Jeudi 31 octobre 2019
- Clémence, nous allons
prendre notre petit déjeuner ici car je dois te parler, me dit Monsieur Éric
alors que je m’apprêtais à me rendre au réfectoire.
- Il y a quelque chose de
grave ? paniquai-je. C’est ma famille ?
- Ton frère, ta sœur et
tes neveux vont très bien, ma grande. Assieds-toi, s’il te plaît.
Tandis que Mathilde partait seule au réfectoire
après m’avoir lancé des regards on ne peut plus curieux, je m’assis à table
avec Monsieur Éric.
- Monsieur Matthieu m’a
tout raconté, m'apprit le Directeur. Je suis au courant pour vous deux.
- Ah, trouvai-je à dire,
cette annonce me faisant l’effet d’une douche froide. Vous allez le
virer ?
- Non, répondit Monsieur
Éric pour mon plus grand soulagement. Non, car il est parti.
Soudain, les larmes me montèrent aux yeux et je
ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots.
- Clémence, il t’a laissé
une lettre.
Je pris le bout de papier des mains du
Directeur plus violemment que je ne l’aurais voulu. Dépliant la feuille à la
hâte, je m’empressai de lire :
Clémence,
Ma chère petite Clémence. Maintenant que
je pars, nous pouvons enfin passer au tutoiement.
Tu dois te sentir trahie. Je suis parti
sans avoir le courage de te dire au revoir. Sur ce coup, j’ai fait preuve de
couardise.
La vérité est que je t’aime tellement
que je ne peux plus cacher mes sentiments, et je ne le veux plus. Ainsi, en ne travaillant
plus à Edison, nous pourrons vivre notre amour. J’ai décidé qu’un amour à
distance était mieux qu’un amour interdit et caché.
Je sais que tu vas détester mon
remplaçant mais je te demande fournir des efforts pour être gentille et sage.
Monsieur John est quelqu’un de bien.
Je t’appellerai trois fois par
semaine : le mardi, le jeudi et le dimanche, à 20h30. Quoiqu’il arrive, tu
auras toujours ces appels. Je te donne donc rendez-vous ce soir.
Je vais parler à ton frère et ta sœur
pour que je puisse passer les fêtes de fin d’année en votre compagnie.
A ce soir au téléphone.
Je t’aime,
Matthieu.
A
la fin de ma lecture, je pris la lettre et la serrai contre mon cœur. Mes
larmes de tristesse se transformèrent en larmes de joie. Il m’aimait
vraiment ! Et il venait de me donner une très grosse preuve de cet
amour !
- Ça va mieux ? me
demanda Monsieur Éric.
- Beaucoup mieux,
répondis-je en essuyant mes joues.
Monsieur Éric et moi
discutâmes tout au long du repas, cela me fit plaisir de partager un moment
seule avec lui. Grâce à la lettre de mon… nouveau petit ami ? j’avais
désormais le cœur léger.
J’étais en train de
terminer ma tartine lorsque l’on toqua à la porte.
- Qui est-ce ?
demandai-je.
- Monsieur John, répondit
Monsieur Éric. Il s’est présenté au reste des pensionnaires mais pas à toi. Il
est temps que tu le rencontres.
- Je n’ai pas
envie ! protestai-je.
- Je m’en fiche
royalement. Sois sage et polie.
Tandis que je pestai intérieurement, le
Directeur ouvrit la porte. Cette dernière dévoila un homme… comment dire… massif.
Il faisait exactement la même taille que Monsieur Éric, soit plus d’un mètre quatre-vingt-dix. Il avait de très larges épaules et je scrutai le moins centimètre de ses vêtements dans l’espoir de repérer un peu de graisse, en vain. Monsieur John possédait un corps bodybuildé. Je déteste les mecs comme ça. On dirait qu’ils ont été taillés dans du plastique. C’est moche et très inconfortable pour une potentielle petite amie !
Après avoir largement détaillé son corps, je
rivai les yeux sur son visage. Tout comme Monsieur Matthieu (mon
Matthieu !), Monsieur John avait des yeux bleus perçants. Dépourvu de
barbe – il devait se raser de très près ! – ses cheveux bouclés mi-longs étaient
d’un blond cuivré-doré très prononcé.
- Bonjour Clémence, me
dit-il. J’ai beaucoup entendu parler de toi. Enchanté de te rencontrer.
- Ce n’est pas
réciproque, grommelai-je avant de me prendre un coup de coude de la part du
Directeur.
- Cela m’est complètement
égal, poursuivit Monsieur John. Je ne suis pas là pour que tu m’apprécies ou
autre ; je suis ici pour faire respecter le règlement. Le fait que tu m’apprécies est un bonus dispensable.
- Je vais vous faire la
guerre ! m’exclamai-je.
- Clémence ! me
gronda le Directeur.
- Je vais vous faire la
guerre ! répétai-je plus fort en ignorant Monsieur Éric.
- Je n’en attendais pas
moins de toi, avoua le nouveau Surveillant avec un sourire en coin. Je te souhaite donc bonne chance dans cette bataille que toi et moi allons nous
mener l’un contre l’autre.
Monsieur John me tendit sa main pour que je la serre,
j’acceptai en signe de défi.
- A très vite,
mademoiselle.
Il lança un regard satisfait à Monsieur Éric
avant de s’en aller. Refermant la porte derrière lui, Monsieur Éric me
dit :
- Je l’aime beaucoup.
- Vous avez déjà oublié
Matthieu ! protestai-je. Vous êtes un traitre !
- Et toi, tu es à deux
doigts de te prendre une fessée, répondit le chef d’établissement. Attention à
la façon dont tu me parles !
Je me tus.
- Il a des armes que tu
n’as pas, Clémence ! me prévint Monsieur Mickaël à la fin du cours de
littérature.
Mon professeur avait en effet remarqué ma vive
réaction négative lorsqu’il avait évoqué Monsieur John.
- Je m’en fiche !
m’entêtai-je.
- Si tu décides
réellement de lui faire la guerre, tu risques de le regretter, insista le
littéraire.
- Je l’ai déjà décidé.
Hors de question qu’il remplace Monsieur Matthieu sans que je ne dise quoique
ce soit !
- Bon, promis, je ne
dirai rien si tu ne peux pas t’asseoir en cours.
- Ah, ah, très
drôle ! lançai-je ironiquement à mon prof.
Au réfectoire, j’avalai
mon déjeuner au lance-pierre.
- Tu as un train à
prendre, Clem ? me demanda Mathilde.
- Si on veut, répondis-je
entre deux bouchées.
- Tu m’expliques ?
insista ma meilleure amie.
- Je veux profiter de la
présence du nouveau SG dans le réfectoire pour aller faire un petit tour dans ses
appartements !
- Clémence, tu es devenue
bête ?! s’emporta Pauline. Il saura que c’est toi !
- Il y a d’autres élèves
qui sortent tôt de table pour aller à la bibliothèque, expliquai-je. Je ne
serai pas la seule absente en fin de repas !
- Il n’aura qu’à demander
à Madame Bérangère pour vérifier si tu es allée ou non à la bibliothèque, tilta
Mathilde.
- Tu vas te prendre une
fessée carabinée ! continua Pauline. En plus, il paraît qu’il est
coriace ! J’ai entendu Monsieur Thomas dire à Madame Kelly que Monsieur
Éric avait dit à Monsieur Lionel que Monsieur John avait une sacrée réputation
et que tous les Pensionnats le voulaient !
- Si tous les Pensionnats
le veulent, ce n’est pas pour rien, dit Mathilde. Moi, il me fait froid dans le
dos !
- Il a sûrement dû avoir
à faire à plus rebelle que toi ! commenta Bertille.
- Vous savez très bien
que je peux être redoutable quand je veux ! Je vais faire de sa vie un
enfer !
- Tu vas juste te prendre
une bonne volée et tu vas rentrer dans le rang ! ria Pauline avant que je
lui lance mon bout de pain dans la figure.
- Hey ! hurla
Monsieur Lionel depuis l’estrade. Vous voulez une trempe pour vous apprendre à
jouer avec la nourriture ?!
Nous ne répondîmes pas et je repris le cours de
mon repas express.
Merde.
La porte de l’appartement de Monsieur John était fermée. J’aurais dû m’en
douter. Puisque la femme de ménage était à l’œuvre, elle possédait son
trousseau. Impossible d’ouvrir la porte.
Soudain, mon regard se posa sur la petite
libellule qui se balançait au bout d’un fil en guise de décoration. Elle était
accrochée juste à côté de la porte. J’eus alors la très bonne idée de tendre ce
fil à l’horizontale, à quelques centimètres du sol dans l’encadrement de la
porte. Ainsi, lorsque Monsieur John voudra rentrer chez lui, il se prendra les
pieds dedans et tombera. Avec un peu de chance, il se cassera quelque chose et
aura un arrêt de travail !
Alors
que je m’affairais, j’entendis quelqu’un approcher. Avant que je n’aie le temps
de me relever, j’entendis : « Je suppose que tu comptais me faire trébucher
avec ce fil ? ».
Je me retournai et vis Monsieur John. Sans me
dégonfler, je me redressai et le fixai droit dans les yeux en déclarant :
- C’était effectivement
mon intention.
Avant même que je puisse m’en apercevoir, le nouveau
SG m’attrapa par le bras et me flanqua trois claques sur la jupe comme à une
enfant ! Trois claques infantilisantes au possible qui eurent la mauvaise
idée de me faire horriblement mal.
- Aïïïïe ! gémis-je
en me frottant le derrière.
Me reprenant, je poursuivis :
- Je vais quand même
continuer à vous faire la guerre ! Vous n’êtes pas au bout de vos surprises !
Monsieur John s’abaissa alors à ma hauteur – et
le fait qu’il élimine les quarante centimètres de différence entre nous me
surprit plus que je ne le voulus ! – et me dit fermement :
- Non, Clémence ! Je
t’interdis de me faire la guerre ou quelconque autre bêtise, est-ce clair ?!
- Je n’en ai rien à faire !
pestai-je.
- Tu n’aimes pas que l’on
te dise « non », n’est-ce pas ?
J’arquai un sourcil pour continuer de le défier.
- Dommage pour toi, rétorqua-t-il
en m’attrapant à nouveau le bras. Je vais donc te donner un nouvel avant-goût
de mes contre-attaques !
Monsieur John me pencha sous son bras et m’assena
une salve d’une vingtaine de claques sans même daigner relever ma jupe. Cette
fessée me vexa tant que lorsqu’il me lâcha, je boudai plus qu’autre chose et
je n’avais pas du tout envie de le provoquer davantage.
- Quand je te dis « non »,
c’est « non », Clémence ! me dit-il encore fermement en s’abaissant
de nouveau à ma hauteur. Tu ferais bien de m’écouter avant de t’attirer plus
d’ennuis !
Il m’attrapa une troisième fois par le bras et
cette fois-ci, j’anticipai en mettant mes mains en bouclier pour protéger mon
derrière déjà bien chauffé ; mais aucune claque ne tomba.
- Où m’emmenez-vous ?
osai-je demander.
- Dans mon bureau,
répondit-il en se mettant en route. J’ai des détails administratifs à régler et
toi, tu as un peu de temps à passer au coin.
- Pardon ?! m’offusquai-je.
- Tu m’as très bien
entendu.
- Vous croyez vraiment
que je vais vous obéir sans rien dire ?!
- Tu veux une autre
fessée ?
Je secouai la tête avec rapidité.
- Alors oui, tu vas obéir
sans rien dire.
- Clem’, maintenant, tu
vas me raconter la vraie version et arrêter de me mentir ! me gronda
Mathilde à la récréation.
- Mais c’est la vérité !
insistai-je.
- Toi, tu es restée trente
minutes au coin, obéissant à un mec auquel tu voulais faire la misère pas
plus tard que ce midi ?!
- C’est la guerre,
pas la misère. Et je veux toujours la lui faire, répondis-je avec
détermination.
- Alors, tu m’expliques
pourquoi tu lui as obéi comme une gentille petite fille ? se renseigna Mathilde
en me vexant légèrement.
- Je n’ai pas eu le choix !
Il m’a flanqué deux fessées !
- Ça ne t’a jamais arrêté
par le passé ! Surtout deux petites fessées sur la jupe ! Tu as pris
bien pire !
- Certes, mais avec lui c’est…
différent, répondis-je. Même si c’était par-dessus la jupe, il m’a bien fait
mal et il se comporte d’une telle façon qu’on n’a pas envie de le défier. Et
il donne la fessée d’une façon… très vexante et douloureuse. Bref, je ne sais
pas l’expliquer correctement. Tu verras quand tu auras à faire à lui. Toutes
les pensionnaires ne vont pas tarder à être terrorisées par lui ! Il a un
je ne sais quoi qui intimide beaucoup. Il me fait plus peur que Monsieur Éric !
- Alors, tu renonces à ta
vendetta ?
- Jamais de la vie !
m’exclamai-je.
- Je ne te suis plus du
tout, avoua Mathilde.
- Rah, laisse tomber !
Les deux heures d’anglais
qui suivirent la récréation me firent beaucoup de bien et m’aidèrent à oublier
mon entrevue très déstabilisante avec Monsieur John.
Manu
sourit lorsque je lui racontai ma journée avec le nouveau Surveillant, ce qui m’exaspéra
au plus haut point.
- Je peux savoir ce qui te
fait rire ?! l’agressai-je.
- Je pense que tu as enfin
trouvé quelqu’un à ta taille et tu le sais. C’est pour cela qu’il t’horripile tant.
- Il est très loin d’être
à ma hauteur ! pestai-je. Je n’ai même pas débuté l’apéritif !
- D’accord, Clémence. Si
tu le dis.
- T’sais quoi ?! Je
n’ai pas envie de te parler ! J’me casse !
Je pris immédiatement mes affaires et sortis du
cabinet, énervée.
Au fond de moi, je savais très bien que ce qui
m’énervait le plus était que Manu avait raison ; mais je refusais de l’admettre.
- Je le déteste !
criai-je dans le téléphone.
- Clémence, tu ne le connais
même pas ! tenta Matthieu.
- Il n’est pas toi,
dis-je. Donc je ne l’aime pas.
- J’aimerais être une
petite souris pour voir ça ! rit mon nouveau petit ami.
- Tu le verrais si tu n’étais
pas parti comme un voleur !
- Si je n’étais pas parti
comme un voleur, reprit-il, John ne serait pas là et il n’y aurait donc rien à
voir.
- Tu serais auprès de
moi.
- On vient d’en parler,
Clémence… Ce n’était plus possible.
- Je sais.
- Raconte-moi plutôt ta
journée, m’ordonna-t-il.
- J’ai pris deux fessées.
- Qui est celui qui a osé
faire ça ?
- A ton avis ?
Matthieu éclata de rire à l’autre bout du fil.
- Je l’adore, finit-il par
dire.
- Et toi, ta journée ?
demandai-je pour changer de sujet et éviter de m'énerver à nouveau.
- J’ai donné cinq
fessées.
- Cinq ?! m’exclamai-je
en menaçant de m’étouffer avec ma salive.
- Je suis nouveau, les pensionnaires
me testent.
Matthieu et moi passâmes une bonne demi-heure
au téléphone jusqu’à ce que Monsieur Éric vienne me chercher.
- Clémence, tu raccroches,
maintenant ! Tu devrais déjà être au lit !
Matthieu comprit et, après m’avoir dit au
revoir, prit son ancien Directeur au téléphone tandis que j’allais me préparer
pour dormir.
Lorsque
j’arrivai dans ma chambre, je découvris mon lit sans dessus-dessous : Mathilde
s’affairait à tout ranger.
- Que s’est-il passé ?!
interrogeai-je.
Sans répondre, ma meilleure amie me tendit un papier
sur lequel je lus : « C’est moins dangereux qu’un fil tendu sur le
pas de ta porte. A ton tour. ».
Tandis que je bouillonnais de rage, Mathilde m’houspilla :
- Aide-moi ! Si
Monsieur Éric voit ce bazar, je ne donne pas cher de notre peau !
Je décidai alors de faire demi-tour.
- Clémence ! Où
est-ce que tu vas ?!
- Je vais voir Monsieur
John. Il va m’entendre !
- Tu es complètement
malade, ou quoi ?! Non seulement Monsieur Éric va te tomber dessus, mais
en plus le nouveau SG t’a bien montré qu’il ne fallait pas le provoquer !!
Il t’a déjà calmée ce midi ! Tu veux vraiment aller l’embrouiller ?!
Les propos de Mathilde me raisonnèrent. Je décidai
que ma vengeance aurait lieu dans la nuit pour éviter le courroux du Directeur.
A suivre…
Je sent que je vais bien rire avec le petit jeu de Clemence et de john
RépondreSupprimerOn vais pas s’ennuyer vivement le suite 😁😁
Merci pour tous c’est magnifique récit
Finalement Clémence ne réagit pas trop mal.
RépondreSupprimerBon courage Monsieur John !
John est joueur et ça me plaît bien. Clémence n'a pas trop mal pris le départ de Mathieu, je m'attendais à pire. Bon, ceci dit, Clémence n'est pas sortie de la mouise.
RépondreSupprimerJ'adore tous tes récits !!! Je les attends toujours avec impatience. Merci à toi
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