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Journal d'une étudiante accueillie. - Chapitre 83

 



Mardi 7 janvier 2020

 

       Je n’ouvris presque pas la bouche à la table du petit déjeuner : j’étais beaucoup trop angoissée à l’idée de retourner à l’école et de subir les moqueries des autres.

       Nous déjeunions donc tous les sept, et seule Manoé faisait la conversation à nos parents qui faisaient semblant de l’écouter.

Alors qu’Assa me tendait une autre tartine de beurre et de confiture, ma petite sœur se tut et me fixa.

-    Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je.

-    Tu reprends une tartine ? T’es sérieuse ? Tu n’es pas assez grosse comme ça ?

Le silence qui s’en suivit fut mortel. Je jetai immédiatement un regard paniqué à mes parents (elle n’avait quand même pas osé dire ça ?!) qui avaient tous deux fermés les yeux, de dépit. Puis, papa ordonna à Manoé :

-    Monte dans ta chambre.

-    Qu’est-ce que j’ai fait encore ?! s’emporta l’adolescente.

-    Monte, j’ai dit ! répéta papa en haussant le ton.

-    Mais je n’ai rien fait, là !! se défendit la benjamine de la fratrie.

Papa se leva, la sortit de table et la monta dans sa chambre à l’aide de bonnes claques aux fesses ; pendant que j’étais toujours figée, à table, regardant la tartine que je tenais dans la main.

-    Marie, mange un morceau, me dit doucement ma mère. Je t’en prie.

-    Je… je n’ai plus faim, répondis-je à mi-voix.

Tout à coup, Scarlett s’énerva : elle attrapa une des chaises du bar et l’envoya valser sur le sol en s’écriant :

-    Putain de merde !

-    Maman ? intervint Louise, apeurée.

-    Mais qu’est-ce qu’on a fait à Dieu pour qu’Il nous foute une gamine pareille ?!  poursuivit Scarlett en ignorant ma sœur. Bordel !! On n’a pas demandé à avoir d’autres enfants, et il faut qu’ils nous collent une petite merdeuse qui passe son temps à foutre en l’air tout ce qu’on a construit !! Mais qu’est-ce qu’on a bien pu faire pour mériter ça ?!

-    Maman, ça va aller… lui dit Ana.

-    Bien sûr que ça va aller, lui rétorqua Scarlett. On va la foutre en pension à l’autre bout du pays et ce sera réglé ! Je remercie vraiment le Ciel que Mayeul soit adorable parce que je crois que j’aurais déjà fait un meurtre ! Ça fait à peine trente-six heures qu’elle est là et elle est déjà en train de tout foutre en l’air !! Merde, à la fin !!

Sur le moment, je me dis que c’était peut-être mieux que ce soit papa qui se soit occupé de Manoé. Scarlett lui aurait sûrement fait creuser sa propre tombe.

Maman continua de faire les cents pas pendant plus d’une minute, puis prit plusieurs grandes respirations.

-    Bien, ça va aller les enfants ! dit-elle, plus pour elle-même que pour nous. On se relaxe, on se détend, ça va aller.

-    Tu es sûre ? s’inquiéta Louise.

-    Je suis sûre, répondit Scarlett.

Ma mère tourna alors sa tête vers moi et m’ordonna :

-    Mange ta tartine, Marie chérie.

-    Mais…

-    Marie, reprit Scarlett en s’accroupissant à côté de moi. Je sais que la réplique de Manoé t’a fait on ne peut plus souffrir. Mais elle a fait ça uniquement pour t’atteindre : et ça a fonctionné ! Je refuse catégoriquement qu’à cause de cette petite peste, tu retombes dans ton caprice d’anorexie à deux balles ! Si tu nous refais ce chantage, Manoé aura gagné ! Je peux t’assurer que si tu arrêtes à nouveau de manger, c’est toi qui prendras la fessée, pas elle ! Tu veux vraiment lui faire ce cadeau ?!

Comme unique réponse, je croquai dans ma tartine.

      

       Sur le trajet de l’école, Manoé ne cessait de pleurer et de gigoter sur son siège.

-    Qu’est-ce qui t’arrive ? lui demanda papa, les yeux rieurs. Tu ne tiens pas assise ?

-    Je vais me barrer de chez vous ! prévint Manoé entre deux sanglots.

-    Parfait ! rétorqua papa. Et ne te donne surtout pas la peine d’une carte postale.

-    De toute façon, personne ne m’aime dans cette famille ! ajouta la jeune fille.

-    Tu ne nous as même pas laissés essayer, dit papa. Si tu veux que nous t’aimions, commence déjà par t’aimer toi-même ; et arrête d’être exécrable avec tout le monde. Ça ne t’amènera à rien, mis à part à un fessier constamment écarlate.

Manoé se tut tout le reste du trajet.

 

-    Vos parents nous ont demandé d’être vigilantes ! me dit Sœur Agnès à la cantine.

-    Vigilantes à quoi ? m'étonnai-je.

-    A ce que vous mangiez ! rétorqua la religieuse. Donc je viendrai vérifier que votre repas a été correctement englouti !

Je n’en revenais pas que mes parents aient prévenu l’école par rapport à ce matin. Ils prenaient vraiment toutes les précautions nécessaires !!

 

       Le premier cours de l’après-midi, littérature comparée avec Sœur Françoise, m’attira des ennuis : j’avais en effet oublié mon petit cahier.

-    Pourquoi n’avez-vous pas préparé votre cartable hier soir pour être sûre de ne rien oublier ?

-    C’est ce que j’ai fait, répondis-je.

-    La preuve que non ! me démontra ma professeure principale.

-    Je dois m’habituer à prendre le rythme avec les nouvelles fournitures, argumentai-je.

-    Ah oui ? Pourtant, vos sœurs n’ont pas oublié leurs petits cahiers, elles ! me fit remarquer la religieuse.

-    Elles sont moins têtes en l’air que moi, répondis-je.

-    Vous descendez d’une couleur, mademoiselle Webber ! Ainsi, vous apprendrez à être plus sérieuse !

-    Non, s’il vous plaît ! la priai-je. Mes parents vont me tuer !

-    Vous tuer ? Cela m’étonnerait fort. Néanmoins, il se peut que votre père réagisse de la même manière qu’hier soir, ce qui vous ferait le plus grand bien !

Cette vieille chouette remuait le couteau dans la plaie de ma honte et elle semblait y prendre un malin plaisir ! J’aurais vraiment aimé l’injurier !

 

       A la récréation de l’après-midi, je pus enfin abattre mes défenses : Manoé avait fait le nécessaire pour qu’on ne se moque plus de moi. J’avais un souci de moins.

 

       Pendant le cours d’histoire, j’avais tellement les yeux rivés sur l’horloge que ma professeure, Sœur Thérèse, dut me reprendre par deux fois :

-    Marie ! C’est au tableau que ça se passe !

Qui allait venir me chercher ? Papa ou maman ? Je me fichais pas mal de l’Antiquité (c’était d’ailleurs la période historique que j’appréciais le moins !). Je ne regardais pas vers le passé mais vers l’avenir ; un avenir très proche qui me conduirait peut-être à reprendre une rouste devant mes camarades de classe.

 

-    Louise, Anaïs et Marie ! appela Sœur Françoise lorsque papa se pointa.

Punaise. J’étais dans le caca.

-    Marie est une nouvelle fois dans le orange, aujourd’hui, et ce n’est que le deuxième jour ! fit remarquer Sœur Françoise à papa. Si elle est encore dans le orange jeudi, elle écopera d’une retenue !

-    Bien, j’ai dit que je ne réagirais pas à chaud donc tu vas m’expliquer ça à la maison, me dit Michael.

Je rivai mes yeux au sol.

-    Oh, dit papa en fronçant les sourcils. Cette fois-ci, tu as vraiment fait une bêtise !

-    J’ai seulement oublié mon petit cahier de littérature comparée, avouai-je alors que nous marchions vers la sortie.

-    Pourquoi l’as-tu oublié ? questionna le père de famille. Tu n’as pas préparé ton cartable hier soir ?

-    Si, mais…

-    Mais ?

-    Mais je l’ai quand même oublié.

-    Je te préviens, Marie, c’est la dernière fois ! me gronda mon père en ouvrant le coffre de la voiture pour y mettre nos cartables. Pour ce soir, tu feras tes lignes sans représailles ; mais si tu n’es pas dans le vert jeudi, ce sera la fessée ! Tu te débrouilles comme tu veux mais je te veux dans le vert !

Me faire menacer devant toute ma fratrie ? Je m’en serais vraiment bien passée… Mais au moins, Manoé n’avait pas relevé.

 

       Heureusement, ma mère ne me gronda pas : elle se contenta de me faire les gros yeux et de me tendre mon goûter. Elle en profita d’ailleurs pour me demander :

-    Tu as mangé correctement ce midi ?

-    Oui maman, lui répondis-je.

-    Sûre ?

-    Tu peux demander à Louise et Ana si tu ne me crois pas ! dis-je.

Mes sœurs confirmèrent.

 

       Après le goûter, maman insista pour que nous fassions nos devoirs tous les cinq dans la salle à manger. Selon elle, il était plus simple de nous aider tous les cinq en même temps plutôt que de passer sans cesse de chambre en chambre.

Etant fatiguée et souhaitant boucler mon travail, j’exécutai rapidement mon exercice d’histoire.

-    C’est bâclé, Marie ! me gronda ma mère en le vérifiant. Tu recommences !

-    Je le recommencerai plus tard, c’est pour vendredi ! dis-je.

-    Non, tu le recommences maintenant, tant que le cours est encore frais dans ta mémoire.

-    Mais c’est bon, maman ! dis-je, saoulée. Et puis, il est fait, au moins !

Scarlett s’empara de mon cahier et déchira la page sous mes yeux écarquillés.

-    Tu recommences, Marie ! Et tu t’appliques, cette fois-ci ! Sinon, j’arrache une nouvelle fois la page !

-    Mais maman…

-    Tu veux une fessée ?!

-    Non maman, répondis-je.

-    Termine ton exercice.

Je préférais vraiment lorsque mes parents ne se mêlaient pas de mon travail scolaire… !

 

       Le début de soirée et le dîner furent calmes, Manoé ne fit aucune vague, ayant apparemment retenu la leçon de ce matin.  

Enfin, j’avais peut-être parlé trop vite.

 

-    Mamaaaaaaan !!! Papaaaaaa !!! hurla Louise. Anaïs et Manoé sont en train de se battre !!!

Mayeul et moi, qui étions en train de jouer à la console dans le salon, n’assistâmes pas à la scène. Nous vîmes seulement papa monter à l’étage en quatrième vitesse, puis nous entendîmes de nombreuses claques tomber, des portes claquer, et ce fut terminé.

La soirée fut écourtée pour les deux bagarreuses qui furent envoyées au lit.

Quant à papa, maman, Louise, Mayeul et moi, nous nous installâmes devant la télé pour regarder un bon film, un énorme saladier de popcorn passant de mains en mains.

 

A suivre…

La suite !

Commentaires

  1. Une vraie PESTE CETTE Manoé 😡
    Je n'ai pas l'impression qu'elle va plier si facilement ...
    Marie semble être son souffre-douleur !

    Le problème alimentaire n'est jamais loin !
    Scarlett ''pète les plombs'' 😒 pas sûr qu'elle adore être mère au foyer dans ces conditions ?

    Marie a échappé à la fessée ... (🤔 au fait ça fait longtemps qu'elle n'en a pas reçu ?)
    Réussira-t-elle à être dans le vert jeudi ?

    Mais avant il y a le mercredi, jour sans école ... comment ça va se passer ?







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  2. houlala je sent que marie va retomber dans le "je mange pas" mais pourra t'elle le cacher a ses parents ou même au soeur de l'école??

    quelle connasse cette Manoé quand même!!!

    Je me demande bien pourquoi Anaïs c'est battue

    vivement la suite :D
    J'adore vraiment, et plus sa va plus je m'identifie a Marie

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    Réponses
    1. Oui en effet pourquoi Anaïs et Manoé se sont-elles battues ?
      Manoé ne va peut-être pas s'en prendre trop souvent à Anaïs, le Grand-Pa lui, s'en souvient !
      En attendant, Anaïs a été punie sûrement à cause d'elle 😪



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