Jeudi 21 novembre 2019.
- Super, me dit Anaïs, complètement
blasée. Un système de croix comme au CP !
- Si ça peut les empêcher
de me flanquer des roustes tous les jours, moi, je prends ! lui répondis-je.
- C’est clair !
poursuivit Louise. Comme ça, je vais passer de quelques rares fessées à plus de
fessée du tout !
Anaïs lui lança un oreiller à la figure en l’insultant
de sainte nitouche.
Nous
mîmes fin à la réunion « post-annonce parentale » et quittâmes la
chambre d’Anaïs pour aller s’habiller. Alors que nous nous préparions dans la salle
de bains, Anou remit le sujet sur la table :
- Ça veut bien dire qu’on
ne sera punies qu’au bout de trois conneries ? Genre, si on n’en fait qu’une
ou deux, ça passe ?
- Pourquoi tu n’as pas
directement posé la question aux parents quand ils ont justement demandé si on
avait des questions ? lui demanda Louise, agacée.
- Je n’ai pas osé, avoua
Ana. J’avais peur de leur réponse.
- On va quand même se
faire gronder et prendre quelques claques à chaque bêtise, si j’ai bien compris !
dis-je. Donc ça ne nous laisse pas le champ libre…
Ne pas avoir cours le
jeudi, c’est vraiment le pied. Nous pouvons pleinement profiter de notre
journée ; même s’il y a toujours les devoirs à faire ! D’ailleurs,
nous y consacrâmes notre matinée afin d’être libérées pour le reste de la
journée.
Je rangeais mes
affaires sur mon bureau lorsque je reçus un message de Marion : « Hey,
on se fait une sortie cette après-midi ! Vous venez tes sœurs et toi ? ».
Je n’eus d’autre choix que de lui répondre : « Je vois avec mes parents et
je te dis ! ».
Au repas du midi, j’attendis que tout le monde soit servi pour
demander :
- Papa, maman… Y’a Marion
qui demande si on peut sortir cette aprem…
- Ah bon ? s’étonna
Scarlett.
- Oui, répondis-je d’une voix
fébrile. Alors, on peut ?
- C’est notre après-midi
avec Anaïs, aujourd’hui, répondit Michael.
- Ok, mais Louise et moi
on peut sortir, non ? insistai-je.
- Ce serait pour aller où ?
se renseigna ma mère.
- Peu importe, ma chérie !
intervint ma grand-mère. Laissez vos filles vivre !
- Bien sûr maman, dit
Scarlett, agacée. Nous aurions tout de suite dit oui si elles ne nous avaient
pas déjà fait deux sorties en douce !
- C’est Marie ! intervint
Louise. Pas nous !
- Bien sûr, dit Michael.
Marie est allée toute seule à la fête du mercredi soir…
- Non mais pour la
plainte au commissariat…
- Stop, Louise !
trancha Michael. Arrête ça tout de suite !
- Je vous jure que nous garderons
nos téléphones sur nous et que nous ne sortirons pas de la ville, promis-je
après avoir fusillé Louise du regard. Nous ne ferons pas de bêtise ! Promis !
Allez… S’il vous plaît !
- Si vous n’êtes pas à la
maison pour dix-sept heures trente tapantes…
- Promis ! chantonnai-je.
Merciii !!
- La chance ! se lamenta
Anaïs.
- Nous allons faire de l’escalade,
c’est chouette aussi, non ? demanda Michael à sa fille.
- Vu sa masse graisseuse,
si elle arrive à escalader trente centimètres, ce sera déjà un exploit !
ria méchamment Louise.
Il y eut un silence immédiat. Louise qui est d’habitude
si bienveillante et gentille, se mettait à tacler violemment Anaïs. Ce n’était d’ailleurs
pas la première fois depuis dimanche !
- Tu t’excuses ! ordonna
papa. Immédiatement !
- Mais c’était pour
rigoler, plaida Loulou.
- Tu réponds, en plus ?!
gronda Michael. Des excuses !
- Désolée, Ana ! dit
Louise.
- Va au tableau te mettre
une croix, ordonna papa. Et ensuite, tu monteras dans ta chambre. Tu y passeras
le reste de la journée.
- Mais c’était juste une
blague ! insista Louise.
- Une blague méchante et
cruelle ! précisa Scarlett. Obéis immédiatement à ton père avant que je me
lève !
Penaude, Louise sortit de table, alla s’inscrire
une croix au tableau collé sur le frigo puis monta dans sa chambre.
- Tu sortiras donc seule
cette après-midi, Marie chérie, me dit ma mère. Nous te faisons confiance. Pas
de bêtise. Tu n’as vraiment pas intérêt.
- Vous ne pouvez pas imaginer
que je sois sage ne serait-ce qu’une après-midi ? m’exaspérai-je.
- Tu veux qu’on te
réponde sincèrement ? demanda ma mère. Après toutes les bêtises que tu
nous as déjà faites ?
- Non, ça ira,
décidai-je.
Le repas se termina dans une ambiance plus
détendue.
Marion
vint me chercher à deux heures de l’après-midi. Elle était accompagnée de neuf
copains et copines. En voyant toute cette bande-là, mon père articula
silencieusement ses lèvres en ma direction pour que je puisse y lire : « Si
tu me fais une seule bêtise… » puis il brandit sa main avant de refermer
la porte.
- Bon, où va-t-on ?
demandai-je après avoir fait la bise à tout le monde.
- Pour l’instant, on va
se faire un foot au parc !
En refermant
le portillon derrière moi, je vis Louise m’observer depuis la fenêtre de sa
chambre. Mon cœur se fissura. Je lui fis un cœur avec mes doigts avant de suivre
mes amis.
Sans
surprise, mon équipe gagna ce petit match amical bien amusant. Je me rendis
avec quelques amies à la fontaine à eau pour y boire un coup. Puis, nous
décidâmes de nous diviser en deux groupes : l’un resterait posé au parc, l’autre
irait acheter de quoi goûter à l’épicerie du coin. Les garçons furent de corvée
de courses, les filles restèrent assises sur les couvertures dans l’herbe. Nous
parlâmes ainsi des garçons en leur absence.
En
croquant dans mon pain au chocolat, je pensais à Louise. Elle aurait adoré
cette après-midi et le fait qu’elle soit punie me chagrinait.
- Vous pensez qu’on retrouvera
un jour notre vie d’avant ? demandai-je pour casser un silence dans le
groupe.
- J’pense pas, répondit
Anthony. Du moins, pas tant que l’autre imbécile sera au pouvoir.
- Cela étant, on n’a pas
trop à se plaindre, non plus ! dit Judith. On est dans des familles pétées
de thune, on est logées, nourris, blanchis, on a de l’argent de poche, des parents
qui s’occupent de nous… Moi avant tout ça, j’étais livrée à moi-même !
Personne ne s’occupait de moi !
- Oui c’est sûr, dit
Angélique. Mais le côté infantilisation et châtiments corporels, c’est moyen !
- C’est clair,
ajoutai-je. Je n’avais jamais pris de claque par mes parents avant cette
réforme ; maintenant j’en prends tous les jours !
- Tous les jours ?!
s’exclama Anthony. Mais Marie, c’est grave ! Il faut que tu portes plainte !
- Déjà fait. Les flics m’ont
ri au nez.
- C’est ce que je disais,
reprit Angélique. Les parents d’accueil n’ont aucune limite. Ils peuvent nous
frapper pour n’importe quoi, personne ne dira rien !
- Si tes parents te
tapent tous les jours, me dit Anthony, défends-toi !
Je me mis à rire. Anthony s’étonna. Ce fut
Marion qui lui dit :
- Tu vois qui sont les
parents de Marie, au moins ? Son père pèse au moins cent kilos de muscles :
s’il te met une gifle, tu traverses trois murs. Quant à sa mère, elle est
ceinture noire de plusieurs arts martiaux différents. Elle te mate en deux-deux.
- C’est à cause d’eux que
tu as un plâtre ? s’affola Anthony.
- Mais non, c’est mon
ancienne sœur qui m’a pété le bras ! le rassurai-je. Détends-toi, à part
recevoir de très douloureuses fessées et rarement une gifle, mes parents ne me
battent pas.
- Mais t’as dit que c’était
tous les jours ! poursuivit Anthony.
- Oui mais parce que je
leur désobéis tous les jours, aussi ! Et puis c’est en passe de changer.
Ils ont l’air d’avoir trouvé un nouveau système à base de croix, là…
- Nous aussi !
poursuivit Judith. Ce matin, nos parents ont mis ça en place !
- Pas étonnant, ils ont
appris ça à leur fichue réunion d’hier soir ! enchaîna Maëlle.
- Moi, si j’peux avoir
les fesses intactes et le privilège d’enfin pouvoir m’asseoir sans douleur, je
suis preneuse ! dis-je, ce qui fit rire les autres.
- Je ne sais même plus ce
que c’est que de m’asseoir sans avoir mal ! ria à son tour Jade.
- Ouais, enfin, je pense
qu’on est tous d’accords ici pour dire que les parents de Marie sont de loin
les plus costauds ! dit Marion. Je te garantis que t’as pas envie de
bouger, avec eux !
- C’est pour ça que je
fais des conneries tous les jours ! ris-je.
- Espèce de maso !
me taquina Angélique.
Le ventre plein, nous nous
décidâmes à faire un match de basket.
- Marie, tu arbitres ?
me demanda Lucien.
- Ben nan, je suis dans l’équipe
de Jade ! répondis-je.
- Mais… Ton plâtre ?
- J’ai pu jouer au foot,
tout à l’heure, non ?
- Oui mais au basket, on
joue essentiellement avec les mains…
- T’inquiète, j’utiliserai
en majorité mon autre main. Et puis, un plâtre c’est hyper solide. Ça ira.
- Comme tu veux.
Nous étions presque arrivés à la mi-temps lorsque
le père de Noé, Anthony et Jade débarqua en furie sur le terrain, un martinet bien
fourni à la main.
- Je vous avais punis,
tous les trois ! Qu’est-ce que vous foutez là ?!
- Euh…eh bien, euh…
Leur père les mit tous les trois sur le chemin
de la voiture à grands coups de martinet qui tombaient violemment sur leurs
fesses et leurs cuisses. Même à travers leurs vêtements, ils avaient l’air de
les sentir passer !
- Bon, eh bien je crois
que le match est terminé, annonça Maëlle en sifflant la fin.
Angélique et Marion me
raccompagnèrent chez moi. Nous discutâmes tellement toutes les trois que nous
prîmes notre temps pour marcher : lorsque je jetai un coup d’œil à ma montre,
il était dix-sept heures cinquante-et-une. Sans dire au revoir à mes amies, je tapai
alors un sprint jusque chez moi.
Ouf, papa, maman et
Anaïs n’étaient pas encore rentrés. Je tombai sur mes grands-parents.
- S’il vous plaît, les priai-je,
ne dîtes pas à mes parents que je suis rentrée en retard, s’il vous plaît !!
- Promis, on ne leur dira
rien, répondit ma grand-mère. Va donc prendre ta douche, ma puce, tu es en
nage.
- Merci Granny !
lançai-je avant de monter me doucher.
Michael, Scarlett et
Anaïs rentrèrent pendant que j’étais sous la douche. Lorsque je descendis en
pyjama dans le salon dans le but de regarder un peu la télé, maman préparait le
dîner. Assa était déjà assise dans le canapé en train de raccommoder une de mes
chaussettes.
- Ça te dérange si je
regarde la télé ?
- Non, bien sûr !
Fais comme chez toi, me répondit-elle avec un clin d’œil.
Je regardais mon émission favorite tout en
discutant avec mes amis sur WhatsApp : Antony, Jade et Noé s’amusaient en envoyant
dans notre groupe des photos de leurs marques de lanières sur les cuisses. Ils
avaient lancé un vote pour la plus belle marque : je votai sans hésitation
pour la troisième marque de Noé qui avait des reflets violets. J’en riais, tout en
étant contente que mes parents n’utilisent que très rarement des instruments pour
nous punir !
- Qu’est-ce qui te fait
rire, Marie chérie ? m’interrogea ma mère depuis la cuisine ouverte.
- Oh rien, on discute sur
WhatsApp avec les copains, répondis-je, ne voulant bien évidemment pas lui dévoiler
le contenu de la discussion.
A table au dîner, Anaïs
annonça – pour clouer le bec de Louise – qu’elle avait réussi à déclencher l’alarme
tout en haut du mur d’escalade et que même les « grosses comme elle »
pouvaient y arriver. Louise se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de
répliquer car je vis bien qu’elle en mourait d’envie.
- Et toi, ma princesse ?
me demanda mon père. Ça a été ton aprem ?
- Oui, nous sommes allés
au parc ! On a fait un match de foot…
- Avec ton plâtre ?!
s’exclamèrent mes parents à l’unisson.
- Ça se joue au pied, le
foot ! précisai-je.
- Tu aurais pu prendre un
mauvais coup, Marie ! me gronda mon père.
- Ou tomber et mal te
réceptionner ! continua ma mère sur le même ton que son mari.
- Oui mais je vais bien,
donc on se calme !
Je mentais. La vérité était que, depuis le
match de basket, mon poignet me lançait vivement. J’avais d’ailleurs pris un
anti-douleur dans ma chambre en rentrant, qui m’avait quelque peu soulagée.
- Marie, si tu veux qu’on
t’enlève ton plâtre la semaine prochaine, tu dois être plus prudente que ça !
me réprimanda ma mère.
- J’ai été prudente,
maman !
- En faisant un match de
foot ! Ben voyons !
- Mais…
- Tu mériterais une bonne
fessée, ma fille ! me sermonna mon père. Vraiment !
- Vous n’allez quand même
pas me punir pour ça ! me lamentai-je.
- Si jamais nous découvrons
que tu as aggravé ton état, tu ne sentiras plus ton poignet tellement tu auras
mal aux fesses ! m’avertit ma mère.
Bon, j’avais plutôt intérêt à fermer ma bouche sur ma récente douleur.
- Ce qu’elle ne vous dit
pas, c’est qu’elle a aussi fait un match de basket ! balança Louise, qui
avait vu les photos de l’après-midi sur le groupe WhatsApp et qui avait dû crever
de jalousie.
- Pardon ?!?! s’exclamèrent
mes parents.
- J’étais arbitre !
mentis-je.
- Non, c’est faux !
renchérit Louise en sortant son téléphone. J’ai des preuves !
Mon père se passa la tête dans les mains puis
se leva. Je le priai instantanément :
- Nan, papa ! Promis,
j’ai fait attention ! Je te jure que j’ai été prudente ! Papa…
- Michael, ce n’est pas
nécessaire ! intervint Jack.
- Je pense que si, au
contraire ! soutint mon père.
- Papa, je t’en supplie !
Pitié !
Michael me sortit quand même de table et me
colla cinq très bonnes claques sur les fesses que mon pyjama n’amortit pas du
tout.
- Va te mettre une croix
au tableau ! m’ordonna-t-il.
Alors que quelques larmes roulaient sur mes
joues, je me dirigeai vers le tableau, haïssant Louise pour la première fois de
ma vie. Néanmoins, j’eus ma vengeance : elle aussi prit quelques bonnes
claques sur les fesses pour m’avoir dénoncée ; et elle écopa d’une deuxième
croix. De colère, je me promis de tout faire pour qu’elle écope d’une troisième
croix.
Lorsque tout le monde fut rassis à table, Scarlett
me demanda :
- Marie, je veux que tu me
répondes franchement : est-ce que tu t’es fait mal ?
- Sur le moment, non,
avouai-je. Mais depuis que le match s’est terminé, ça me lance.
Le soupir que ma mère laissa échapper
ressemblait à de l’agacement mélangé à de la colère.
- Mais j’ai pris un
anti-douleur et ça va un peu mieux ! plaidai-je.
- Je prends rendez-vous
chez le médecin en urgence demain matin, annonça Scarlett. Je te jure que si tu
as aggravé ton état, tu prends une déculottée. Devant le médecin. Croix ou pas
croix. Tu m’as entendue ?!
- Oui, maman. Répondis-je
en me remettant à pleurer.
Moi qui étais si contente de mon après-midi
avec mes amis, ma journée avait été gâchée par la faute de Louise.
Au moment
de se coucher, je lui tombai dessus :
- Je ne sais pas quelle
mouche t’a piquée mais tu vas arrêter ça tout de suite ! Aujourd’hui, tu n’as
pas arrêté d’être méchante, que ce soit avec Ana ou avec moi ! Tu veux la
guerre, tu vas l’avoir ! Mais crois-moi, tu vas perdre !
- Je ne veux pas te
déclarer la guerre, Manou ! répondit-elle alors que je la maintenais
plaquée contre le mur.
- Alors tu veux quoi, bon
sang ?!
- Depuis qu’Anaïs est là,
tu t’es rapprochée d’elle ! Et moi, tu m’oublies ! On n’a plus la
relation qu’on avait !
- Tu veux qu’on garde la
relation qu’on a ?!
- Oui !
- Alors commence par
arrêter de me balancer aux parents !
- Mais Manou…
- Ta gueule. Je t’ai
assez entendue pour aujourd’hui ! dis-je en la lâchant. Si t’as envie de
jaqueter, essaie de trouver un moyen de te faire pardonner en te parlant à toi-même ! Sur ce, bonne nuit.
- Tu sais que je t’aime ?
me dit-elle depuis son lit.
- Ouais ben t’as une drôle
de façon de le montrer.
A suivre…
Marie n'est vraiment pas raisonnable !
RépondreSupprimerEt pourtant ce n'est pas elle qui a inauguré le tableau de comprtement !