Mardi 7 janvier 2020
Je
n’ouvris presque pas la bouche à la table du petit déjeuner : j’étais
beaucoup trop angoissée à l’idée de retourner à l’école et de subir les
moqueries des autres.
Nous
déjeunions donc tous les sept, et seule Manoé faisait la conversation à nos
parents qui faisaient semblant de l’écouter.
Alors qu’Assa me tendait une autre tartine de
beurre et de confiture, ma petite sœur se tut et me fixa.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
lui demandai-je.
- Tu reprends une tartine ?
T’es sérieuse ? Tu n’es pas assez grosse comme ça ?
Le silence qui s’en suivit fut mortel. Je jetai
immédiatement un regard paniqué à mes parents (elle n’avait quand même pas osé
dire ça ?!) qui avaient tous deux fermés les yeux, de dépit. Puis, papa
ordonna à Manoé :
- Monte dans ta chambre.
- Qu’est-ce que j’ai fait
encore ?! s’emporta l’adolescente.
- Monte, j’ai dit ! répéta
papa en haussant le ton.
- Mais je n’ai rien fait,
là !! se défendit la benjamine de la fratrie.
Papa se leva, la sortit de table et la monta dans
sa chambre à l’aide de bonnes claques aux fesses ; pendant que j’étais toujours
figée, à table, regardant la tartine que je tenais dans la main.
- Marie, mange un morceau,
me dit doucement ma mère. Je t’en prie.
- Je… je n’ai plus faim,
répondis-je à mi-voix.
Tout à coup, Scarlett s’énerva : elle
attrapa une des chaises du bar et l’envoya valser sur le sol en s’écriant :
- Putain de merde !
- Maman ? intervint
Louise, apeurée.
- Mais qu’est-ce qu’on a
fait à Dieu pour qu’Il nous foute une gamine pareille ?! poursuivit Scarlett en ignorant ma sœur.
Bordel !! On n’a pas demandé à avoir d’autres enfants, et il faut qu’ils
nous collent une petite merdeuse qui passe son temps à foutre en l’air tout ce
qu’on a construit !! Mais qu’est-ce qu’on a bien pu faire pour mériter ça ?!
- Maman, ça va aller… lui
dit Ana.
- Bien sûr que ça va
aller, lui rétorqua Scarlett. On va la foutre en pension à l’autre bout du pays
et ce sera réglé ! Je remercie vraiment le Ciel que Mayeul soit adorable parce
que je crois que j’aurais déjà fait un meurtre ! Ça fait à peine
trente-six heures qu’elle est là et elle est déjà en train de tout foutre en l’air !!
Merde, à la fin !!
Sur le moment, je me dis que c’était peut-être
mieux que ce soit papa qui se soit occupé de Manoé. Scarlett lui aurait sûrement
fait creuser sa propre tombe.
Maman continua de faire les cents pas pendant
plus d’une minute, puis prit plusieurs grandes respirations.
- Bien, ça va aller les enfants !
dit-elle, plus pour elle-même que pour nous. On se relaxe, on se détend, ça
va aller.
- Tu es sûre ? s’inquiéta
Louise.
- Je suis sûre, répondit
Scarlett.
Ma mère tourna alors sa tête vers moi et m’ordonna :
- Mange ta tartine, Marie
chérie.
- Mais…
- Marie, reprit Scarlett
en s’accroupissant à côté de moi. Je sais que la réplique de Manoé t’a fait on
ne peut plus souffrir. Mais elle a fait ça uniquement pour t’atteindre :
et ça a fonctionné ! Je refuse catégoriquement qu’à cause de cette petite
peste, tu retombes dans ton caprice d’anorexie à deux balles ! Si tu nous
refais ce chantage, Manoé aura gagné ! Je peux t’assurer que si tu arrêtes
à nouveau de manger, c’est toi qui prendras la fessée, pas elle ! Tu veux
vraiment lui faire ce cadeau ?!
Comme unique réponse, je croquai dans ma
tartine.
Sur
le trajet de l’école, Manoé ne cessait de pleurer et de gigoter sur son siège.
- Qu’est-ce qui t’arrive ?
lui demanda papa, les yeux rieurs. Tu ne tiens pas assise ?
- Je vais me barrer de
chez vous ! prévint Manoé entre deux sanglots.
- Parfait ! rétorqua
papa. Et ne te donne surtout pas la peine d’une carte postale.
- De toute façon,
personne ne m’aime dans cette famille ! ajouta la jeune fille.
- Tu ne nous as même pas
laissés essayer, dit papa. Si tu veux que nous t’aimions, commence déjà par t’aimer
toi-même ; et arrête d’être exécrable avec tout le monde. Ça ne t’amènera
à rien, mis à part à un fessier constamment écarlate.
Manoé se tut tout le reste du trajet.
- Vos parents nous ont demandé
d’être vigilantes ! me dit Sœur Agnès à la cantine.
- Vigilantes à quoi ? m'étonnai-je.
- A ce que vous mangiez !
rétorqua la religieuse. Donc je viendrai vérifier que votre repas a été correctement
englouti !
Je n’en revenais pas que mes parents aient
prévenu l’école par rapport à ce matin. Ils prenaient vraiment toutes les précautions
nécessaires !!
Le
premier cours de l’après-midi, littérature comparée avec Sœur Françoise, m’attira
des ennuis : j’avais en effet oublié mon petit cahier.
- Pourquoi n’avez-vous pas
préparé votre cartable hier soir pour être sûre de ne rien oublier ?
- C’est ce que j’ai fait,
répondis-je.
- La preuve que non !
me démontra ma professeure principale.
- Je dois m’habituer à
prendre le rythme avec les nouvelles fournitures, argumentai-je.
- Ah oui ? Pourtant,
vos sœurs n’ont pas oublié leurs petits cahiers, elles ! me fit remarquer
la religieuse.
- Elles sont moins têtes
en l’air que moi, répondis-je.
- Vous descendez d’une
couleur, mademoiselle Webber ! Ainsi, vous apprendrez à être plus sérieuse !
- Non, s’il vous plaît !
la priai-je. Mes parents vont me tuer !
- Vous tuer ? Cela m’étonnerait
fort. Néanmoins, il se peut que votre père réagisse de la même manière qu’hier
soir, ce qui vous ferait le plus grand bien !
Cette vieille chouette remuait le couteau dans
la plaie de ma honte et elle semblait y prendre un malin plaisir ! J’aurais
vraiment aimé l’injurier !
A
la récréation de l’après-midi, je pus enfin abattre mes défenses : Manoé
avait fait le nécessaire pour qu’on ne se moque plus de moi. J’avais un souci
de moins.
Pendant
le cours d’histoire, j’avais tellement les yeux rivés sur l’horloge que ma
professeure, Sœur Thérèse, dut me reprendre par deux fois :
- Marie ! C’est au
tableau que ça se passe !
Qui allait venir me chercher ? Papa ou
maman ? Je me fichais pas mal de l’Antiquité (c’était d’ailleurs la
période historique que j’appréciais le moins !). Je ne regardais pas vers
le passé mais vers l’avenir ; un avenir très proche qui me conduirait
peut-être à reprendre une rouste devant mes camarades de classe.
- Louise, Anaïs et Marie !
appela Sœur Françoise lorsque papa se pointa.
Punaise. J’étais dans le caca.
- Marie est une nouvelle
fois dans le orange, aujourd’hui, et ce n’est que le deuxième jour ! fit
remarquer Sœur Françoise à papa. Si elle est encore dans le orange jeudi, elle
écopera d’une retenue !
- Bien, j’ai dit que je
ne réagirais pas à chaud donc tu vas m’expliquer ça à la maison, me dit
Michael.
Je rivai mes yeux au sol.
- Oh, dit papa en fronçant
les sourcils. Cette fois-ci, tu as vraiment fait une bêtise !
- J’ai seulement oublié
mon petit cahier de littérature comparée, avouai-je alors que nous marchions
vers la sortie.
- Pourquoi l’as-tu
oublié ? questionna le père de famille. Tu n’as pas préparé ton
cartable hier soir ?
- Si, mais…
- Mais ?
- Mais je l’ai quand même
oublié.
- Je te préviens, Marie,
c’est la dernière fois ! me gronda mon père en ouvrant le coffre de la
voiture pour y mettre nos cartables. Pour ce soir, tu feras tes lignes sans représailles ; mais si tu
n’es pas dans le vert jeudi, ce sera la fessée ! Tu te débrouilles comme
tu veux mais je te veux dans le vert !
Me faire menacer devant toute ma fratrie ?
Je m’en serais vraiment bien passée… Mais au moins, Manoé n’avait pas relevé.
Heureusement,
ma mère ne me gronda pas : elle se contenta de me faire les gros yeux et de
me tendre mon goûter. Elle en profita d’ailleurs pour me demander :
- Tu as mangé correctement
ce midi ?
- Oui maman, lui
répondis-je.
- Sûre ?
- Tu peux demander à Louise
et Ana si tu ne me crois pas ! dis-je.
Mes sœurs confirmèrent.
Après
le goûter, maman insista pour que nous fassions nos devoirs tous les cinq dans
la salle à manger. Selon elle, il était plus simple de nous aider tous les cinq
en même temps plutôt que de passer sans cesse de chambre en chambre.
Etant fatiguée et souhaitant boucler mon travail, j’exécutai rapidement mon exercice d’histoire.
- C’est bâclé, Marie !
me gronda ma mère en le vérifiant. Tu recommences !
- Je le recommencerai
plus tard, c’est pour vendredi ! dis-je.
- Non, tu le recommences maintenant,
tant que le cours est encore frais dans ta mémoire.
- Mais c’est bon, maman !
dis-je, saoulée. Et puis, il est fait, au moins !
Scarlett s’empara de mon cahier et déchira la page
sous mes yeux écarquillés.
- Tu recommences, Marie !
Et tu t’appliques, cette fois-ci ! Sinon, j’arrache une nouvelle fois la
page !
- Mais maman…
- Tu veux une fessée ?!
- Non maman, répondis-je.
- Termine ton exercice.
Je préférais vraiment lorsque mes parents ne se
mêlaient pas de mon travail scolaire… !
Le
début de soirée et le dîner furent calmes, Manoé ne fit aucune vague, ayant
apparemment retenu la leçon de ce matin.
Enfin, j’avais peut-être parlé trop vite.
- Mamaaaaaaan !!!
Papaaaaaa !!! hurla Louise. Anaïs et Manoé sont en train de se battre !!!
Mayeul et moi, qui étions en train de jouer à
la console dans le salon, n’assistâmes pas à la scène. Nous vîmes seulement
papa monter à l’étage en quatrième vitesse, puis nous entendîmes de nombreuses
claques tomber, des portes claquer, et ce fut terminé.
La soirée fut écourtée pour les deux
bagarreuses qui furent envoyées au lit.
Quant à papa, maman, Louise, Mayeul et moi, nous nous
installâmes devant la télé pour regarder un bon film, un énorme saladier de
popcorn passant de mains en mains.
A suivre…
Une vraie PESTE CETTE Manoé 😡
RépondreSupprimerJe n'ai pas l'impression qu'elle va plier si facilement ...
Marie semble être son souffre-douleur !
Le problème alimentaire n'est jamais loin !
Scarlett ''pète les plombs'' 😒 pas sûr qu'elle adore être mère au foyer dans ces conditions ?
Marie a échappé à la fessée ... (🤔 au fait ça fait longtemps qu'elle n'en a pas reçu ?)
Réussira-t-elle à être dans le vert jeudi ?
Mais avant il y a le mercredi, jour sans école ... comment ça va se passer ?
houlala je sent que marie va retomber dans le "je mange pas" mais pourra t'elle le cacher a ses parents ou même au soeur de l'école??
RépondreSupprimerquelle connasse cette Manoé quand même!!!
Je me demande bien pourquoi Anaïs c'est battue
vivement la suite :D
J'adore vraiment, et plus sa va plus je m'identifie a Marie
Oui en effet pourquoi Anaïs et Manoé se sont-elles battues ?
SupprimerManoé ne va peut-être pas s'en prendre trop souvent à Anaïs, le Grand-Pa lui, s'en souvient !
En attendant, Anaïs a été punie sûrement à cause d'elle 😪