Pour le moment, nous
nous verrons tous les jours, à raison de quinze minutes, comme aujourd’hui. Tu
es d’accord ?
J’acquiesçai de la tête.
-
Bien, alors nous nous reverrons le lundi de la
rentrée, à 17h. D’ici là, je te souhaite de très bonnes vacances, Clem. En
attendant que nous nous revoyons, je te demande donc de réfléchir aux règles :
essaie de faire par écrit un tableau avec ce qu’elles peuvent apporter et ce qu’elles
peuvent enlever. Est-ce que tu as des questions ?
-
Non, c’est bon.
-
Bien. Profite de tes vacances, Clem. A bientôt.
-
A bientôt, dis-je.
Je sortis du bureau de Manu
avec un cerveau bouillonnant de réflexions. En jetant un œil dans le couloir,
je vis que Monsieur Éric m’attendait.
-
Alors ? Comment ça s’est passé ?
-
Très bien. Il est génial, votre psy. Pourquoi
est-ce que vous m’attendiez ?
-
Eh bien, pour savoir comment ça s’était passé…
-
Vous regrettez la fessée que vous m’avez donnée hier ?
demandai-je d’un air malicieux.
-
Non, je ne regrette aucune fessée donnée,
Clémence. Mais j’ai été sévère hier. Je veux m’assurer que tu vas bien.
-
Vous regrettez, insistai-je en affichant un
sourire.
-
Je ne regrette pas, Clémence ! gronda-t-il.
Et tu as d’ailleurs intérêt à te tenir à carreaux aujourd’hui ! Monsieur
Alexandre t’attend dans dix minutes. Je te déconseille d’être en retard !
Le Dirlo quitta le couloir
médical d’un pas colérique. Souriante malgré mes réflexions tournant en boucle
dans ma tête, je me dirigeai vers la salle de musique.
Je ne sais si ce fut les paroles du psy qui résonnèrent
dans ma tête ou si j’eus une chance inouïe, mais rien ne tomba sur mes fesses
aujourd’hui. Lorsque j’allai me coucher, Monsieur Éric dit d’ailleurs que ce
jour était à marquer d’une pierre blanche, et qu’il espérait grandement que les
suivants le soient aussi. Il ajouta un : « Je suis fier de toi, Clémence. »,
avant de m’envoyer au lit.
A suivre…
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Exprimez-vous !