Mardi 21 janvier 2020
Marie.
Que
le réveil fut rude ! D’ailleurs, en voyant nos quatre têtes de morts-vivants,
Virginie commença à se poser des questions sur notre prétendue « soirée de
liberté » du lundi soir… Mais elle
vit bien que ce n’était pas vraiment le moment de nous questionner sur le
sujet, étant donné notre irritabilité qui était à son paroxysme à cause de
notre fatigue.
En
nous déposant à l’école, Virginie nous recommanda d’être sages mais nous l’écoutâmes
à peine. Pour ma part, j’avais bien vu et retenu la façon dont elle avait géré
nos exploits de la veille et je n’étais pas du tout disposée à lui obéir !
Anaïs
et moi n’eûmes même pas besoin de faire des frasques pour descendre dans le
tableau : lorsque Sœur Anne de Dieu se rendit compte que nos devoirs n’étaient
pas faits, elle nous descendit immédiatement dans le rouge après nous avoir
bien grondées. Heureusement, nous n’étions pas les seules : Marylou, Alice,
Magdalena, Angélique et Paloma n’avaient pas non plus fait leurs devoirs.
- Ça va en faire du monde
en retenue ce soir ! s’exclama notre professeure de littérature française.
Effectivement, le bureau de la Mère Supérieure
allait bientôt manquer de coins pour nous accueillir…
La
récréation du milieu de la matinée fut vraiment bienvenue : les deux
heures de littérature s’étaient avérées soporifiques au possible ; d’autant
que je n’avais pas avancé autant que je l’aurais dû sur la lecture de l’œuvre intégrale
des Misérables.
Alors
que nous discutions dans un coin isolé de la cour avec la plupart des filles de
la classe bleue, Marylou sortit tout à coup un petit paquet en aluminium de son
soutien-gorge. Lorsqu’elle le déballa – après s’être assurée que nous n’étions
pas surveillées ! –, deux cigarettes et un briquet apparurent au milieu du
papier gris métallique.
- Putain, mais où est-ce
que t’as eu ça ?! s’exclama Clara, paniquée.
- Je les ai volées à ma
mère d’accueil, répondit Marylou. Qui veut une taffe ?
- Range vite ça ! ordonna
Rose. C’est un coup à se faire virer de l’école ! Si je me fais virer, mes
parents d’accueil vont vraiment me tuer !
- Moi, je veux bien une
taffe, dit Magdalena. De toute façon, que je fasse des conneries ou pas, mon
père ne lâche jamais le martinet. C’est comme si c’était un prolongement de son
bras.
- Tu déconnes ?! s’indigna
Louise. Tu veux dire que ton père te punit sans raison ?!
- Ouais, rétorqua Magda dans
un cynisme déconcertant, après avoir regardé Marylou allumer une cigarette.
- Mais il faut que tu
appelles l’agence des familles d’accueil ! m’exclamai-je. Il faut que tu le
dénonces !
- A part parer les coups
avec mes pauvres mains qui sont maintenant aussi striées que mes fesses et mes cuisses, je ne
peux rien faire…
Des larmes lui montèrent aux yeux et j’étais
persuadée que ce n’était pas dû à la taffe qu’elle venait de prendre.
- Bien sûr que si, tu
peux ! s’écria Louise. On va t’aider ! Tu ne peux pas rester comme ça !
On va en parler à nos parents et puis…
- Je vous dis que c’est
impossible ! insista Magdalena en laissant couler une larme sur sa joue. Déjà,
je n’ai pas de mère d’accueil ni de fratrie. Je suis toute seule avec mon
père.
- Raison de plus pour qu’on
t’aide ! intervins-je.
- Vous ne comprenez pas,
dit ma nouvelle amie. Mon père travaille au gouvernement. Il fait partie des gens
qui ont pondu cette réforme qui a détruit nos vies. Il est carrément
intouchable !
Un silence de mort s’installa.
- En dehors du martinet,
est-ce qu’il… est-ce que… enfin… est-ce qu’il te fait… d’autres choses ?
risqua Alice.
- Nan, il ne m’a jamais
touchée sur ce plan-là ! affirma Magdalena avec véhémence. Non, il a toujours
respecté mon intimité et il n’a jamais abusé de moi ! C’est juste que… Je reçois
le martinet tous les jours, tout le temps. Si j’ai placé le couteau à droite de
l’assiette et pas à gauche, ça tombe. Si je n’ai pas rempli le lave-vaisselle
comme il veut, ça tombe. Alors imaginez, lorsque je fais réellement des bêtises…
Mes fesses et mes cuisses sont méconnaissables.
Il y eut un nouveau silence de plusieurs
longues secondes.
- Je suis désolée de me
plaindre autant de nos parents et de leur faire autant la guerre, déclara Anaïs
en nous regardant à tour de rôle Louise et moi.
- Ah, tu comprends,
maintenant ?! s’exclama Loulou. Ce n’est pas trop tôt ! Pour le coup,
nous, on ne prend la fessée que quand on fait vraiment des bêtises !
Et en-dehors de ça, nos parents font tout pour nous faire plaisir !
- Oui, c’est pareil pour
nous, dit Clara en regardant Alice, sa sœur d’accueil. Nos parents sont super
stricts mais pas injustes, en fin de compte…
- Ils sont obligés d’être
stricts, c’est la loi ! expliqua Magdalena après s’être ressaisie.
- Qu’est-ce que tu veux
dire ? me renseignai-je.
- Les familles d’accueil
risquent des représailles – comme de grosses amendes, des heures de travaux d’intérêt
général, ou même des peines de prison ! – si elles n’appliquent pas une
discipline stricte avec leurs enfants. On pourrait penser qu’elles pourraient
nous laisser vivre nos vies de jeunes adultes, nous laisser nous gérer nous-mêmes…
Mais elles ont l’interdiction légale et formelle de faire ça. Elles sont
obligées de nous traiter comme des enfants de huit ans. C’est pour ça que nous
sommes punis comme des enfants, pour ça que nous n’avons pas le droit de faire
des fêtes étudiantes ou de sortir dans des bars étudiants, ou même de consommer
de l’alcool ou autre… Tout est fait pour nous infantiliser au maximum. Vous
avez bien vu que, même nos menstruations nous sont enlevées avec le
traitement que nous devons prendre… Si jamais un adulte découvre que nous avons
nos règles, nous pourrions nous retrouver dans les bagnes avec ceux qui ont
tenté de déserter.
- Pourtant, certains amis
font des fêtes ! dis-je, ne voulant pas croire à tout ce que racontait Magdalena.
Nous-mêmes en avons fait une vendredi !
- Il y a une différence
entre faire une fête de temps en temps, et faire des soirées étudiantes toutes
les semaines… Mais bientôt, les fêtes en soirées seront interdites. Seuls les « goûters »
seront autorisés. Je vous l’ai dit, le but est de nous infantiliser le plus
possible… Tout le gouvernement est lobotomisé, les forces de l’ordre également…
La semaine dernière, mon père m’a raconté qu’un couple s’était vu retirer ses
enfants d’accueil parce qu’il avait choisi de les éduquer avec l’éducation
positive…
- Tu déconnes ?! s’étonna
Paloma, horrifiée.
- Si seulement… Il y a
encore un an, les punitions corporelles étaient interdites dans les familles. Aujourd’hui,
elles sont devenues obligatoires. Vous ne trouverez pas une seule famille qui
ne donne pas la fessée à ses enfants, ou alors, c’est parce qu’elle réussit à
se cacher convenablement. Du coup, et j’en suis la preuve, toutes les dérives
et tous les abus sont permis…
- Mais c’est horrible !
s’exclama Louise, les larmes aux yeux. Nous vivions pourtant dans un pays libre,
dans une démocratie !
- Depuis l’élection du
nouveau Président, nous sommes dans une dictature, Louise ! rappela Anaïs.
- Mais… Jusqu’où vont-ils
nous priver de liberté ?! s’inquiéta ma sœur.
- Mon père dit que ça va
se stabiliser, déclara Magdalena. De toute façon, après avoir uniformisé les universités
pour qu’elles reprennent le fonctionnement d’une école primaire – comme celle-ci !
– nous aurons enfin cette vie d’enfant qu’ils désirent tant que nous ayons.
- Mais pourquoi ?! m’indignai-je.
Pourquoi veulent-ils tant nous infantiliser ?!
- Parce que des enfants
sont plus faciles à contrôler que des adultes, pardi ! expliqua Alice. C’est
évident…
- Putain, cachez vos clopes,
y’a Sœur Dominique qui se ramène !! prévint Angélique.
Les cigarettes furent vite écrasées, remballées
dans l’aluminium avec le briquet, et cachées dans le soutien-gorge de Marylou.
Mais même si Rose aspergea l’endroit de quelques coups de spray de parfum (je ne
voulais pas savoir d’où elle sortait ce mini-flacon…), l’odeur persista.
Le
bureau de la Mère Supérieure était en effet bien petit pour nous accueillir
toutes les dix. Marylou, Paloma, Rose, Clara, Alice, Angélique, Magdalena, Louise,
Anaïs et moi nous serrions devant elle alors que la sonnerie retentissait, signalant
la fin de la récréation. Je me retins de fondre en larmes. Papa et maman
rentraient dans trois jours et allaient me pulvériser. Entre mes bêtises d’hier
et la convocation dans le bureau de la Mère Supérieure aujourd’hui, il était
certain que j’allais morfler lorsque Michael et Scarlett rentreraient. Rien qu’à
l’idée de la fessée qui m’attendrait vendredi, ma gorge se noua intensément.
Après
nous avoir passé un savon digne de Minerva McGonagall, la Mère Supérieure se
livra à une activité des plus surprenantes : elle se mit à sentir nos
doigts pour détecter celles d’entre nous qui avaient réellement fumé. Marylou
et Magdalena furent immédiatement repérées pour leur plus grande peine mais
notre plus grand soulagement. Au moins, mes parents comprendraient peut-être qu’Ana,
Louise et moi nous trouvions au mauvais endroit, au mauvais moment…
- Mesdemoiselles, dit la
Mère Supérieure en s’adressant à Marylou et Magdalena. Penchez-vous sur mon
bureau.
Nous échangeâmes des regards terrifiés. Me
doutant de la suite, j’étais bien contente que Michael et Scarlett refusent
catégoriquement que nous recevions des punitions corporelles à l’école !
La Mère Supérieure releva la jupe de Marylou,
puis celle de Magdalena, exposant leurs culottes colorées à toutes les
personnes présentes dans la pièce. Je me rendis compte que Magda n’avait pas
menti : ses fesses et ses cuisses portaient les stigmates du passage
du martinet ; mais cela ne sembla pas choquer la Mère Supérieure qui
ignora ce fait et nous ordonna de nous écarter, ce que nous fîmes en nous réfugiant
dans les recoins disponibles de la pièce.
Sous nos regards horrifiés, nous vîmes la
cheffe d’établissement s’emparer d’une énorme règle en bois. La Mère Supérieure
paraissait tellement vieille que je crus que le poids de la règle allait la
faire vaciller ; mais au contraire : elle la leva sans difficulté et
l’abattit avec force sur le derrière de Marylou qui gémit de douleur, recroquevillant
ses mains en des poings serrés après que ses ongles aient rayé le bois du
bureau de la Mère.
Louise et moi détournâmes le regard, enfouissant
toutes les deux nos visages dans les larges épaules d’Anaïs.
Les coups de règles se succédèrent sans que la
Mère Supérieure ne faiblisse. Elle ne cessa que lorsque Marylou et Magdalena,
en larmes, eurent reçu vingt coups de règle chacune.
La directrice posa ensuite la règle à son emplacement
d’origine et annonça qu’elle allait appeler les parents de chacune d’entre nous.
Cette fois-ci, ce fut trop : je fondis en larmes. Non seulement je voulais
éviter à tout prix de recevoir une fessée, mais en plus j’allais déranger et décevoir
mes parents qui étaient justement partis en vacances pour décompresser et
déconnecter.
J’eus envie de supplier la Mère Supérieure de
ne pas contacter papa et maman mais aucun son ne sortit de ma bouche tellement
j’étais tétanisée. Je pensais à mon père qui me collerait forcément une énorme
fessée debout et mes larmes doublèrent. Je pensais à ma mère qui serait sûrement
tellement furieuse que je me retrouverais sans nul doute sur ses genoux à recevoir
la brosse… Et peut-être que le paddle serait à nouveau décroché du mur et
dépoussiéré…
Heureusement, Anaïs, qui n’était pas devenue
muette, plaida notre cause auprès de la Mère Supérieure ; mais elle ne
réussit qu’à obtenir un « Non ! » ferme, accompagné de : « Il
faut mieux choisir vos fréquentations, mademoiselle Webber ! ».
La cheffe d’établissement
commença par le père de Magda. Elle mit bien évidemment le haut-parleur, ce qui
eut le don de toutes nous terrifier, à commencer par la principale concernée.
- Monsieur Duchemin, j’écoute !
dit une voix grave et assurée.
- Bonjour monsieur Duchemin,
je suis la Mère Supérieure de l’école de Magdalena.
- Bonjour, répondit-il poliment.
Attendez, je sors de mon bureau.
Quelques secondes passèrent (pendant lesquelles
Magda continuait de pleurer à grosses larmes), puis monsieur Duchemin reprit :
- Je vous écoute.
- Monsieur, je vous
informe que votre fille, Magdalena Duchemin, vient de recevoir une correction
de ma part après avoir fumé du tabac dans l’enceinte de l’établissement.
- Pardon ?! s’exclama-t-il.
Qu’a-t-elle fait ?!
- Elle a fumé du tabac
dans l’enceinte de l’établissement, pendant la récréation.
- D’où venait ce tabac ?!
- D’une de ses camarades.
- Comment se fait-il qu’elle
ait eu accès à ce genre de substance ?!
- Monsieur, je…
- Peu importe, Magdalena
sait pertinemment qu’elle n’a pas le droit de toucher à ça ! Vous pouvez
lui dire que je viendrai la chercher à l’école ce soir et que ça va très mal aller
pour elle ! Je vous promets qu’elle ne recommencera pas !
- Je vous remercie de
votre compréhension, monsieur Duchemin.
- Et moi, de m’avoir
prévenu. N’hésitez pas s’il y a le moindre problème. Vous ne me dérangez jamais
lorsqu’il s’agit de ma fille.
- Je comprends monsieur,
et je n’hésiterai pas ! rétorqua la directrice en regardant Magdalena d’un
air suffisant et satisfait.
- Je vous laisse, j’ai un
entretien avec le Premier Ministre, annonça monsieur Duchemin. Je vous souhaite
une bonne journée, et n’oubliez pas d’informer ma fille qu’elle ne perd rien
pour attendre !
- Elle vous a entendu,
monsieur. Bonne journée à vous.
La Mère Supérieure raccrocha et annonça
cruellement : « Alors, à qui le tour ? Mademoiselle Chapeau, je
présume ? ».
Marylou se décomposa. La directrice composa le
numéro de sa mère, qui décrocha immédiatement, laissant entendre une voix très
aigüe avec un léger accent du sud-ouest.
- Oui allô ?
- Madame Chapeau,
bonjour, je suis la Mère Supérieure de l’école de vos enfants.
- Il y a un problème ?
Marylou va bien ? Ou alors est-ce Jordan ? Ou Antonin ? Ne me
dîtes pas qu’Axel a refait une bêtise… Je suis sûre que c’est lui !
- Madame, je vous informe
que votre fille, Marylou Chapeau, vient de recevoir une correction de ma part
après avoir fumé du tabac dans l’enceinte de l’établissement.
Un silence suivit l’annonce.
- Madame ? interrogea
la Mère. Êtes-vous toujours au bout du fil ?
- Je n’avais donc pas
rêvé ce matin en me rendant compte que j’avais des cigarettes qui avaient
disparu, ainsi que mon briquet…
- Effectivement, madame.
- Pouvez-vous me passer
ma fille, s’il vous plaît, ma Mère ?
La vieille femme fit signe à Marylou d’approcher.
- Elle vous entend,
madame, le haut-parleur est allumé.
- Marylou ?
- Ou…ui… mam…an…,
sanglota ma camarade.
- Pourquoi pleures-tu
déjà ?!
- Parce… que… la Mère…re…
Sup…Supéri…eure… m…m’a do…donné des coups de…de… règ…le… s…sur les fesses…
- Ah mais c’est bien fait
pour toi, ma fille ! gronda madame Chapeau. C’est tout à fait mérité !
Tu en as conscience, j’espère ?!
- Ou…oui ma…man…
- Et j’espère que tu as également
conscience que tu as vraiment fait une énorme bêtise et que je ne suis pas
contente du tout, Marylou !
- Oui… ma…man…
- Très bien, parce que je
vais tout de suite en informer ton père ; et puisque c’est lui qui vient
vous chercher à l’école tes frères et toi, je ne suis pas sûre qu’il attende
que vous rentriez à la maison pour te flanquer une fessée déculottée ! Et
je peux te dire que tu vas la sentir passer, celle-ci ! Papa va être furieux,
Marylou, et c’est bien normal ! Non mais, qu’est-ce qui t’es passé par la
tête, franchement ?! Toi qui es si sage, d’habitude ! Ne commence pas
à t’engager sur le mauvais chemin parce qu’il est hors de question que nous te
laissions faire ! On va redresser la barre et ça va être très douloureux
pour toi, Marylou ! Toi qui ne prends jamais la fessée, je peux t’assurer
qu’elle va tomber régulièrement si tu n’arrêtes pas tout de suite tes bêtises !
Et tu vas pouvoir dire adieu à ton téléphone ainsi qu'à tes après-midis au parc avec
tes frères ! Tu es privée de sortie et d’écrans au moins pour les deux
prochaines semaines ! Non, mais ! Je suis vraiment en colère ! On
se voit ce soir, Marylou, et à ta place, je ne serais pas pressée d’y être !
Tu entends ?!
- Oui maman, répondit
Marylou qui tentait de contrôler ses spasmes.
- Bien ! Sur ce, je
vous remercie de m’avoir prévenue ma Mère, et je vous prie d’excuser ma fille pour
le dérangement.
Avant même que la vieille peau puisse répondre,
madame Chapeau avait raccroché.
Clara et Alice étant sœurs, tout comme Paloma
et Rose, il ne restait plus que quatre coups de fil à passer. J’espérais
vraiment que Michael et Scarlett ne répondent pas au téléphone.
Sans annoncer laquelle/lesquelles de nous huit
était/étaient concernée(s), la Mère Supérieure composa un nouveau numéro. Après
deux sonneries, nous entendîmes la maman d’Angélique répondre. Le comble de la
gêne fut qu’elle annonça se trouver à l’hôpital, au chevet de Marion.
- Madame, pardonnez-moi
de vous déranger, je voulais juste vous informer qu’Angélique a été trouvée,
pendant la récréation, avec une bande de camarades qui fumaient du tabac.
- Ma fille a fumé ?!
- Non, je ne pense pas,
puisque ses doigts ne sentent pas particulièrement le tabac. Néanmoins, elles
se trouvaient avec des camarades qui fumaient et Dieu seul sait ce qui se serait
passé si nous avions attendu plus longtemps avant d’intervenir…
- Je vois. Mon mari et
moi aurons une discussion avec notre fille en venant la chercher ce soir. Nous
vous remercions de nous avoir prévenus, ma Mère.
- Nous prions toujours
pour le rétablissement de Marion. Bonne journée madame, et bon courage !
Angélique paraissait à demi-soulagée. Au moins,
son tour était passé ! Il ne nous restait plus qu’une chance sur trois. J’imaginais
mes parents en train de se balader au bord d’une plage, ne se doutant pas un
seul instant qu’ils allaient être appelés…
La Mère Supérieure composa un autre numéro, et
nous entendîmes une voix chaude et apaisante :
- Oui, allô ?
- Monsieur Kernec ?
- Lui-même.
- Bonjour monsieur, je
suis la Mère Supérieure de l’école de vos enfants. Je vous appelle parce qu’Alice
et Clara ont été trouvées en compagnie de camarades qui fumaient le tabac dans
la cour de récréation. Elles n’en ont pas fumé elles-mêmes car nous sommes intervenues
à temps, mais je tenais quand même à vous signaler l’incident.
- Et vous avez bien fait !
Quelles sanctions allez-vous mettre en place ?
- L’appel des parents
constitue en soi une sanction assez significative, expliqua la Mère Supérieure.
C’est ensuite aux parents de prendre le relais…
- Très bien, puis-je
parler à mes filles ?
- Le haut-parleur est activé,
monsieur.
Alice et Clara s’approchèrent du combiné avec
une appréhension évidente.
- Les filles ?
- Oui papa, répondirent
Alice et Clara en chœur.
- Profitez bien de
pouvoir vous asseoir jusqu’à votre retour à la maison car lorsque je serai
rentré du travail, vous ne le pourrez plus.
- Mais papa, protesta
Alice, écoute-nous !
- On en discutera ce soir,
j’écouterai attentivement votre plaidoyer alors tâchez de le préparer
correctement ! Mais je vous conseille aussi de bien préparer vos derrières
parce qu’à mon avis, ça va chauffer !
Monsieur Kernec raccrocha sans même avoir salué
la Mère Supérieure.
Il ne restait qu’une chance sur deux. Louise me
chuchota : « Avec le bol qu’on a, on va être les dernières… ».
Pas loupé. Monsieur Guillaume répondit au téléphone
après quatre sonneries – qui avaient laissé croire à Paloma et Rose qu’elles
étaient sorties d’affaire ! -, de sa voix grave et énergique. La Mère
Supérieure lui exposa les faits et monsieur Guillaume cria dans le combiné à l’intention
de ses filles :
- Paloma Alexandra
Guillaume ! Rose Nathalie Victoria Guillaume ! Je vous garantis que
la fessée va tomber ! Et elle va tomber chaudement ! Comment
osez-vous ?! Votre mère et moi allons vite vous recadrer, ça ne va pas
traîner !
Il salua la directrice et raccrocha.
Le moment tant redouté arriva. Anaïs plaida encore
une fois notre cause, ce qui fit croire à nos camarades, j’en étais certaine,
que nos parents étaient particulièrement redoutables. Michael et Scarlett,
surnommés « Ken et Barbie » ou « Les mannequins » par à peu
près tous les élèves de l’école, avaient déjà la réputation d’être sévères
depuis que papa nous avait claqué le derrière à Anaïs et moi dès le premier
jour, alors que tout était la faute de Manoé.
Le visage de la Mère Supérieure se tordit en un
sourire immonde, diabolique et cruel alors qu’elle composait le numéro – de papa,
tel que je le reconnaissais sur le clavier – après la supplique d’Ana.
- Oui allô ?
Entendre la voix de Michael me glaça le sang.
Si ce genre de situation se reproduisait quotidiennement, j’étais certaine de
ne plus devoir prendre mon médicament du matin pour accélérer mon transit. Le
stress qui m’envahissait était tel que même mes larmes s’étaient figées sur mes
joues.
- Monsieur Webber,
bonjour, je suis la Mère Supérieure de l’école de vos enfants…
- Oh ce n’est pas vrai,
se lamenta papa. Qu’ont-ils fait ?
- Mayeul n’a rien fait,
monsieur. En revanche, nous avons trouvé Anaïs, Marie et Louise dans la cour de
récréation en présence d’un groupe de filles qui fumaient du tabac.
- Attendez… Vous pouvez
répéter, s’il vous plaît ?
La Mère Supérieure s’exécuta.
- Est-ce que mes filles ont
fumé une cigarette ? interrogea papa qui, je l’entendais, se contenait
pour ne pas hurler.
- Non monsieur, parce que
nous sommes arrivées à temps. Mais Dieu sait ce qui se serait passé si…
J’insultai la vieille directrice de fouteuse de
merde. Je la baptisai même ainsi. La fouteuse de merde. Ce serait désormais son
seul et unique nom.
- Bon, elles n’ont pas
fumé, dit papa plus pour lui-même que pour la fouteuse de merde.
- Non monsieur, elles n’en
ont pas eu le temps.
- J’ai bien compris, affirma
Michael d’un ton sans réplique. Ecoutez, ma femme et moi sommes en vacances et
ne rentrons que vendredi. Nous allons essayer de gérer tout cela au mieux, à
distance…
- Je comprends que ce n’est
pas évident, dit la fouteuse de merde d’un ton mielleux. Si vous souhaitez que nous
prenions le relais sur le plan disciplinaire le temps que vous rentriez…
- C’est gentil mais notre
réponse n’a pas changé. Nous avons des personnes de confiance pour gérer nos
enfants en notre absence et, de toute façon, nous serons rentrés dans trois
jours.
- Bien monsieur.
Après avoir jeté un coup d’œil à l’énorme règle
en bois, je fus extrêmement soulagé par la réponse de papa.
- Où sont mes filles ?
- Devant moi, répondit la
fouteuse de merde. Le haut-parleur est activé, elles entendent notre
conversation.
- Les filles… commença Michael.
- Papa, je te jure que
nous n’allions pas fumer ! me précipitai-je.
- Les autres l’ont fait mais
pas nous, je te jure papa ! enchaîna Anaïs.
- Oui, on te le jure sur
la tête de Paillette, Berlioz et Toulouse qu’on n’avait pas du tout l’intention
de fumer !! continua Louise.
- S’il te plaît, papa, ne
nous donne pas la fessée vendredi ! le priai-je de ma voix sanglotante.
- On sera super sages tout
le reste de la semaine, c’est promis ! s’engagea Louise, ce que je trouvai
particulièrement audacieux.
- Papa, on n’est vraiment
désolées d’avoir dérangé vos vacances mais on n’a rien fait de mal ! poursuivit
Anaïs.
J’eus la conviction que papa s’était rendu
compte qu’Ana avait changé de ton avec lui (elle n’était plus en mode « affrontement »),
et que nous étions toutes les trois on ne peut plus sincères. Quelques secondes
de silence passèrent après la dernière phrase prononcée par Anou, puis papa
déclara :
- Votre mère est en train
de faire une grasse matinée. Nous parlerons de cela quand elle se réveillera et
nous prendrons une décision. En revanche, les filles, il est évident que
vous n’allez pas faire des vôtres pour le reste de la semaine ! Ouvrez bien
grand vos oreilles : si jamais l’une de vous n’est pas dans le vert
aujourd’hui et jeudi et vendredi, elle atterrira sur mes genoux pour un très,
très long moment ! C’est compris ?!
- Oui papa, répondit
Louise.
- Marie, Anaïs, je ne
vous ai pas entendues ! gronda Michael.
- Ben c’est-à-dire que… bégaya
Ana. Nous sommes dans le rouge aujourd’hui et…
-
Je vous demande pardon ?!
- Ben, c’est une longue
histoire… poursuivit la courageuse Anaïs devant mon incapacité à ouvrir la
bouche.
- Bien, nous allons donc
en reparler. Bonne journée, les filles. Je vous aime très fort quand même…
Et papa raccrocha sans un mot pour la fouteuse
de merde, ce qui constitua ma seule consolation. Je fondis à nouveau en larmes,
persuadée de recevoir la rouste de ma vie dans… trois dodos.
Cet
épisode eut tout de même un effet positif : Rose, Paloma, Alice, Clara,
Angélique, Magdalena, Marylou, mes sœurs et moi actâmes ensemble le début d’une
amitié sincère et indéfectible.
Scarlett.
Depuis
notre luxueux hôtel corse qui offrait une vue incroyable sur la Méditerranée, j’essayais
de saisir chaque mot du discours de mon mari. Lorsqu’il eut fini, je plongeai
mon visage dans mes mains puis regardai mon merveilleux mari dans les yeux. Il
nous fallut à peine quelques minutes pour déclarer en chœur :
- Nous devons appeler Virginie.
La baby-sitter
gouvernementale répondit immédiatement. Tant mieux, elle était payée pour ça.
- Oui allô ?
- Bonjour Virginie, c’est
Michael et Scarlett. Comment allez-vous ?
- Très bien, merci !
Et vous-mêmes ?
- Ça pourrait aller
mieux, répondis-je avant de lui expliquer les frasques de nos filles ce matin.
- Ah, c’est vraiment
embêtant…
- Oui, effectivement,
répondis-je. Auriez-vous une idée de la raison pour laquelle Anaïs et Marie se
trouvent dans le rouge dès le matin ? Est-ce que quelque chose vous a paru
inhabituel hier soir ?
- Mis à part le décalage
au niveau des devoirs, non, répondit innocemment Virginie.
- Quel décalage ? se
renseigna Mike.
- Eh bien, Louise avait
des devoirs à faire mais pas Anaïs et Marie, dit la baby-sitter.
- Comment ça ? m’informai-je
en fronçant les sourcils.
- Anaïs et Marie les
avaient déjà terminé en classe, expliqua Virginie.
- Vous avez vérifié ?
demanda Mike.
- Vérifié ? s’étonna
la nounou.
- Oui, vérifié que leurs
devoirs avaient bien été faits en classe ! dit mon mari sur le ton de l’évidence.
- Eh bien non, je ne vois
pas pourquoi elles me mentiraient…
Je me retins de hurler tellement je bouillais.
Michael, qui avait davantage de self-control que moi, répliqua :
- Virginie, nous vous
avons pourtant fait un topo sur chacun de nos enfants avant notre départ !
Nous vous avions dit qu’il fallait vous méfier d’Anaïs et de Marie, qu’elles
essaieraient de vous piéger !
- Je n’ai pas pensé qu’elles
avaient une idée derrière la tête, se justifia Virginie. Elles sont tellement
mignonnes…
Je levai les yeux au ciel, d’exaspération. Ce n’était
pas possible d’être aussi débile !
- Comment s’est passé le
reste de la soirée ? se renseigna Mike.
- Eh bien, super !
Marie a pris ses médicaments, ils ont bien dîné, ils se sont douchés après le
repas et ensuite, je leur ai laissé leur soirée de liberté…
- Leur quoi ? demanda
Michael en haussant les sourcils tandis que je me figeais.
- Leur soirée de liberté,
vous savez ? Comme tous les lundis !
- Il n’y a pas de soirée
de liberté le lundi, expliquai-je les mâchoires tellement serrées que je crus que
mes dents allaient fusionner.
- Ah bon ? Mais ils
m’ont tous les quatre affirmé que…
- Ils vous ont menti !
m’écriai-je sans contrôle.
- Je suis vraiment désolée,
se confondit Virginie. Vos enfants sont tellement gentils, beaux, mignons…
- Et ils vous mènent par
le bout du nez ! poursuivis-je, furieuse contre cette baby-sitter à la
noix.
- Je suis désolée…
- Virginie, reprit
Michael. Si on résume bien, hier, vous nous avez donc dit que deux de nos enfants
sont rentrés de l’école avec une punition écrite pour avoir été dans le
orange – punition qui n’a donc eu aucune conséquence à la maison mis à part une
morale d’un quart d’heure qui les a sûrement bien calmés…
Je posai ma main sur le bras de mon mari. Quand
il commençait à faire de l’ironie, il était à deux doigts d’exploser : et
il devait se contrôler car j’étais déjà moi-même dans un état de colère
absolument vertigineux.
- Et aujourd’hui vous me
dîtes que ces deux mêmes enfants qui ont donc été punis à l’école durant la
journée d’hier, vous racontent qu’ils n’ont pas de devoirs à faire, et vous les
croyez sur parole… Et qu’en plus, aidés de nos deux autres enfants, le soir,
ils vous racontent qu’ils ont une soirée de libre tous les lundis, et de
nouveau, vous les croyez sur parole !
- Il n’y avait pas de raison
qu’ils mentent…
- Bien sûr que si !
explosai-je. C’est évidemment tout bénéf’ pour eux ! Ils vous racontent ce
qu’ils veulent et vous plongez la tête la première ! Si les devoirs n’ont
pas été faits, c’est pour cela qu’Anaïs et Marie étaient dans le rouge dès ce
matin !
- Est-ce qu’on peut
savoir à quelle heure les enfants se sont couchés hier soir ? demanda Mike,
dont la respiration se faisait de plus en plus bruyante.
- Aux alentours de minuit,
répondit Virginie à mi-voix.
- Punaise, ce n’est pas vrai !
bondis-je. Comment peut-on agir avec aussi peu de jugeotte ?!
- Ils ont tous les quatre
affirmé que…
- Ben évidemment qu’ils sont
tous les quatre allés dans le même sens, enfin ! explosa à son tour mon
mari. Ils n’allaient pas se contredire pour ensuite être obligés d’aller se
coucher tôt ! Mais vos décisions entraînent des conséquences, Virginie !
Marie a une maladie chronique qui est régie par des horaires fixes, notamment pour
les repas et le sommeil ! Mayeul a de gros troubles du sommeil et a besoin
d’un nombre d’heures conséquent sans quoi, il peut s’endormir en classe ! Vous
êtes en train de déconstruire le rythme que nous avons imposé à nos enfants
depuis des semaines !
- Bon écoutez, nous
allons nous passer de vous, décidai-je, n’en pouvant plus. Nous allons tout de
suite appeler notre référent qui va nous trouver quelqu’un qui sera davantage
compétent que vous, car ce n’est tout simplement plus possible.
- Mais je…
- Rassemblez vos affaires
et donnez votre clé à Assa, s’il vous plaît. Elle s’occupera de tout.
- Nous vous remercions
tout de même pour vos services.
Après avoir raccroché et pesté contre cette
incompétente pendant plus d’une dizaine de minutes, nous appelâmes Hugues qui,
Dieu merci, nous trouva un remplaçant en moins d’une heure.
- Il s’appelle Pierre, annonça
Hugues, mais il ne sera pas disponible avant 21h30.
- Pas de problème, dit
Mike. Notre plan B va prendre le relais entre 16h30 et 21h30. Est-ce qu’on
pourrait avoir les coordonnées de Pierre afin de le briefer ?
- Bien sûr. On dit que c’est
l’un des meilleurs !
- Oui, on a déjà entendu
ça quelque part…
Marie.
Le reste
de la journée se passa bien, et malgré notre présence dans le rouge à Anou et
moi, la Mère Supérieure avait une fois de plus fait sauter notre retenue, pensant
que le coup de fil à nos parents avait constitué une bien meilleure punition.
Elle n’avait pas tort… Pour le coup, j’aurais préféré rester au coin pendant
une heure plutôt que d’entendre la voix de mon père en colère au téléphone… Et
puis, la présence de mes copines durant ce coup de fil avait renforcé cet
horrible sentiment de honte… Bref, j’espérais de tout cœur que l’expérience ne
soit plus renouvelée !!
A
16h30, les parents et les nounous commencèrent à arriver dans notre classe pour
nous récupérer les unes après les autres.
Monsieur Guillaume arriva en premier, et avant
même d’avoir attendu les consignes de Sœur Thérèse, il entra dans la classe et
choppa Rose pour lui flanquer cinq claques ultra-humiliantes sur le derrière,
avant de faire la même chose avec Paloma. Puis il s’assura qu’elles étaient dans
le vert – je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si ça n’avait pas été le
cas ! – et les traîna hors de la classe en les tenant chacune par une
oreille.
Monsieur Chapeau arriva à son tour, et comme l’avait
prédit sa femme, il attrapa sa fille, la pencha sous son bras et lui flanqua
une déculottée tellement bonne que je dus détourner le regard et me boucher les
oreilles pour tenter de penser à autre chose qu’au fait que la même chose m’attendait
vendredi.
Puis, madame Kernec arriva et récupéra Alice et
Clara dans un silence qui voulait tout dire, tout en leur jetant des regards
noirs. De toute évidence, elle ne voulait pas recadrer ses filles devant leurs
camarades mais elles ne perdaient rien pour attendre. Que j’étais soulagée que
ce soit Virginie qui vienne nous chercher ! Elle était d’ailleurs en
retard…
Les parents d’Angélique vinrent la chercher et
cette dernière se prit une gifle retentissante de la part de sa mère qui lui
annonça qu’elle pouvait préparer ses fesses car la suite l’attendait à la maison.
La classe se vidait peu à peu et Virginie n’était
toujours pas là. Y’avait-il un problème avec Mayeul ?
Monsieur Duchemin fit son entrée habillé d’un costard
qui devait sûrement coûter dans les mille cinq cents euros, et, comme pour
faire mentir sa fille, il n’avait pas de martinet à la main. Il annonça d’ailleurs
à Magdalena :
- J’ai voulu être gentil
avec toi, Magda. J’ai été indulgent, je me suis limité au martinet. Mais c’est
terminé, maintenant, ma fille ! Aux grands maux, les grands remèdes !
Tu vas tâter de ma redoutable main et je te garantis que tu vas regretter les
lanières de cuir !
Il l’attrapa par les cheveux, la forçant à se
lever, et la traîna derrière lui comme si elle était une vulgaire valise à
roulettes. Je fus outrée qu’aucun adulte n’intervienne !
Bientôt, il ne resta plus qu’Anaïs, Louise et
moi dans la classe. Et Virginie n’était toujours pas là.
Soudain, un homme qui nous était très familier
apparut dans l’encadrement de la porte, accompagné de Mayeul. L’homme, tout
essoufflé, s’excusa auprès de Sœur Thérèse :
- Désolé… pour le…
retard, j’ai eu un… mal fou… à me garer ! Je suis… Caleb Webber…, l’oncle
d’Anaïs…, Louise et Marie !
- Pas de problème, monsieur,
vous pouvez récupérer vos nièces. Je dois vous informer qu’Anaïs et Marie sont
dans le rouge pour devoirs non faits…
- Oui, mon frère m’a dit !
répondit oncle Caleb qui reprenait son souffle. Mais pourquoi ne sont-elles pas
en retenue ? Je ne dois pas les récupérer dans une heure ?
- Elles ont écopé d’une
plus lourde sanction étant donné que votre frère et sa femme ont été appelés,
expliqua Sœur Thérèse.
- Très bien, alors je les
récupère. Bonne soirée à vous, et bon courage !
Nous nous approchâmes toutes les trois de notre
oncle et lui fîmes la bise à tour de rôle pour le saluer. Puis, nous le
suivîmes jusqu’à son magnifique cabriolet.
- Bon, ça a été votre journée,
les Gremlins ? nous demanda Oncle Caleb en démarrant la voiture après que
nous nous soyons attachés.
- Oui, répondit Mayeul
qui fut le seul à répondre.
- Vous êtes en forme ?
questionna le frère de Michael.
- Oui, répondit Mayeul
après lequel mes sœurs et moi répétâmes.
- Parfait, parce qu’en
rentrant, nous allons avoir une petite discussion !
L’annonce de notre oncle jeta un froid. Plus personne
n’osa parler pendant plus de dix minutes. Enfin, Anaïs risqua :
- Oncle Caleb, ce sont
papa et maman qui t’ont demandé de te fâcher contre nous ?
- Exactement, répondit-il.
Après avoir eu votre école au téléphone puis Virginie, ils ont compris pas mal
de choses ! Ils m’ont donc demandé de venir vous remettre d’équerre. Vu
que tante Justine et moi avons eu notre agrément de famille d’accueil et que nos
nouveaux enfants arrivent dimanche soir, ça me fera de l’entraînement !
- Oncle Caleb, tu ne vas
quand même pas nous donner la fessée ! poursuivit Anaïs qui semblait
ne pas y croire.
- Oh, ben je pense pourtant
que vous la méritez tous les quatre, non ?! rétorqua oncle Caleb en prenant
le virage menant à notre rue. Marie et toi, vous la méritez davantage, j’en conviens,
mais vous avez tous les quatre des choses à vous reprocher !
Le frère de Michael se gara dans notre allée et
nous descendîmes de voiture avec une grande appréhension. Pour ma part, je ne
faisais vraiment pas la fière… Moi qui pensais recevoir la rouste du siècle
vendredi, je n’aurais jamais pensé qu’elle tomberait plus tôt… Et en plus, je
savais pertinemment que mes parents me donneraient quand même un doublon, ce
qui me terrifia davantage.
- Aller, tout le monde
dans le salon ! ordonna Oncle Caleb après que nous ayons enlevé nos
manteaux, enfilé nos chaussons, et que nous nous soyons lavés les mains. Nous devons
parler de deux-trois petites choses !
- Mais, on doit prendre
le goûter ! protesta Mayeul.
- Vous mangerez bien mieux ce soir ! le rassura oncle Caleb.
Enfin, je ne savais pas si mon frère était
réellement rassuré mais en ce qui me concernait, cela voulait dire que je
serais toujours en vie après le recadrage de mon oncle, ce qui me réconforta.
- Bon, dit-il alors que
nous nous étions, ma fratrie et moi, serrés les uns contre les autres dans le
canapé. (D’ailleurs, Assa qui passait à ce moment-là dans la pièce, une bannette
de linge sale à la main, sembla trouver le spectacle amusant.) Premièrement, je
dois vous dire que vos parents ont renvoyé Virginie. Votre nouveau baby-sitter
s’appelle Pierre et il arrivera ce soir, vous serez déjà couchés. Et je peux vous dire
que celui-là, il sera impossible de le berner. De toute façon, si j’effectue bien
mon travail, vous n’en aurez pas envie !
J’avalai bruyamment ma salive.
- Louise, lève-toi et viens
ici ! ordonna oncle Caleb, qui était assis sur une chaise face à nous.
- Oncle Caleb, Louise n’a
rien fait ! intervins-je en signe de loyauté.
- Je t’ai demandé d’intervenir,
Marie ?! Je ne crois pas, non ! Alors reste à ta place. Louise, je t’ai
dit de venir ici ! Si je dois encore me répéter, je vais vraiment me
fâcher !
Toute tremblante, les larmes aux yeux, ma sœur se
leva et alla se planter devant oncle Caleb.
J’avais tellement l’habitude de voir le grand
frère de papa que je ne me rendais plus compte à quel point il était grand et
massif – comme Michael, d’ailleurs ! – Ses beaux et longs cheveux bruns qui
descendaient jusqu’au milieu de son dos et sa barbe d’une semaine le rendaient
aussi séduisant qu’intimidant.
Il plongea ses yeux bleus dans les yeux couleur
noisette de Louise et lui demanda :
- A ton avis, pourquoi
ton père, ta mère et moi sommes fâchés contre toi ? Qu’as-tu à te reprocher ?
Oh punaise. C’était LE piège. Au mieux, Oncle
Caleb était déjà au courant de tout et Louise passerait pour une enfant sage et
honnête, ce qui améliorerait sa situation ; au pire, elle révélerait des
choses qu’Oncle Caleb ignorait et elle aggraverait son cas.
- …
- Je t’ai posé une
question, j’attends une réponse ! insista mon oncle.
- Avec les autres, on a
fait croire à Virginie qu’on pouvait se coucher à l’heure qu’on voulait le
lundi, avoua sagement Louise qui tremblait. Et aujourd’hui, j’ai
traîné avec des copines qui fumaient, mais je n’ai pas fumé !
- Est-ce que tu as eu
envie de fumer ?
- Non !
- Bien, je te crois, dit Oncle
Caleb. Pour l’histoire de ce matin, je te laisserai régler ça avec tes parents
vendredi. En revanche, avoir menti à ta baby-sitter hier, ça ne passe pas,
Louise !
Notre oncle se leva, attrapa Louise et lui flanqua
une dizaine de bonnes claques sur sa jupe bleue. Louise, qui, malgré la
déculottée reçue vendredi n’avait vraiment pas l’habitude d’être punie, fondit
en larmes en se frottant le derrière. Vu la force des claques qui étaient
tombées, j’étais persuadée qu’elle les avait senties passer malgré ses vêtements.
Oncle Caleb se rassit sur la chaise et attrapa le menton de ma sœur pour la
forcer à le regarder. Puis, il la menaça :
- Si jamais je dois revenir
te recadrer dans la semaine parce que tu as refait des bêtises, je ne serai pas
aussi gentil ! C’est compris ?!
- Ou…oui, On…cle Cal…eb !
pleura Louise.
- Va au coin, le temps que
je m’occupe des autres, lui ordonna-t-il en montrant du doigt le coin jusqu’à à
côté de la télé. Tu mets les mains dans le dos et je ne veux pas te voir bouger
ou t’entendre parler !
Louise obéit après avoir répété un sanglotant « Oui,
Oncle Caleb ».
- Mayeul, viens ici !
ordonna le frère aîné de mon père.
Mon frère se leva remplit de stress et d’appréhension.
- Alors ? Qu’as-tu
fait pour que papa, maman et moi soyons fâchés contre toi ?
Mayeul avoua le mensonge d’hier soir concernant
la soirée de liberté qui avait été totalement inventée.
- Rappelle-moi pourquoi tu
dois te coucher tôt et à heures fixes, Mayeul ?
- Parce que j’ai des
troubles du sommeil, répondit mon frère à mi-voix.
Anaïs et moi échangeâmes un regard. Nous
ignorions que Mayeul avait des troubles du sommeil…
- A quelle heure t’es-tu
couché hier soir ? questionna notre oncle.
- Minuit et demi,
répondit mon frère.
- Quelles ont été les
conséquences aujourd’hui ?
- Je… je me suis endormi
en classe…
- Et ?
- Je suis descendu dans
le orange parce que je me suis endormi…
- Et ?
- J’ai eu une punition.
Mayeul parlait d’une voix presque robotisée,
comme s’il cherchait à se séparer du stress qui l’envahissait.
- Comme quoi, lorsqu’on est
malade, mentir à sa baby-sitter peut avoir de lourdes conséquences, n’est-ce
pas Mayeul ?!
- Oui Oncle Caleb,
répondit-il, imitant Louise.
- On est bien d’accords !
Et il est hors de question que tu recommences !
Notre oncle saisit le bermuda vert de Mayeul et
tira dessus d’un coup sec, si bien qu’en deux secondes, mon frère se retrouva
en slip en plein milieu du salon. Puis, Oncle Caleb se leva, dégagea les mains
que Mayeul avait mises en bouclier devant son derrière, et lui asséna une vingtaine
de claques assez costaude. Même si mon frère avait gardé son slip, on pouvait
voir que ses fesses avaient vraiment bien rougi.
J’étais prête à fuir. J’étais prête à taper un
sprint hors de la maison et à courir jusqu’à en perdre haleine, du moment que j’échappais
à la volée que mon oncle s’apprêtait à me donner !
- Comme pour ta sœur, je
te préviens Mayeul : si je dois revenir avant vendredi parce que tu as
refait des tiennes, je t’assure que je ne serai pas aussi gentil ! Donc tu
n’as pas intérêt à mentir à Pierre et tu te couches à heures fixes pour pouvoir
être en forme à l’école le lendemain ! Nous sommes d’accords ?!
- Oui, Oncle Caleb,
pleura Mayeul.
- File à ce coin-là, ordonna
Caleb. Et pas besoin de remonter ton bermuda : tu es très bien comme ça
pour le moment !
Mayeul s’exécuta, puis oncle Caleb nous regarda
Anaïs et moi en disant : « Bien, on va désormais passer aux choses
sérieuses ! », et il retroussa les manches de son pull en cachemire
jusqu’à ses coudes. J’eus l’impression de me liquéfier sur place.
- Marie, viens ici !
m’appela mon oncle.
- Nan, nan ! le
priai-je. Pitié, oncle Caleb, je serai sage !
- Je vais devoir me lever
pour venir te chercher, Marie Webber ?!
- Oncle Caleb, je t’en
supplie, je vais être sage ! dis-je en m’enfonçant encore un peu plus dans
le canapé, mes mains formant un bouclier devant moi.
- Eh bien oui, on dirait
que je vais devoir me lever !
Mon oncle finit par se lever de sa chaise,
attrapa un de mes poignets et me sortit du canapé comme si j’étais aussi légère
qu’une plume. Puis, tout en me tenant fermement, il déplia la méridienne et s’assit
dessus. Il me bascula ensuite sur ses cuisses et me maintint aussi facilement
que si j’étais de la pâte à modeler. Bloquant mes mains protectrices dans le
creux de mes reins, il retroussa ma jupe avec sa main libre, laissant mes
pauvres fesses uniquement protégées par ma culotte. Je serrais déjà les fesses
avant même qu’Oncle Caleb commence à me réprimander. Il me demanda :
- Alors Marie, par où
allons-nous commencer ? On va peut-être débuter par ce fameux mensonge
collectif sur l’heure de votre coucher, qu’est-ce que tu en penses ?
Quelles sont les conséquences pour toi, Marie, si tu ne te couches pas à l’heure
prévue ? Si tu ne dors pas assez la nuit ?
- Ça dérègle mon rythme,
répondis-je en pleurant déjà abondamment à l’idée de recevoir une fessée de la part
de mon oncle.
- Et si ton rythme est
déréglé, quelles sont les conséquences ?
- Je fais une crise,
répondis-je en serrant davantage les fesses, si c’était encore possible.
- Exactement, voilà ce qu’un
petit mensonge peut avoir comme lourdes conséquences ! Ton rythme est décalé
et tu tombes malade ! Ne me dis pas que tu n’as pas eu mal au ventre aujourd’hui
sinon je te baisse tout de suite ta culotte !
Je n’eus pas la force de répondre. De toute façon,
mon oncle et moi connaissions la vérité.
Je reçus alors une sacrée salve, sûrement la
même que celle de Mayeul ; et j’eus toutes les peines du monde à l’encaisser.
Lorsque mon oncle s’arrêta, je pleurais déjà à chaudes larmes, et plutôt
bruyamment.
- Eh oui Marie, quand on fait
des bêtises, il faut en assumer les conséquences !
- Pitié… Je su…is déso…solée !
- Moi aussi je suis
désolé, Marie ! Désolé qu’après toutes ces semaines dans notre famille, tu
n’aies toujours pas compris que tu devais respecter les règles que tes parents
t’imposent pour ton bien !
Que répondre à cela ? Pourquoi n’arrivais-je
donc pas à me tenir tranquille ? Je n’avais que mes yeux pour pleurer.
- Donc, on va laisser de
côté ce souci de cigarettes car tu auras bien assez le temps d’en parler avec
tes parents ; en revanche, tu peux me dire pourquoi tu étais dans le rouge
aujourd’hui ?
- Oh non…
- Si, si, tu vas me le
dire, Marie !
- Parce… parce que… mes…mes
de…voirs… n’é…taient p…pas faits, pleurai-je en tentant de dégager vainement mes
mains de l’emprise solide de mon oncle.
- Et pourquoi tes devoirs
n’étaient pas faits ?
Je pleurais à présent tellement que mon oncle
me fit grâce de lui répondre et enchaîna :
- Parce que tu as menti à
Virginie en disant qu’ils étaient faits alors que ce n’était pas vrai ! Et
ça en revanche, Marie, s’il y a bien une chose avec laquelle on ne plaisante
pas dans la famille, ce sont les études !
Ma culotte fut instantanément baissée et mon
oncle me flanqua une déculottée qui me sembla interminable et insupportable ; et il était impossible d’y échapper ! Je pleurais et criais tant que
la migraine commençait à s’installer ! Cette déculottée était tellement
corsée qu’elle aurait pu être donnée par Michael. Il n’y avait aucun doute, ces
deux-là étaient bien frères !
Sans arrêter de taper, Oncle Caleb me grondait :
- Tu étais dans le orange
hier pour avoir mal parlé à ta sœur, et dans le rouge aujourd’hui pour avoir
refusé de faire tes devoirs ! Tu peux me dire où tu vas t’arrêter, au
juste, Marie ?!
- P…a…r…d…o…n… ! braillai-je
lamentablement.
- Eh oui, tu demandes
pardon et ce pardon t’est accordé ! Et ensuite, tu recommences ! Et
tu reprends une fessée ! Je te garantis, Marie, que si je dois revenir te recadrer
avant vendredi, tu prendras le double de ce que tu auras pris aujourd’hui !
Tu as compris ?!
Oncle Caleb se contenta du « Oui »
sanglotant que je pus formuler et me lâcha enfin.
- Louise, Mayeul et
Marie, allez vous doucher et vous mettre en pyjama pendant que je m’occupe d’Anaïs !
Je me relevai en titubant et montai à l’étage,
me prélasser sous l’eau douche pour soulager mon fessier écarlate et endolori, et me calmer. On
pouvait clairement dire que j’avais sacrément déconné en croyant qu’il n’y
aurait pas de représailles avant la fin de la semaine ! Je ne pensais pas
que mon père ferait appel à son frère pour venir nous sanctionner !
En
sortant de la douche, j’entendis les pleurs très bruyants d’Anaïs qui devait
vivre un véritable calvaire. Je ne savais que trop bien ô combien il était
insupportable de recevoir une tannée le lendemain d’une autre ; et vu ce
qu’elle avait déjà reçu de la part de papa hier matin, j’imaginais aisément qu’elle
souffre le martyr.
D’ailleurs,
au dîner, elle fut dans l’incapacité totale de s’asseoir et dus manger à genoux
sur un tabouret bas ; mais personne n’osa s’en moquer.
Le coup de fil avec Michael et Scarlett termina de nous recadrer tous les quatre. Nos parents nous grondèrent sans retenue, en omettant cependant l'épisode qui s'était déroulé pour mes sœurs et moi durant la récréation de ce matin. Cette bombe à retardement ne me disait rien qui vaille...
Oncle
Caleb nous envoya au lit juste après le dîner, et nous ne pensâmes même pas à
discuter. Pierre n’arrivant que dans la soirée, nous ne le découvririons que
demain matin. Passant toute la journée à la maison, nous espérions fortement
que notre nouveau baby-sitter soit doux et gentil, même s'il n'était pas question d'essayer de le faire tourner en bourrique !
A suivre…
Eh bien, quelle journée pleine de rebondissements !!!
RépondreSupprimerComment Michael et Scarlett ont-ils pu engager une telle nounou ???
Les enfants ne leur laissent pas beaucoup de répit 😏 Michael et Scarlett vont-ils réussir à s'offrir un peu de repos ?
Sûr que le remplaçant de Virginie ne va pas être aussi laxiste et avec Caleb dans les parages, la sagesse va s'imposer ... quoique ??? Avec Anaïs et Marie, ce n'est pas gagné 🤔
Il me tarde maintenant de découvrir Pierre
et la façon dont il va remettre la fratrie au pas ! Mon petit doigt me dit que ça ne va pas être sans douleurs ! Y en a qui vont avoir envie de le tester ???
LP, tu as l'art de créer la surprise et de susciter l'impatince de lire la suite 👍