Marie
Je
pris ma douche aussi vite que je pus. Sans allusion douteuse, j’avais le feu
aux fesses ! Ma mère ne m’avait jamais autant amochée. En me concentrant
presqu’uniquement sur Michael ces derniers temps, j’avais grandement
sous-estimé Scarlett !
Mon
pyjama mis, j’attrapai mon classeur de géographie et commençai à réviser,
priant pour que mon cerveau enregistre immédiatement chaque mot lu. La
géographie était ma matière préférée, j’espérais m’en sortir correctement !
A
peine quelques minutes plus tard, ma mère frappa à la porte de ma chambre puis
entra.
- Tu fais bien de
réviser ! me gronda-t-elle. Après le dîner, je t’interrogerai à ma
manière ! J’espère vraiment que tu connais tes cours, Marie, sinon tu
n’as pas fini d’avoir mal aux fesses !
Ma mère partie, j’essayai d’avaler l’énorme
boule que j’avais dans la gorge : si je n’y parvenais pas, j’allais fondre
en larmes.
Me retenant de toutes mes forces de pleurer, je
lus mes cours, encore et encore. Et encore. Pourtant, j’avais l’impression que
je ne retenais rien. Mon cerveau n’arrêtait pas de se déconnecter de la
géographie pour aller se poser sur le prochain gros problème : le retour
de mon père à la maison. Qu’allait-il dire ? Allait-il me fracasser, lui
aussi ? Allait-il plutôt m’accorder sa clémence, vu que sa femme m’avait
déjà bien punie ? J’avais beau être proche de mon père, il m’était
impossible de prédire sa réaction ; tout comme il m’était impossible de
réfléchir de façon rationnelle, étant donné que la peur s’était emparée de mon
être tout entier.
- A table ! appela
ma mère aux alentours de dix-neuf heures trente.
Je lus quelques dernières phrases, fermai mon
classeur avec un énorme soupir et le posai sur le lit. Puis, alors que j’allais
sortir de ma chambre, j’entendis un bruit qui me terrifia : la porte
d’entrée venait de s’actionner. Mon père rentrait du travail.
Il me fallut tout le courage du monde pour
prendre sur moi et ne pas pleurer ; mais ma panique se traduisit
immédiatement par des tremblements.
- Ça va aller,
Manou ! me dit tendrement Louise en me donnant une caresse dans le dos.
Je ne lui répondis pas, de peur d’être crue ou froide.
Avec l’aide de ma sœur, je descendis les
escaliers et me rendis dans la salle à manger. Effectivement, mon père était
rentré. Lorsqu’il me vit en pyjama, sa première question fut :
- Qu’est-ce que tu as
fait ?!
Je ne pus lui répondre.
- Marie, ton père t’a
posé une question ! commenta ma mère.
C’est alors que je fondis en larmes. Loin
d’amadouer mes parents – bien qu’elles questionnassent tout de même Michael -,
mes larmes ne servirent qu’à me soulager : c’était une chose de moins à
contrôler.
- J’attends que tu
m’expliques !
- Si je t’explique, tu
vas me donner une fessée ! sanglotai-je. Et maman l’a déjà fait…
- Tu en mérites largement
une deuxième ! me coupa Scarlett.
- Mais maman…
- Vas-tu m’expliquer ce
que tu as fait, oui ou non ?! tonna mon père.
- J’ai triché,
murmurai-je néanmoins assez fort pour que mon père entende. J’ai fait des
anti-sèches pour les partiels.
- Tu as quoi ?!?!
s’exclama mon père.
- Ta fille ne s’y est pas
prise assez tôt pour réviser, poursuivit ma mère, elle a donc cru bon, en
partisane du moindre effort, de faire des anti-sèches pour y avoir recours
pendant ses examens !
- T’es-tu fait
attraper ?! me questionna l’informaticien.
- Non papa, répondis-je
en secouant la tête.
Lorsque je vis mon père me foncer dessus, je
fermai fortement les yeux, serrai les fesses et contractai tout le reste de mon
corps pour parer à l’ouragan qui allait s’abattre sur moi.
Contre toute attente, Michael s’arrêta
soudainement, avant même d’arriver à ma hauteur. Me jetant un regard que je
n’avais encore jamais vu chez lui, il me dit froidement :
- Tu me déçois, Marie. Tu
me déçois vraiment.
Ce fut la dernière phrase que mon père prononça
de toute la soirée.
Cela me mit dans un tel
état de tristesse, de culpabilité et de honte que, continuant de pleurer, je courus
me réfugier dans ma chambre après le dîner, n’ayant même pas pris de dessert.
Je priai pour que tout le monde me laisse tranquille, ce fut le cas. Ma mère ne
mit pas ses menaces de révision à exécution. Tant mieux. De toute façon, je n’avais
plus l’intention d’aller passer mes examens. Je n’avais plus l’intention de
faire quoique ce soit d’autre. J’avais atteint le point de non-retour avec Michael
et Scarlett. Ma mère ne m’avait jamais autant punie, signe que j’avais atteint
une énorme limite ; quant à mon père, j’avais tellement dépassé les bornes
qu’il n’avait même plus la volonté de me remettre sur les rails.
Je ne me sentais plus digne d’être leur
fille.
Je leur avais trop souvent désobéi ; ils avaient été trop de fois dupés puis
déçus. Mieux valait pour eux que je sorte de leurs vies. Je ne méritais pas de
tels parents.
Prenant ce chemin que j’avais
emprunté tant de fois, je sortis par la porte du garage et marchai dans l’obscurité
vers… je ne savais où.
Scarlett
Michael
et moi avions permis aux filles de remonter dans leurs chambres pour réviser.
Tandis que nous buvions un café, je demandai à mon
mari :
- Tu crois que Marie révise ?
J’irais bien vérifier…
- Elle m’a tellement déçu
que je n’ai même plus envie de la surveiller. Du moins, pas ce soir.
- Mike, ne me lâche pas !
le priai-je. Pas maintenant ! Marie a fait trop de progrès pour qu’on la
lâche maintenant ! Et nous aussi, d’ailleurs !
- Je ne veux absolument pas
la lâcher, Scar ! protesta mon âme sœur. Loin de moi cette idée ! Seulement,
je suis tellement déçu du comportement de notre fille qu’il me faut la soirée
pour encaisser. Je te promets que dès demain, ça ira mieux.
Rassurée, j’embrassai mon homme après lui avoir
lancé un regard compréhensif. Marie nous faisait vraiment les quatre cents
coups et il était parfois compliqué de tenir.
Nous
avions presque terminé de débarrasser nos tasses lorsque nous entendîmes Louise
crier :
- Maman !! Papa !!
Il faut que vous veniez !! Vite !!
Paniqués, nous courûmes à l’étage dans la
chambre de notre fille. Nous découvrîmes notre Loulou en pleurs :
- Marie est partie !
sanglota-t-elle en nous tendant un mot.
Fébrile, je pris le bout de feuille tendu par
ma fille et lus :
« Je ne sais que je ne vous mérite pas. Vous
serez bien mieux sans moi.
Merci pour tout ce que vous m’avez donné.
Je vous aime. Marie. »
- Oh non ! m’exclamai-je,
ne pouvant retenir mes larmes. Ma fille ! Mon p’tit bonheur ! Il faut
la retrouver, Michael !
- C’est ma faute !
culpabilisa immédiatement mon homme. Je sais que Marie est hypersensible et j’ai
réagi comme un con ! Je n’aurais pas dû réagir ainsi, je….
- Bon ! déclarai-je
en essuyant mes larmes. Il faut la retrouver. Le plus tôt sera le mieux.
J’ordonnai à mes filles de rester à la maison au
cas où Marie reviendrait ; puis Michael et moi appelâmes tous ceux qui
pourraient être susceptibles de nous aider dans nos recherches : Caleb et
Justine, Noah et Nathan, nos amis parents d’accueil, et Nolan, le meilleur ami
de Michael, que nous n’avons pas vu depuis des mois mais qui n’habite pas loin
et qui est toujours prêt à aider. J’appelai également mes collègues pour faire
un signalement et lancer un avis de recherche.
Ayant chacun enfilé une
veste et des baskets, Michael et moi nous embrassâmes sur le perron avant de nous séparer.
- On se tient au courant,
lui dis-je.
- Oui !
poursuivit-il. Sois prudente, je t’aime.
- Je t’aime aussi.
J’empruntai un chemin au hasard, à la recherche
de ma fille.
Marie
A
force de marcher pendant plus de deux heures, j’avais atterri au bord d’un lac
dans la ville voisine. Je venais souvent me baigner ici avec mon petit frère
avant la réforme. Aucun membre de ma famille d’accueil ne savait cela, c’était
mon petit secret à moi.
En
regardant la surface du lac éclairée par la lune, je plongeai dans mes souvenirs
de cet été : comme la fois où mon frère m’avait enterrée dans le sable, où
l’autre fois où nous avions fait un concours d’apnée ; ou encore cette
douce soirée de juillet où Mathieu était avec nous et où nous avions construit
un immense château de sable.
Mathieu.
Il me manquait à un tel point que l’air en devenait irrespirable. Demain soir,
j’aurais dû être dans ses bras. Au lieu de cela, je serai seule dans ma
chambre, chez ma famille biologique, à dormir dans un grand lit froid.
Enfin, ça, c’était si je rentrais chez ma
famille biologique ; puisque j’étais partie de ma famille d’accueil, j’étais
officiellement considérée comme une déserteuse. Que deviendrai-je ? Je l’ignorais
totalement. Il m’était impossible d’entrer à l’armée puisque j’étais inscrite à
la faculté. Impossible de retourner chez Michael et Scarlett car je leur ai
fait beaucoup trop de mal et je ne voulais pas les faire souffrir davantage.
Impossible changer de famille d’accueil puisque c’était interdit ; et qu’en
plus, cela ne servirait à rien de faire souffrir une autre famille !
J’étais donc une déserteuse en cavale. Si je me
faisais prendre, j’atterrirais immédiatement dans une prison gouvernementale et
subirais les pires sévices… Il allait donc falloir que je me débrouille seule.
Au
loin, je vis une maison illuminée par les guirlandes de Noël. Cela allait être
la première année où je fêterais Noël seule, dehors. Je ne craignais pas la
faim mais le froid et la solitude me terrifiaient. Je n’avais de plus, pris
aucune affaire avant mon départ, si ce n’est ce que j’avais sur moi : par-dessus
ma tenue du jour que j’avais remise, j’avais enfilé un léger manteau.
La
réforme n’était tout simplement pas faite pour moi. De toute façon, je n’avais
jamais réussi à entrer dans le moule, ce moule voulu par la société. J’ai toujours
été différente. D’ailleurs, ma mère biologique m’a toujours dit, tout au long
de mon enfance : « Je t’aime parce que tu es unique. Tu es un vrai
cadeau du ciel. Mon cadeau. ». Ce souvenir me fit couler les larmes. Vu à
quel point j’avais fait souffrir mes parents biologiques puis Michael et Scarlett, je n’étais pas
franchement un cadeau ! Ou alors un cadeau empoisonné !
Je commençais
à planifier mentalement ma cavale quand je vis un homme s’avancer vers moi. Grâce au lampadaire, je pus distinguer un grand blond un peu efféminé. Il avait l’air d’avoir une
quarantaine d’années. Il me semblait l’avoir déjà vu quelque part mais je ne
parvenais pas à me souvenir où.
- Bonsoir, me dit-il
soudain.
- Bonsoir, répondis-je poliment.
- Tu t’appelles Marie, c’est
bien ça ?
- Qu’est-ce que vous me
voulez ?! aboyai-je. Qui êtes-vous ?!
- Tu veux bien que je m’asseye
à côté de toi ?
Je me sentais tellement seule que j’acceptai
avec un hochement de tête.
- Je m’appelle Nolan, dit
l’homme après s’être assis. Je suis le meilleur ami de ton père, Michael.
Je me souvenais maintenant où je l’avais vu :
il y avait plusieurs photos de lui dans le bureau de mon père.
- Pourquoi je ne vous ai jamais
vu en vrai, alors, si vous êtes son meilleur ami ? demandai-je.
- Je viens de passer trois mois aux Etats-Unis pour le travail, dit-il. Je viens de rentrer. J'avais hâte de faire ta connaissance, même si j'aurais souhaité d'autres circonstances !
- Michael m’a parlé de
vous, me souvins-je. Vous êtes un des plus jeunes multimilliardaires du monde,
qui a fait fortune grâce à l’intelligence artificielle, mais vous vivez seul.
- C’est un bon résumé,
sourit Nolan.
- Qu’est-ce que vous me
voulez ?
- Sais-tu que tes parents
sont en train de déplacer des montagnes pour essayer de te retrouver ?
- Dîtes-leur d’arrêter,
cela ne sert à rien. Je vais disparaître de leurs vies.
- Pourquoi le souhaites-tu ?
- Je leur ai fait
beaucoup trop de mal. Depuis que je suis arrivée chez eux, ils n’ont que des
problèmes avec moi. Je me suis cassé le poignet, j’ai fait des bêtises à l’école,
j’ai de mauvaises notes, je sors en douce… Je ne leur apporte rien de bon.
- Pourquoi fais-tu toutes
ces bêtises ? se renseigna le jeune prodige.
- Parce que je n’arrive
pas à faire autrement, répondis-je. Les règles que m’imposent Michael et
Scarlett sont trop strictes. Vous savez, il y a quatre mois de cela, j’avais un
petit ami, je sortais tous les soirs si j’en avais envie, j’avais mon permis de
conduire, j’étais majeure et libre ! A cause de la réforme, j’ai l’impression
d’avoir de nouveau huit ans, soumise aux règles de mes parents, prenant la
fessée quand je désobéis… J’ai beaucoup trop de mal à supporter ce mode de vie.
- Je comprends que ta
liberté te manque, avoua Nolan. Je dois te confier que moi-même, je suis contre
cette réforme à la noix. Mais as-tu pensé à tout ce que cette réforme t’a apporté ?
Tu as la chance d’avoir des sœurs, chose que – pardonne-moi si je me trompe –
tu n’as jamais connue ! Tu as également eu la chance de connaître tes
anciens parents d’accueil, ainsi que Michael et Scarlett ! Si tu te
soucies de les faire souffrir, c’est que tu les aimes énormément, non ?
- Bien plus que vous ne
le pensez, murmurai-je.
- Donc cette réforme t’a
apporté autant de bien que de mal ! Et je dirais même, plus de bien que de
mal, car j’ose prétendre qu’avoir Michael et Scarlett comme parents compense
bien tout le reste.
Je ne pus répondre à cette réplique. La
liberté, ça n’a quand même pas de prix !
- C’est pareil pour toi,
poursuivit Nolan. Oui, tu as apporté des ennuis à tes parents, mais tu leur as
également apporté beaucoup de bien ! Je connais ton père depuis l’enfance
et je peux te jurer, sur tout ce que je possède de plus précieux en ce bas
monde, qu’il n’a jamais été aussi heureux que depuis qu’il est père. Et tu sais
pertinemment qu’il a une relation spéciale avec toi.
Je ne répondis toujours pas. Je n’en avais pas
la force.
- Marie, tu es partie de
chez toi parce que tu ne voulais plus faire souffrir tes parents, n’est-ce pas ?
J’acquiesçai d’un signe de tête.
- Pourtant, continua Nolan,
être partie comme tu l’as fait leur a infligé une souffrance innommable. C’est
comme si tu avais trempé leurs cœurs dans l’acide.
Nolan et moi
poursuivîmes notre discussion durant des heures. Tandis que je commençais à
grelotter de froid, je demandai à Nolan :
- Vous avez dit à mes
parents que vous m’aviez retrouvée ?
- Oui, répondit-il. Au
moment où je t’ai aperçue sur ce banc, j’ai envoyé un message à tout le monde
pour stopper les recherches.
- Ah, dis-je seulement.
- Ça veut dire que tes
parents t’attendent à la maison, Marie. Ils n’attendent qu’une chose, c’est que
tu rentres ! Et tes sœurs aussi !
- Il n’y a que des
problèmes qui m’attendent à la maison, dis-je. Mes parents seront peut-être
rassurés que je sois rentrée mais ensuite, ils me prendront sur leurs genoux pour
leur avoir fait une peur pareille. Et puis demain, je devrai passer un partiel
pour lequel je n’ai absolument pas révisé.
- Si tu demeures
déserteuse, tu affronteras des problèmes bien plus grands qu’une bonne fessée
et le ratage d’un examen, m’expliqua Nolan. Et puis, toi qui souhaites tant te
conduire en adulte, dis-toi que tu ne pourras pas toujours fuir les soucis. Être
adulte, c’est affronter ses problèmes, même si ce n’est pas agréable.
Il était trois heures
du matin lorsque Nolan me raccompagna chez moi dans son 4X4 de luxe.
A peine ouvris-je la
porte que ma mère me courut dans les bras, pleurant toutes les larmes de son
corps. « Mon p’tit cœur ! Ma p’tite chérie ! » disait-elle.
Mon père vint à son tour m’enlacer. A ma grande surprise, il pleurait aussi.
Son étreinte terminée, il me prit par les
épaules et me secoua en me grondant :
- Plus jamais tu ne nous fais
un coup comme ça, tu as compris ?! Plus jamais, Marie !! Je te jure
que si tu t’avises de refaire une fugue, je t’enterre vivante !!
- On parlera demain, m'informa ma mère en continuant de pleurer. Il faut absolument que tu ailles te coucher, tu as un partiel dans cinq heures !
Epuisée après des retrouvailles pleines d'émotion avec mes parents, j’enfilai mon
pyjama pour la deuxième fois de la soirée et allai me coucher.
A suivre…
Merci pour cette suite aussi inattendue qu'émouvante 😊
RépondreSupprimerLa réaction de Michael a beaucoup perturbé Marie !
Elle n'a pas pensé à la douleur de sa famille en fuyant ainsi, de nuit !!!
Merci Dylan de l'avoir retrouvée et d'avoir pris un peu de temps pour bavarder avec elle 🙏
Le suspens est entier 🙄
Super émouvant
RépondreSupprimerHâte de connaître la suite
Pardon Nolan, et non Dylan 🤔
RépondreSupprimerHâte de connaître la suite !
RépondreSupprimerQu’elle suite je comprend le point de vue de Marie
RépondreSupprimerComment vont réagir Scarlett et mickael à la figue de leur fille
Que va faire Marie
Va t’elle aller à ses partiels ou va t’elle de nouveau fuir ???
Hâte de lire la suite