Mercredi 20 novembre
2019
Ce
matin, je pris un plaisir incommensurable à rester au lit. Je laissais mes yeux
fermés et m’inventais des rêves aussi beaux les uns que les autres. Je ne sortis
de ma rêverie qu’aux alentours de dix heures et demie.
Après
un bon bain chaud, je m’habillai et me mis à faire mes devoirs dans la salle à
manger jusqu’à midi, heure à laquelle mon père descendit pour le repas.
-
Tu
es toute seule ma princesse ? me demanda-t-il avant de m’embrasser sur le
front.
-
Oui,
je ne sais pas où sont Louise et Anaïs, répondis-je en haussant les épaules.
-
Elles
doivent être en train de travailler dans leurs chambres. Tu ne les as pas
croisées du tout ?
-
Non
papa.
-
Pas
même au petit déjeuner ?
-
Je
n’ai pas pris de petit déjeuner, dis-je sans penser aux conséquences.
-
Je
peux savoir pourquoi ? demanda mon père en fronçant les sourcils.
-
Ce
n’est pas ce que tu crois ! me défendis-je immédiatement. C’est parce que je
me suis levée tard et que je ne voulais pas manquer d’appétit pour ce midi !
-
Et
ton médicament ? interrogea Michael. Tu l’as quand même pris ?
-
Euh…
-
Ne
me mens surtout pas sinon je te démonte ! gronda le père de famille.
-
J’ai
oublié, avouai-je.
-
Marie,
qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse pour que tu penses à le prendre tous les jours ?!
On te le dit gentiment, ça ne fonctionne pas ! On te gronde, ça ne
fonctionne pas non plus ! Même la fessée ne marche pas ! Que fait-on ?!
On t’étripe ?!
-
Mais
papa, c’est la première fois que je l’oublie depuis je ne sais pas combien de
jours ! Pour une fois, tu ne vas tout de même pas…
-
Quoi ?!
coupa Michael. Je ne vais tout de même pas quoi ?! Te punir ?! Eh
bien si, Marie ! Parce que si je laisse passer cette unique fois-là, il y
en aura d’autres ! Et s’il y a bien une chose que je ne souhaite pas c’est
que ta santé paye pour ma clémence ! Alors tant pis pour toi.
Michael me cala sous son bras si vite que je n’eus
même pas le temps de fuir. Déculottée, je reçus dix bonnes claques intensément
douloureuses, notamment à cause des volées reçues précédemment. Je ne sais si
je me mis à pleurer de douleur ou d’injustice. Ma matinée avait vraiment bien commencé,
je n’avais pensé qu’à mon bien-être pour une fois, et je l’avais même terminée
en faisant mes devoirs. Je haïssais mes médicaments, haïssais cette maladie, et
haïssais mon père d’être aussi dur. D’ailleurs, je n’adressai ni une parole
ni un regard à mon père de tout le repas.
-
Papa
commence à monter en pression, me dit Louise sur le chemin de la fac. Plus tu
vas lui faire la gueule, plus il va s’énerver.
-
Alors
vas-y Einstein ! rétorquai-je. Trouve-moi un meilleur moyen de montrer mon
mécontentement !
-
Mais
quel mécontentement, Marie ?! Ok, tu as pris une déculottée ce matin, soit !
En même temps, elle était justifiée, non ?
-
Ferme
ta grande bouche, maintenant ! grondai-je.
-
Tu
me parles autrement ! répliqua Louise.
-
Je
t’ai dit de la fermer !
-
Tu
n’as pas d’ordres à me donner !
-
Ferme
ta grande gueule, d’accord ?!
-
Tu
vas me parler mieux que ça sinon je te balance aux parents !
-
Bah
vas-y ! Ne te gêne pas ! Espèce de collabo de mes deux !
Louise me gifla. Elle qui avait des ancêtres
biologiques ayant survécu aux camps de concentration nazis, cette dernière insulte
l’avait profondément blessée. Secouée par sa gifle, je me tus. Ma sœur me balança
alors froidement :
-
T’es
vraiment trop conne.
Et elle s’en alla, nous laissant sur place.
Anaïs bouche bée, et moi me tenant la joue, contrariée.
Je
profitai du cours d’histoire pour écrire un mot à ma sœur :
« Je suis désolée. Je n‘aurais pas dû dire
ça. Je t’aime. »
« Pareil » répondit-elle.
« Sœurs pour la vie ? » lui
retournai-je.
Son
message retour fut malheureusement intercepté par monsieur Montaire.
-
Ah,
je vois que mon cours ne vous intéresse pas jeune fille ! dit-il à Louise.
Dans ce cas, allez donc faire autre chose ailleurs ! Sortez de mon cours !
Et dès la fin de celui-ci, je dirai à vos parents ce que je pense de votre
concentration !
Tout en rangeant ses affaires, Louise se mit à
pleurer. Elle qui n’est pratiquement jamais punie, la petite fille et élève
modèle, venait de se faire prendre. Et tout ça, à cause de moi.
Lorsque
la sonnerie retentit, je me précipitai au CDI pour rejoindre ma sœur :
-
Je
vais tout expliquer à papa et maman, promis ! Je te jure que ça ira !
-
C’est
ma faute, Marie. Dit Louise. Je n’aurais pas dû te répondre. Je suis tout
autant fautive que toi.
-
Mais
non, voyons ! dis-je. Ecoute, je suis sûre que papa et maman comprendront.
Le cours de sciences du
langage terminé, nous nous mîmes sur le chemin du retour. Dans ma tête, je
récitais mon plaidoyer. J’étais prête à encaisser le courroux de mes parents du
moment que Louise s’en sortait indemne !
Mais en ouvrant la
porte de la maison, nous eûmes à faire à tout autre chose : quatre énormes
valises posées dans l’entrée. Anaïs, Louise et moi échangeâmes des regards
interrogateurs. Après avoir enfilé nos chaussons, nous pénétrâmes dans la pièce
à vivre et y découvrîmes quatre personnes : nos parents, ainsi qu’un
couple de personnes plutôt âgées. Elles avaient l’air d’avoir une soixantaine d’années.
-
Ohhhh !!
Mais qu’elles sont magnifiques !! s’écria la femme. En s’approchant de
nous.
Elle prit le visage de Louise entre ses mains
et lui caressa les joues avec les pouces en disant :
-
Bonjour
ma petite Louise !
Puis, elle se dirigea vers Anaïs en reproduisant
le même schéma et elle termina par moi.
-
Je
suis Anna-Beth mais vous pouvez m’appeler Granny ! Et voici Jack, votre
Grandpa !
Nous devions afficher des yeux écarquillés
puisque ma mère prit à son tour la parole :
-
Les
filles, je vous présente mes parents, donc vos grands-parents. Ils passeront
les cinq prochains jours avec nous.
-
Puisqu’ils
ont débarqué à l’improviste, ajouta Michael.
-
Ils
voulaient absolument vous rencontrer, continua Scarlett.
-
N’empêche
qu’ils auraient pu prévenir, continua papa.
-
Oui,
ben maintenant ils sont là, alors ils dormiront dans la chambre d’amis.
-
Ben
oui, ils ne vont pas dormir par terre ! railla Michael.
-
Il
a toujours été un peu coquin ton Michael ! ria la grand-mère. Hein, Scar ?
Scar ? C’est quoi ce surnom ? Je
pensai immédiatement au Roi Lion.
Berlioz vint se frotter à mes jambes pendant
que je passais mes nouveaux grands-parents au scanner.
Ma mère ressemblait à sa mère comme deux gouttes
d’eau. La même blondeur (sûrement une teinture !), les mêmes yeux profondément
bleus, la même intensité dans le regard, la même silhouette parfaite… On aurait
dit Barbie avec trente ans de plus. Néanmoins, cela se voyait qu’elle avait eu
recours à la chirurgie esthétique.
Mon grand-père quant à lui, ressemblait pas mal
à Sylvester Stallone. Grand, plutôt baraqué, il avait l’air d’un ancien
militaire.
-
Tenez,
dit notre grand-mère en allant prendre trois petits paquets sur le bar de la
cuisine, ce sont des cadeaux pour vous de la part de vos tantes Heather et Beverly.
-
Maman,
tu as deux sœurs ? demandai-je, l’ayant toujours crue fille unique.
-
Bien
sûr qu’elle a des sœurs, voyons ! ria Anna-Beth.
Dans mon paquet, se trouvait un bracelet qui
valait sans doute le prix d’une voiture. Mes sœurs avaient également eu chacune
un bijou de grande valeur.
-
Elles
n’ont pas besoin de cadeaux, elles ont tout ce qu’il faut ! dit Michael qui
avait l’air agacé.
-
Mes
filles ont voulu faire plaisir à leurs nièces, qu’y-a-t-il de mal à ça ?
demanda Jack qui ouvrait la bouche pour la première fois.
-
Comment
se fait-il que vous parliez un français si parfait ? demanda Anaïs. D’habitude,
les vieux ne connaissent que leur langue !
-
Anaïs !
gronda maman.
-
Non,
ce n’est rien, ne la réprimande pas, Scar ! dit gentiment Granny.
-
Elle
vient de nous insulter, quand même ! précisa Grandpa.
-
Non
ce n’est pas une insulte ! corrigea la grand-mère. Il est vrai que nous
sommes vieux ! Et pour répondre à ta question ma chérie : la nurse de
nos filles était française, nous avons appris la langue avec elle.
-
Jack,
Anna-Beth, si vous alliez vous installer dans votre chambre pour prendre vos
marques ? proposa Michael. Nous devons parler avec Louise.
-
Papa,
je vais tout t’expliquer, c’est entièrement ma faute !
Devant mes deux sœurs, mes parents et mes
grands-parents – restés dans la pièce –, je déployai mon plaidoyer avec brio.
-
J’entends
ce que tu as dit mais ta sœur t’a tout de même répondu en plein cours d’histoire !
Donc vous méritez toutes les deux d’être punies !
-
Si
Scarlett avait fait une telle bêtise, il est sûr qu’elle aurait fini avec le
derrière écarlate ! commenta Jack. Les études, il ne faut pas plaisanter avec !
-
Juste
une petite fessée, oui, mais quand même pas une sévère correction !
enchaîna Anna-Beth.
-
Bon,
papa, maman, laissez-nous gérer, d’accord ?! demanda maman sur un ton
assez ferme pour que ses parents s’éclipsent.
-
Je
sens que la semaine va être longue, se lamenta papa.
-
Nous
tiendrons le coup, assura maman. Bon, revenons à nos moutons. Si on récapitule
bien : Louise, tu as échangé des petits mots avec ta sœur en cours d’histoire
au lieu de suivre le cours, et tu t’es fait exclure après t’être fait prendre, c’est
ça ?!
Ma sœur hocha la tête.
-
Et
toi Marie, tu es à l’origine des petits mots échangés avec Louise, n’est-ce pas ?
interrogea Scarlett.
J’hochai la tête à mon tour.
-
Ok,
conclut ma mère. Nous allons faire l’impasse sur votre dispute – qui,
croyez-nous, n’aurait pas été la même si nous avions été présents et qui n’a
pas le moindre intérêt à se reproduire – mais nous allons quand même vous sanctionner
pour ces agissements d’aujourd’hui !
-
Oh
maman, s’il te plaît ! la priai-je. J’en ai marre…
-
Ah
bon ? Tu en as marre ? Pourtant tu ne fais rien pour arranger les
choses ! Donc tu vas encore prendre une fes…
-
Non,
l’interrompit Michael devant l’étonnement général. Non, pas de fessée.
-
Et
pourquoi ça ? demanda maman.
-
Parce
que je refuse catégoriquement de donner raison à tes parents.
-
Tu
n’es pas sérieux, là ? s’étonna Scarlett.
-
Je
suis on ne peut plus sérieux. Pas de fessée pour aujourd’hui, les filles. Vous vous
en tirez avec un simple avertissement. En revanche, si nous apprenons que vous
avez réitéré ce genre de choses, ça se passera très mal ! Au prochain mot
concernant votre comportement en cours, vous aurez de quoi craindre de rentrer
à la maison ! C’est entendu ?
-
Oui
papa, répondîmes-nous, trop heureuses d’échapper à la sentence.
En montant dans ma chambre
pour faire mes devoirs, je souriais bêtement : la présence de mes grands-parents
allait être une véritable bénédiction !
A suivre…
C'est sûr que Marie va tenter d'en profiter !
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