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Nouvelle rentrée, nouvelle vie ! - Chapitre 38

 


Mardi 29 octobre 2019

 

       J’aime toujours autant le mardi. Passer les quatre heures de la matinée avec madame Kelly relève du pur bonheur, bien qu’elle ait été destituée de son titre de « prof préféré(e) » par Monsieur Mickaël.

       L’anglais est, avec la littérature, ma matière préférée : et je dois dire que j’excelle dans cette matière ! J’avais cependant un coup d’avance puisque Côme et Célestine sont bilingues grâce à la nurse irlandaise qui s’est occupée d’eux durant les douze premières années de leurs vies. J’ai ainsi pu profiter de leurs compétences durant mon enfance.

 

-    Clémence, what are you doing ?

-    I’m sorry, Miss Kelly, I started to do my exercise since I had already understood and retained the lesson.

-    Okay, do.

Vu mon niveau élevé en anglais, Madame Kelly me laissait quelques libertés que je m’empressais d’apprécier.

 

       Au réfectoire, nous nous tenions toutes debout derrière nos chaises à attendre que le Directeur nous dise de nous asseoir lorsque celui-ci entra en furie dans la pièce, tenant Noémie par l’oreille. Il la monta de cette façon sur l’estrade et tira une chaise. Lorsqu’il s’assit dessus, nous ne savions toutes que trop bien ce qui allait arriver à notre camarade.

Avant de commencer à la fesser, Monsieur Éric déclara à l’assemblée :

-    Mademoiselle Noémie a cru bon de défier les règles de l’établissement en y faisant entrer un paquet de cigarettes ! Je vous rappelle que fumer est strictement interdit dans l’enceinte de mon pensionnat ! Cela dit, vous pouvez vous asseoir ; nous ne commencerons le repas que lorsque la correction de votre amie sera terminée, de sorte que vous sachiez ce qui vous attend si je vous surprends en train de fumer ou même en possession de cigarettes !

Petite rectification : Noémie n’est pas mon amie : c’est une vague copine. Ma seule véritable amie ici est Mathilde. Toutes les autres – hormis mes quatre ennemies – sont des copines de passage.

      

       Pour le coup, Noémie me fit mal au cœur. Elle reçut une déculottée vraiment très corsée. Monsieur Éric n’utilisait pourtant aucun instrument, uniquement sa main, mais la fessée que recevait Noémie n’en restait pas moins balèze.

« C’était bien joué de la part du Directeur », pensai-je. Non seulement il dissuadait tout le monde d’enfreindre le règlement mais il en profitait de plus pour faire une démonstration de sa sévérité, de sorte que personne n’ait envie de le contrarier ou confronter.

Néanmoins, j’étais la seule de toute l’école à avoir déjà eu à faire aux trois membres de la direction en même temps. La fessée de Noémie avait donc un impact bien moindre sur moi que sur mes camarades !

 

-    Redresse-toi, Clémence ! Bombe bien tes mains ! Elles sont censées être tenues par un fil invisible relié au plafond, tu te souviens ?! Si tu ne te tiens pas correctement, tu ne peux être performante !

-    Oui, Monsieur.

Je poursuivis mon morceau.

-    C’est un la bémol ! me gronda Monsieur Alexandre.

-    Pardon, Monsieur.

-    Qu’est-ce que tu as aujourd’hui ?!

-    Cette mélodie me fait penser à ma sœur, répondis-je les larmes aux yeux en m’arrêtant de jouer. Hier, elle a fait une fausse couche.

-    Oh, je suis désolé ma puce ! s’exclama Monsieur Alexandre en me prenant dans ses bras.

C’était bien la première fois que mon professeur de piano se montrait tendre et affectueux envers moi ! J’accueillis cependant son câlin avec plaisir, ayant l’impression que mon cœur était fissuré.

-    Tu veux que nous cessions le cours ?

-    Non, Monsieur, répondis-je. J’aime jouer du piano.

-    Très bien. Alors joue ce que tu veux, ce qui te fait envie et plaisir.

Je me mis alors à jouer la marche funèbre de Chopin. A la fin de ce morceau, il y eut un silence. Puis Monsieur Alexandre déclara après s’être raclé la gorge :

-    C’était un choix… intéressant. Il faudrait que tu anticipes davantage la pédale : tu es souvent en retard.

-    Oui Monsieur.

-    Est-ce que tu as envie de continuer à jouer, Clémence ?

-    J’aime jouer du piano, répondis-je.

-    Ça, tu me l’as déjà dit. Mais est-ce que tu as envie de continuer à jouer ?

Pour toute réponse, j’haussai les épaules.

-    J’ai compris, dit-il. Allons nous promener.

 

Monsieur Alexandre et moi fîmes le tour du grand parc. Nous discutâmes bien et j’appris à le connaître. Monsieur Alexandre est veuf depuis dix ans. Il élève seul ses fils jumeaux de quatorze ans. Un homme aussi jeune et beau que lui pourrait facilement se remarier, lui avais-je fait remarquer ! Mais mon professeur de piano souhaitait attendre que ses fils soient majeurs avant de se relancer dans une histoire d’amour. Pourtant, il n’a que trente-deux ans ! Sa femme et lui ont eu leurs enfants très jeunes.

En revenant dans la salle de musique, il restait un quart d’heure.

-    Qu’as-tu envie de faire ? me demanda Monsieur Alexandre.

Sans répondre verbalement, je m’avançai vers le violon. Cela faisait très longtemps que je n’en avais pas joué. Je n’avais même pas évoqué le fait que je savais en jouer avec qui que ce soit ici. J’avais parlé du piano bien sûr, de la flûte traversière aussi ; mais le violon, personne ne le savait. Pour le moment, c’était mon petit secret à moi et j’étais désormais prête à le partager avec Monsieur Alexandre.

Je débutais alors un jig irlandais que j’avais appris avec Célestine. Même si j’avais un peu perdu sans la pratique quotidienne, je me débrouillai bien, pour une reprise.

Lorsque je terminai le morceau une minute plus tard, Monsieur Alexandre resta sans voix.

-    Monsieur ? demandai-je en reposant le violon. Ça va ?

Voyant qu’il ne répondait pas, je poursuivis :

-    Je suis vraiment désolée, je n’en joue pas très bien, je n’en ai pas joué depuis le mois d’août et j’ai beaucoup perdu… Je suis désolée si ce n’était pas agréable à l’oreille…

-    Clémence, me coupa-t-il. Clémence, tu es… incroyable. Tu es vraiment douée pour la musique, cela ne fait aucun doute !

-    Un jour quand j’étais petite, ma professeure de flûte traversière m’a dit que j’avais l’oreille absolue, avouai-je. C’est peut-être pour cela que Côme et Célestine m’ont autant poussée pour devenir instrumentiste.

-    Clémence, tu as réellement de l’or dans les mains ! Je n’ai jamais vu ça ! Tu as un niveau vraiment très élevé au piano ; et tu viens de jouer du violon sans aucune fausse note alors que tu me dis ne pas en avoir joué depuis deux mois ?! Un jig irlandais, en plus !

-    Ce n’est pas exceptionnel, répondis-je. Plein de gens savent en jouer et…

-    Clémence, tu n’as que dix-huit ans ! Je n’ose même pas écouter ce que tu sais faire en flûte traversière !

Prenant la flûte traversière, je choisis de jouer un air connu, celui du générique principal de la série Game of Thrones.

-    Tu es moins douée à la flûte traversière qu’au violon ou au piano, dit mon professeur, à moins que ce ne soit le choix du morceau qui m’induise en erreur. Cela étant dit, Clémence, il faut absolument que tu puisses pratiquer ces deux autres instruments quotidiennement, tout comme le piano ! Je t’interdis de stopper leur pratique ! Les multi-instrumentistes sont trop rares, de nos jours ! Y’a-t-il un autre instrument dont tu saurais jouer ?

-    Je joue un peu de tambourin mais c’est vraiment très léger, répondis-je timidement.

-    Léger comme le violon ? me demanda Monsieur Alexandre.

-    Non, vraiment très léger, répondis-je. Je ne connais que les bases !

-    D’accord. Néanmoins, je vais voir avec Monsieur Éric pour que tu puisses avoir une heure de violon chaque jour.

-    Mon emploi du temps est déjà surchargé ! me plaignis-je.

-    Clémence, c’est important d’avoir le bac, je n’en disconviens pas : mais tu feras carrière dans la musique, tu peux me croire ! Il faut absolument que tu travailles pour ton avenir : et cela se joue maintenant.

La sonnerie retentit, signe que je devais me rendre en récréation.

-    Parfait, dit-il, cela va me laisser le temps de parler à Monsieur Éric puis d’appeler ton frère et ta sœur pour aménager cela. Il n’y a pas de temps à perdre !

Monsieur Alexandre me reprit dans ses bras puis me fit sortir de la pièce avant lui. Il ferma la porte à clés et me lança un « A demain ! » avant de se diriger à grands pas vers les quartiers de la direction.

 

-    Alors, ton cours de piano ? me demanda Mathilde lorsque je la rejoignis dans le parc.

Je lui racontai tout ce qui s’était passé, Mathilde en fut sonnée.

-    Tu joues du violon ?!

-    Ben…Oui.

-    Pourquoi tu n’as rien dit ?!

-    Parce que je ne voulais pas paraître comme l’orpheline bourgeoise aux multiples talents qui pète plus haut que son cul, répondis-je.

-    Les gros mots ! me reprit une surveillante qui passait non loin.

-    Pardon Madame, grommelai-je.

-    On s’en contrefiche de pour qui tu passes, me dit Mathilde. Tout le monde juge tout le monde, c’est un fait !

-    Justement !

-    Tu ne vas pas t’empêcher d’être toi-même à cause du jugement des nanas qui sont ici, Clem !

Mathilde avait sans doute raison mais je lui demandai tout de même de ne pas ébruiter ma pratique du violon.

 

       Pour le dernier cours de la journée, Monsieur Yves rendit les notes d’hier.

-    Il ne m’a pas fallu bien longtemps pour les corriger étant donné la moyenne catastrophique de la classe : 2,2/10 ! nous réprimanda-t-il.

Sans surprise, j’avais écopé d’un 3/10.

Ayant fini de rendre les copies, notre prof se posta devant le tableau et annonça :

-    Vous prenez chacune le nombre de points qu’il vous reste pour arriver à dix, et vous multipliez ces points par dix : vous saurez combien de lignes vous devrez me rendre vendredi. La phrase est la suivante : « Je dois apprendre mes leçons de philosophie de façon consciencieuse et régulière. ».

Forcément, un soupir d’agacement parcourut la classe.

-    Je peux doubler les lignes, s’il le faut ! ajouta Monsieur Yves.

Tout le monde se tut. J’avais soixante-dix lignes à faire pour vendredi : j’étais dépitée.

-    Je pense qu’il est inutile de préciser – mais je vais le faire quand même – que chacune d’entre vous ne m’ayant pas remis ses lignes pour vendredi en début de cours prendra une bonne fessée ! J’ai d’ailleurs bien peur que nous ne travaillions que peu vendredi, étant donné le nombre de demoiselles que je vais avoir à corriger !

Il fallait absolument que je prenne le temps nécessaire pour effectuer ces lignes.

 

       Lorsque je racontai ma journée à Manu, celui-ci décida d’axer la séance d’aujourd’hui sur l’importance que j’accorde au regard des autres.

 

 

-    Trois sur dix, Clémence, tout de même ! me gronda Monsieur Éric une fois le soir arrivé.

-    Vous avez dit que puisque ma sœur a perdu son bébé, vous ne me sanctionneriez pas pour cela ! me défendis-je.

-    Je sais ce que j’ai dit, Clémence. Il y a quand même une fessée qui se perd !

Une seule, car Mathilde l’a bel et bien reçue : neuf claques bien appuyées sur la culotte de la part du Directeur pour son 1/10 !

-    Monsieur Yves nous a donné des lignes à faire, puis-je en être dispensée ? tentai-je auprès du Dirlo.

-    En quel honneur ? s’étonna-t-il.

-    Ma sœur a…

-    Perdu son bébé ? m’interrompit Monsieur Éric. Ta tristesse n’est pas feinte, et elle est compréhensible suite à cette dramatique nouvelle : mais je ne tolérerai pas que tu l’utilises à tout bout de champ durant toute la semaine. Tu feras tes lignes comme tout le monde !

Contrariée, je lâchai un juron qui me valut, pour le coup, une bonne claque sur la jupe accompagné de : « Ton langage ! ».

 

       Après ma douche, Monsieur Éric m’informa qu’à partir de demain, sur les conseils très, très, très insistants de Monsieur Alexandre, une professeure de violon viendrait me donner quotidiennement un cours. Elle s’appelle Madame Éabha.

-    Éabha ? m’étonnai-je.

-    C’est un prénom traditionnel irlandais. Puisque tu es très douée en anglais, tu n’auras pas de mal à communiquer avec elle. Tu auras donc une heure de violon tous les jours. Tu devras également pratiquer une demi-heure de flûte traversière tous les soirs : je te surveillerai. Tes devoirs seront aménagés en fonction de cette pratique du violon et de la flûte. Tes professeurs t’informeront des tâches que tu devras ou non effectuer afin que tu ne sois pas trop surchargée.

-    Je ne vais donc pas pouvoir faire les lignes de Monsieur Yves, dis-je.

-    Parle-moi encore une fois de cette punition et je la double après t’avoir flanquée une fessée ! Au lit, maintenant.

J’eus du mal à m’endormir, tout excitée que j’étais de rencontrer Madame Éabha.

 

A suivre…
La suite !

Commentaires

  1. Une journée cool pour Clémence, sans fessée, du moins pour elle, mais pleine d'affection 😉
    Elle va peut-être échapper à l'option latin que Côme et Célestine envisageaient de lui imposer ?




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