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Journal d'une étudiante accueillie. - Chapitre 87 (1ère partie)

 


Samedi 11 janvier 2020

 

-    Maman, est-ce que je… enfin… tu vois, y’a ma copine Justine qui demande si je peux aller chez elle et euh… enfin, c’est elle qui demande, hein ! Et euh… en fait, si…

-    Marie Noémie Juliette Webber : es-tu réellement en train de me demander si tu peux sortir ?!

-    Ben… C’est juste que…

-    Ecoute-moi bien ma fille, et écoute-moi attentivement parce que je ne le répéterai pas : si tu oses encore me demander de sortir avec des amis alors que tu es privée de sortie durant les six prochains mois, je te flanque une fessée ! C’est compris ?!

-    Oui maman, grommelai-je.

-    Je pense que tu as assez mal aux fesses comme ça ! Je me trompe ?

Je ne répondis pas et retournai dans ma chambre. Même si l’état de mon derrière s’était considérablement amélioré durant la nuit, il n’empêche que je venais de recevoir trois fessées en trois jours et qu’il était hors de question d’en recevoir une nouvelle.

Ayant un gros coup de blues face à tant d’interdits, tant de punitions, tant de frustrations à gérer, je m’allongeai sur mon lit et éclatai en sanglots. Je me sentais la plus malheureuse du monde ! Je n’arrivais pas à relativiser et je n’en avais d’ailleurs aucune envie. Je voulais penser que personne au monde n’était plus malheureux que moi, parce que j’étais punie et que je ne pouvais pas sortir avec mes amis.

Il y a encore cinq mois, je pouvais faire tout ce que je voulais ! Avant l’application de cette fichue réforme, j’étais libre, avec des parents qui ne me prenaient pas la tête, qui n’auraient jamais osé ne serait-ce que d’hausser le ton envers moi. Je pouvais sortir, puis rentrer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mathieu et moi nous voyions tous les jours. Je passais du temps avec mon p’tit frère, je pouvais l’emmener en promenade, lui apprendre à faire du vélo…

Bref, il y a encore cinq mois, j’avais une vie. Une vraie vie.

Depuis l’arrivée de cette fichue réforme, tout avait changé. J’avais été brutalement séparée de ma famille biologique, j’étais arrivée dans une famille d’accueil qui me flanquait des fessées à tout bout de champ comme si j’avais cinq ans, puis dans une autre encore plus sévère. J’étais dans une école de bonnes sœurs. Je faisais partie d’une fratrie nombreuse. J’étais privée de sortie. Privée de sortie ! Moi ! Il y a encore cinq mois, j’aurais bien ri à cette idée !

Il y a cinq mois, j’avais dix-huit ans. Aujourd’hui, j’en avais huit. Bienvenue dans le multivers.

 

-    A table ! entendis-je alors que je tentais de sécher mes larmes.

Prisonnière de cette cellule dorée, je me calmai du mieux que je pus et allai manger. Si j’avais prétendu ne pas avoir faim – ce qui était la vérité ! – Michael et Scarlett se seraient fâchés, pensant que j’étais encore capricieuse. Il me fallait donc obéir pour ne pas recevoir une nouvelle fessée.

Comment faisaient les personnes qui avaient été élevées ainsi ? Comment pouvait-on imposer l’obéissance à son enfant, sans tenir compte de ses envies ou désirs ?! Comment pouvait-on menacer son enfant d’une fessée s’il n’obéissait pas ? Lui aussi avait droit à son libre-arbitre ! Lui aussi avait le droit de dire « non » quand il n’avait pas envie de faire quelque chose ! C’était tellement cruel de le brimer ainsi en le menaçant de lui infliger cette insoutenable torture qu’est une fessée !

Je n’étais vraiment pas née à la bonne époque. J’étais certaine que dans quelques décennies, les parents qui frapperaient leurs enfants seraient emprisonnés à perpétuité, et cela serait on ne peut plus normal !

 

-    Cette après-midi, nous allons rendre visite à Nolan, nous annonça papa. Tâchez de vous tenir correctement.

-    On est obligés d’y aller ? demandai-je.

-    Oui, répondit Michael. Tout le monde y va.

Je soufflai d’agacement, mes parents ne relevèrent pas.

Du moins, pas tout de suite.

 

       Lorsque la table fut débarrassée, je me lavai les mains et remontai dans ma chambre. A peine m’étais-je affalée sur mon lit que l’on frappa à la porte :

-    Je ne veux voir personne !! grondai-je.

La porte s’entrouvrit tout de même, laissant apparaître le visage de ma mère.

-    Marie, il faut qu’on parle. Je peux entrer ?

-    C’est ta maison, fais ce que tu veux, répondis-je sèchement.

Ma mère vint s’asseoir sur mon lit et rabattit délicatement une de mes mèches rebelles derrière mon oreille.

-    Qu’est-ce qui se passe, ma chérie ? Toi qui es notre petit soleil du quotidien, tu es toute triste aujourd’hui !

-    Il faut croire qu’il y a des nuages, grommelai-je.

-    Et que représentent ces nuages ?

Je me tus.

-    Mon p’tit cœur, tu sais très bien que je vais rester ici jusqu’à ce que je sache ce qui ne va pas.

-    Je n’ai pas envie de parler !

-    D’habitude, tu…

-    Oui ben aujourd’hui, ce n’est pas comme d’habitude, voilà !!!

Je vis que Scarlett prenait sur elle. « D’habitude », elle n’aurait pas permis que je lui parle sur ce ton. Après avoir soupiré, elle reprit :

-    Calme-toi Marie. Tu sais très bien que cela me fait de la peine de te voir comme ça. Je ne peux pas te laisser dans cet état.

-    Maman, je n’ai pas envie de parler.

-    Bon d’accord, admit ma mère devant mon étonnement le plus total.

Elle se leva et ouvrit mon dressing, duquel elle sortit un soutien-gorge de sport, un débardeur et un jogging.

-    Qu’est-ce que tu fais ? lui demandai-je.

-    Tu ne veux pas parler, parfait. Mais il faut que tu extériorise d’une façon ou d’une autre. Alors tu enfiles ça. Je t’attends dans la salle de sport dans cinq minutes.

-    Maman…

-    Pas de discussion ! Aller hop, hop, hop !

 

Cinq minutes plus tard, j’étais habillée et je rejoignais ma mère qui elle aussi s’était changée. Elle avait également attaché ses beaux et longs cheveux blonds en une magnifique queue de cheval. Elle était vraiment canon. Et c’était injuste. La nature était injuste. Ma mère ressemblait à une déesse grecque. A côté d’elle, j’avais juste l’air d’être un gros tas. Scarlett devait se faire détester et jalouser de quatre-vingt-quinze pourcents des nanas qu’elle croisait.

Maman m’aida à enfiler des gants de boxe, puis elle enfila à son tour un casque de boxe (avec lequel elle était toujours aussi belle !), et des boucliers. Puis, elle m’ordonna :

-    Aller, frappe-moi.

-    T’es dingue ! réagis-je.

-    Frappe-moi, je te dis ! Ça va te faire du bien.

-    Maman, je ne peux pas te frapper ! Ça ne va pas, la tête ?

-    Marie, tu as déjà pratiqué la boxe, ou un autre sport de combat ?

-    Non.

-    Moi oui. J’en ai fait à très, très haut niveau. Tu n’as pas à t’inquiéter. Avant que tu me fasses mal, il va se passer pas mal de temps !

-    Mais maman, sans vouloir te vexer, tu es toute mince ! Moi, je suis une baleine à côté de toi ! Je vais te blesser très rapidement !

-    On va en reparler dans quelques secondes. Frappe. Avec tes poings, tes pieds, peu importe. Frappe. Et puisque nous venons de sortir de table, préviens-moi si tu as mal au ventre à un quelconque moment, d’accord ?

Je commençai alors à obéir, à contrecœur. Effectivement, ma mère tenait très bien sur ses appuis et parait tous mes coups, ce qui était assez époustouflant. Elle me dit même :

-    Frappe plus fort ! Aller ! Toute la colère et la tristesse que tu ressens, mets-les dans tes coups !

Je me défoulai comme jamais je m’étais défoulée. Je frappai encore, et encore, et encore, jusqu’à ce que le souffle me manque, jusqu’à ne plus en pouvoir.

-    J’ai… besoin… d’une… pause…

-    D’accord, je te laisse trente secondes.

-    Trente… secondes ?!

-    C’est maintenant qu’il faut persévérer, lorsque tes forces t’abandonnent. C’est dans la tête !

-    Maman, je suis… crevée !

-    Justement.

Le deuxième round se fit avec beaucoup moins d’énergie. Je frappais avec les poings et les pieds mais l’entrain me quittait. Alors que je frappais, ma mère me demanda :

-    Dis-moi après quoi tu es fâchée !

-    Après la réforme !

-    Pourquoi ?

-    Parce qu’elle m’emprisonne ! répondis-je en arrêtant de frapper.

-    Ne t’arrête pas ! Continue ! Imagine que les boucliers représentent cette réforme, et frappe !

Je repris alors les coups.

-    Pourquoi elle t’emprisonne, cette réforme ?

-    Parce que je ne peux plus vivre ma vie ! Je suis redevenue une enfant de huit ans, dépendante de ses parents, au lieu d’être une adulte libre !

Scarlett attendit que je finisse de frapper, en m’encourageant à donner tout ce que j’avais. Puis, lorsque je m’arrêtai pour reprendre ma respiration et boire un peu d’eau, ma mère m’ordonna d’enlever mes gants tandis qu’elle dépliait un tatami après avoir elle aussi enlevé le matériel qu’elle portait.

-    Contre qui d’autre es-tu en colère ? me demanda-t-elle lorsque je la rejoignis sur le tatami.

-    Papa et toi ! répondis-je.

-    Pourquoi ?

-    Parce que vous êtes sévères ! Vous m’interdisez tout ! Vous nous tapez pour nous punir ! On n’a jamais le droit de rien faire avec vous ! C’est l’horreur d’être votre enfant !

Scarlett prit quelques secondes pour accuser mes paroles.

-    Maman, je… ce n’est pas ce que je voulais dire ! me ressaisis-je.

-    Je sais, dit-elle en se repositionnant. Bien, essaie de me faire tomber.

-    Quoi ?!

-    Essaie de me mettre à terre.

Je tentai de nombreuses fois. De très, très nombreuses fois : à chaque fois, c’était Scarlett qui me mettait à terre, sans pour autant me faire mal. Je ne douterai plus jamais de son passé de spécialiste des arts martiaux !

Alors qu’elle me mettait une énième fois au sol, Scarlett me demanda :

-    Quelle leçon retiens-tu, Marie ?

-    Que tu es très forte en arts martiaux, répondis-je, essoufflée.

Je décidai d’ailleurs de rester au sol. Je n’avais plus la force de me relever.

-    Et donc, pourquoi est-ce que je te bats à chaque fois ? me questionna Scarlett.

-    Parce que tu es douée au combat et pas moi, rétorquai-je.

-    Exactement. Ces combats que j’ai gagnés, Marie, cela représente la vie. Tu es jeune, tu as dix-neuf ans et encore tout à apprendre. Mon rôle de maman, c’est de te protéger, comme je l’ai fait en te neutralisant sans douleurs. Mon rôle de maman, c’est de te mettre des stops, comme je l’ai fait en ne te laissant pas me mettre à terre. J’ai la connaissance, Marie. Pas toi. Je sais ce qui est bon pour toi. Pas toi. Bien sûr, tu es déjà une jeune femme ; mais tu as encore tout à apprendre. La façon dont ton père et moi te protégeons est bénéfique pour toi. Tu aurais préféré que je te laisse te fracturer la clavicule ou un autre membre ?

Je secouai la tête en signe de négation.

-    Il en va de même pour la vie. Je ne veux pas te laisser te faire agresser dans la rue, ou détester de tes profs parce que tu es insolente, ou quoique ce soit d’autre.

-    Mais alors, si c’est pour mon bien, pourquoi est-ce c’est aussi difficile ?

-    Parce que c’est la première fois de ta vie que tes parents agissent ainsi. Ta famille biologique, si géniale soit-elle, ne t’a pas imposée le cadre dont tu avais besoin. La frustration que tu apprends à gérer chez nous en ce moment, tu aurais dû l’apprendre étant petite. Mais il n’y a pas d’âge pour apprendre, ma chérie. Déteste-nous tant que tu veux mais il nous est absolument impossible pour ton père et moi d’arrêter de te protéger.

Je trouvai l’énergie de me relever pour prendre ma mère dans mes bras et lui dire que j’étais désolée.

-    Tout va bien, mon trésor. You’re my sunshine.

Nous restâmes dans les bras l’une de l’autre pendant plusieurs minutes, avant que ma mère me dise :

-    Allons nous doucher et nous préparer pour aller chez Nolan.

 

A suivre…

La suite !

Commentaires

  1. C'es une nouvelle fois un ''supplice'' de devoir attendre la suite ...
    C'est ça la frustration ?
    Au lieu de la punition, Scarlett a choisi une approche plus réfléchie pour amener Marie à accepter sa nouvelle vie '😊 et sa frustration du jour . C'est un très beau moment mère/fille où la réflexion fait place à la répression habituelle.
    Marie en sortira-t-elle mieux armée 🤔


    Quand même, la privation de sorties pendant 6 mois c'est exagéré !

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  2. Moi je ne suis pas étonnée de la tristesse de Marie ; c'est le premier week-end sans retour dans sa famille biologique et sans avoir le droit de sortir avec ses amis !



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