Lundi 20 janvier 2020
Je
descendais au rez-de-chaussée pour prendre le petit déjeuner lorsque j’entendis
papa gronder quelqu’un. Le son s’amplifia au fur et à mesure que j’avançais dans
la cuisine.
- … pas le temps d’en
parler plus longuement mais tu as vraiment intérêt à te tenir à carreaux cette
semaine, Anaïs Webber ! Si jamais j’apprends que tu n’as pas été sage, je
te garantis que ça va très mal se passer ! Tu m’entends ?! Est-ce que
tu m’entends ?!
- Oui, répondit Anaïs sur
le ton de l’agacement.
- Réponds-moi correctement
parce que je te jure que tu vas t’en prendre une ! menaça papa.
- Oui papa ! reprit
Anaïs en ne faisant aucun effort pour masquer son insolence.
J’eus à peine le temps de lancer un « Bonjour tout
le monde ! » que Michael avait attrapé Anaïs par l’oreille et la traînait
dans la bibliothèque malgré les suppliques de ma sœur.
- C’est bon, papa !
priait Ana. Lâche-moi ! Je te répondrai correctement, promis ! Papa,
s’il te plaît !
- Ah ça, pour répondre
correctement, je te garantis que tu vas…
Les paroles de mon père s’évanouirent lorsqu’il
eut refermé derrière lui la porte de la bibliothèque. Nous n’entendîmes alors
que des bruits de claques, qui lancèrent un énorme froid dans le living-room.
- Bonjour Marie chérie,
me dit alors Scarlett pour tenter de faire redescendre la tension. Tu as bien
dormi ? Que veux-tu déjeuner ?
- Assa n’a pas préparé mon
petit déjeuner ? demandai-je en m’efforçant de ne pas paraître ingrate ou
hautaine.
- Je voulais m’en
occuper, répondit ma mère, puisque je ne vais pas vous voir ces cinq prochains
jours… Mais si tu préfères que j’appelle Assa…
- Non, non ! dis-je
en me sentant un peu bête. C’est parfait, maman ! Merci beaucoup de t’occuper
du petit déjeuner. Je vais prendre des pancakes avec de la confiture, s’il te
plaît.
- D’accord ma puce !
s’exclama-t-elle, ravie. En attendant, prends ton médicament, je l’ai posé dans
ton assiette.
Le petit déjeuner à quatre sans Michael et
Anaïs se passa comme sur des roulettes jusqu’à ce que ma sœur et mon père sortent
de la bibliothèque, jetant à nouveau un froid. Ana avait le visage – et sûrement
pas que ça… - écarlate d’avoir tant pleuré, et papa afficha encore une mine
mécontente. Il continuait d’ailleurs de la gronder :
- Tu vas très vite te ressaisir,
j’te l’dis, moi ! Il est hors de question que tu fasses ta loi ! Continue
sur cette voie, et tu vas te heurter à pas mal de murs ! Si tu veux
pouvoir continuer à t’asseoir, tu vas rapidement cesser d’avoir cette attitude !
Tu te crois où, hein ?! Avec tes airs de gamine capricieuse et insolente !
Je crois que tu as vite oublié où tu habitais ! Va terminer ton p’tit
déjeuner et fais-toi oublier !
- Je n’ai plus faim, bredouilla
Ana.
- Tu vas quand même
terminer ton assiette car je ne veux pas que tu aies faim dans une heure,
insista papa.
- Je n’ai plus faim, j’te
dis ! répondit Anaïs sur un ton on ne pouvait plus agressif.
En voyant le visage de papa déformé par la
fureur, elle se protégea aussitôt le derrière, ce qui ne l’empêcha pas d’être
rapidement penchée sous le bras de Michael pour recevoir une nouvelle
déculottée devant toute la famille.
Pour le coup, même maman avait l’air de penser
qu’Anaïs était allée trop loin et que papa y allait trop fort. Le combat qui s’était
déclenché entre Anaïs et Michael aurait forcément des conséquences, non
seulement physiques mais aussi émotionnelles et affectives. Aucun des deux ne
semblait prêt à céder. Je me demandais bien où cela mènerait… En tout cas, je m’aperçus
qu’Anaïs avait un super-pouvoir, celui d’être ultra endurante. Je n’aurais
jamais pu recevoir deux salves d’affilées du calibre de celles que ma sœur venait
de recevoir ! D’ailleurs, voir Ana prendre d’aussi sévères tannées me
dissuada de commettre un quelconque méfait !
Dans
la voiture, nos parents n’eurent pas le temps de nous faire des recommandations :
premièrement, nous les connaissions déjà – pas de bêtises, faîtes vos
devoirs, soyez sages avec Virginie, n’oubliez pas de vous brosser les dents,
etc. – deuxièmement, ce fut Louise et moi qui monopolisâmes la parole :
- N’oubliez jamais de
charger vos téléphones pour qu’on puisse savoir si vous allez bien, dis-je.
- Et aussi pour qu’on puisse
vous localiser si vous ne nous répondez pas plus de vingt-quatre heures d’affilées !
poursuivit Louise.
- Et ne mangez pas des
choses qui vous semblent suspectes sinon vous allez tomber malades.
- Et ne parlez pas aux
gens bizarres sinon ils vont vous kidnapper.
- Ils sont sportifs de
combat, Louise ! m’exaspérai-je.
- Oui mais s’ils les prennent
par surprise…
- Ah, et aussi,
appelez-nous tous les soirs à dix-neuf heures ! ajoutai-je.
- Non, vingt heures,
parce qu’à dix-neuf heures, on dîne ! précisa Louise.
- Oui mais à vingt heures
en général, on se douche… Vingt heures trente, alors ?
- Ça va faire tard, en
plus si on n’a pas terminé nos devoirs…
- Bon, ben on va dire dix-neuf
heures trente, alors ! C’est bien dix-neuf heures trente, non ?
demandai-je à mes parents, qui riaient de nos « recommandations » à Louise
et moi.
- Dix-neuf heures trente,
ce sera parfait mon cœur, me dit Michael.
- Et comme ça, si on est
encore à table ben ce n’est pas grave, au moins on sera tous réunis, vous
pourrez nous parler à nous quatre ! dit Louise.
- Et vous appelez dès ce soir,
hein ! ordonnai-je. Ce n’est pas parce qu’on s’est vus ce matin qu’il faut
attendre demain pour appeler ! Moi, je vais avoir besoin de vous parler
dès ce soir !
- Ce soir, dix-neuf
heures trente, répéta sagement maman en souriant.
- Et vous prenez soin de
vous ! ajouta Louise.
- Et vous prenez des
photos, continuai-je, pour nous montrer ce que vous aurez vu et visité.
- Et si jamais il vous
reste des sous après vous être bien faits plaisir, vous pouvez nous prendre un
p’tit souvenir… réclama Louise en rougissant.
- Mais un p’tit truc,
hein ! précisai-je. Genre un porte-clés, d’accord ? Parce que l’important,
c’est que vous profitiez à fond ! Parce qu'ensuite, on ne va pas vous laisser repartir de
sitôt…
- Ben oui parce qu’il
faut quand même que vous vous occupiez de nous, poursuivit Louise.
Anaïs était particulièrement agacée par ce
dialogue incessant mais elle se retenait de dire quoique ce soit après les
événements de ce matin. Quant à Mayeul, il fixait le plafond de la voiture avec
l’air de dire : « Ah, les filles ! ».
Papa
et maman nous déposèrent à l’école. Anaïs leur lança un furtif, banal et
désintéressé : « Bon ben, salut ! A vendredi ! » ; et Mayeul
leur fit la bise en leur souhaitant de bonnes vacances. Puis, tous deux
rejoignirent leurs classes.
Louise et moi restâmes seules avec Michael et
Scarlett. Les larmes aux yeux, nous enlaçâmes nos parents un très, très long
moment, au point que la sonnerie retentit que nous faillîmes être en retard.
En nous regardant partir vers nos classes, maman
laissa couler une larme sur sa joue. Même Michael semblait ému.
- Je vous aime !
lançai-je avant qu’ils disparaissent de mon champ de vision.
Cela me faisait un énorme pincement au cœur de quitter
Michael et Scarlett pendant cinq jours entiers. La cuisine de maman allait me
manquer, les taquineries de papa aussi, et leurs câlins à tous les deux, leurs merveilleux
câlins…
- C’est bon, ils seront
revenus dans quatre dodos, tu vas survivre ? se moqua Anaïs en prenant une
voix enfantine exprès pour m’agacer.
- Ferme ta gueule ! lui
lançai-je en tentant de cacher mes yeux remplis de larmes.
- Nous avons à peine
commencé la journée que vous êtes déjà dans le orange, Marie Webber !
annonça Sœur Annabelle en fermant la porte derrière elle. Bon retour parmi nous !
- Mais c’est à cause d’Anaïs !
me défendis-je. Elle s’est moquée de moi parce que…
- Je ne veux rien savoir
des querelles fraternelles ! trancha la professeure d’anglais en
descendant mon badge dans le orange sur le panneau de la classe.
- J’aurais mieux fait de
rester à la maison… bougonnai-je.
Même si Sœur Agnès du
Saint-Esprit, Sœur Bernarde et Sœur Marie-Josèphe ne me descendirent pas dans
le rouge, elles ne remontèrent tout de même pas mon badge dans le vert ;
je terminai donc la journée avec une punition écrite à faire pour le lendemain :
cent lignes à écrire « Je dois parler correctement à mes camarades. »
Comment allait réagir
Virginie ? Je ne la connaissais pas et je rentrais déjà à la maison avec
une punition. Même si j’avais en tête, je l’avoue, de la tester un peu, ce test
me paraissait un peu audacieux. Et papa et maman, alors ? Qu’allaient-ils dire ?
Il était certain que je prendrais une fessée dès vendredi… Tout ça à cause d’Anaïs !!
Elle me pompait vraiment l’air, en ce moment ! Je commençais presque à
regretter d’avoir demandé à mes parents de la recueillir…
A quatre heures et demie,
une femme nous réclama à la porte de la classe, Louise, Anaïs et moi.
Virginie avait les
cheveux bruns et coupés en un carré plongeant. Plutôt mince – aussi bien foutue
que maman ! -, elle portait une robe grise très bien ajustée qu’elle
aurait pu arborer à n’importe quel dîner d’affaires parisien. Couplée à son
collant satiné et à ses escarpins noirs, la robe de Virginie renvoyait vraiment
la sévérité et le désir de mener les choses.
Ses yeux noirs en amande avec des cils longs
parfaitement bien courbés nous cherchaient du regard dans la classe.
- Punaise, mais c’est un
critère pour pouvoir s’occuper de vous d’être un canon de beauté ? nous
demanda Angélique qui fut récupérée par sa maman qui était plutôt une femme "banale" mais qui portait la
gentillesse sur son visage.
- Ben écoute je ne sais
pas, mais c’est vrai qu’elle est trop belle ! lui répondis-je en m’avançant
vers Virginie.
- Marie et Anaïs ont une
punition à faire pour demain, annonça sèchement Sœur Anne de Dieu à notre nouvelle
baby-sitter. Marie pour avoir été vulgaire envers sa sœur, et Anaïs pour avoir
été insolente envers sa professeure d’anglais.
- Eh bien, la semaine
commence bien ! commenta Virginie en nous récupérant.
Nous la suivîmes dans le couloir qui menait au
bâtiment des garçons et plus précisément à la classe de Mayeul.
- Ce n’est pas ma faute !
me défendis-je. Anaïs s’est moquée de moi !
- Tu n’avais pas besoin
de lui répondre de façon vulgaire, Marie ! me gronda Virginie.
Bon, c’était officiel. Je ne l’aimais pas. Si je
m’étais promise de me tenir à carreaux depuis l’énorme gaffe de ce week-end, je
me rendis vite compte que mes nerfs allaient être mis à rude épreuve et que
cette promesse ne tiendrait peut-être pas aussi longtemps que je l’espérais.
- Tu es fâchée contre moi ?
me risquai-je à demander.
- Je souhaite que tu me
vouvoie, Marie, précisa ma nounou. Et je ne suis pas fâchée mais contrariée. Nous
en parlerons à la maison.
- Je ne veux pas recevoir
une fessée, me lamentai-je à mi-voix. S’il vous plaît.
- Je ne vais pas te
donner de fessée, affirma Virginie en créant un soulagement immense en moi.
Cependant, nous allons quand même en parler !
Ouf ! Pas de fessée ! Ce que je
craignais le plus n’allait pas se produire, c’était parfait ! Peu
importait la punition qui m’attendait, mes fesses seraient à l’abri ce qui me redonna
le sourire et me fit prendre mes aises. La confiance marcha vers moi. Le champ
des possibles s’ouvrait devant mes yeux. Ce serait une semaine plutôt cool,
finalement !
Nous
récupérâmes Mayeul – qui était également dans le orange pour avoir oublié de
rendre un devoir ! – et nous rentrâmes à la maison. Sur le trajet, je fis
comprendre à mon frère et à ma sœur que nous ne serions pas punis par la
fessée, ce qui les rassura.
- De toute façon, mes
fesses sont hors service ! me chuchota Anaïs qui, il est vrai, avait eu
bien du mal à tenir assise aujourd’hui. Cependant, je ne l’avais absolument pas
plainte, surtout qu’à cause d’elle, j’étais descendue dans le orange !
Virginie nous infligea
à Anaïs, Mayeul et moi, une discussion des plus pénibles à tenter de nous faire
la morale et prendre conscience de nos fautes : pourquoi ce n’était pas
bien, pourquoi est-ce qu’il ne fallait pas recommencer, etc. Même si c’était
très compliqué à vivre, j’essayais de me réconforter en me disant que j’avais
échappé à la fessée qui serait inévitablement tombée si papa et maman n’étaient
pas partis en week-end ! Etant donné que mon derrière n’avait pas
pleinement récupéré de la rouste de vendredi, je préférais mille fois faire
semblant d’écouter le discours soporifique de ma nouvelle nounou sur la
nécessité de respecter les autres.
- Bien, conclut-elle.
Maintenant que nous sommes d’accords sur la non-récidive de ce genre d’agissements,
vous allez faire vos devoirs et vos punitions.
- Je n’ai pas de devoirs !
m’exclamai-je.
- Moi non plus !
renchérit Anaïs.
- Il me semble que vous
êtes dans la même classe que Louise, qui est justement en train de faire ses
devoirs, remarqua Virginie d’un air soupçonneux.
- J’ai déjà fini les
miens en classe, mentis-je précipitamment sous le regard désapprobateur de Louise qui resta néanmoins silencieuse.
- Moi aussi, suivit
Anaïs.
- Très bien, alors… Dans
ce cas, faîtes uniquement vos punitions, dit Virginie.
Trop facile ! Un jeu d’enfant. Cette
semaine s’annonçait vraiment sous les meilleurs hospices !
Le
coup de téléphone avec papa et maman fut un peu plus pénible. Sans surprise,
Anaïs, Mayeul et moi nous fîmes bien gronder et menacer d’une bonne fessée vendredi
si nous n’étions pas dans le vert tout le reste de la semaine.
Nous
nous couchâmes à l’heure que nous voulûmes car nous avions réussi à faire gober
à Virginie que le lundi soir était notre « soirée de liberté ».
Même Louise et Mayeul s’étaient finalement pris au jeu de faire tourner notre
nouvelle baby-sitter en bourrique. Cette semaine allait vraiment être géniale !!
A suivre…

On dit qu'il faut se méfier de l'eau qui dort ! Virginie est sûrement en mode ''test'', histoire de savoir à qui elle a vraiment à faire ???
RépondreSupprimerMarie et Anaïs jouent avec le feu 😏
Les bonnes résolutions de Marie semblent aux oubliettes et Anaïs a déjà oublié la volée du matin ?
J'espère que la suite ne va pas tarder 🙏
Ça m’aurait étonnée qui Marie reste sage toute la semaine comme elle l’avait prévu 😂
RépondreSupprimerQuand Virginie va se rendre compte qu’ils l’ont fait marcher ça risque de chauffer ! Et ne parlons même pas du retour de leurs parents 🫣
Chassez le naturel et il revient au galop. Cet adage se vérifie, une fois de plus... Oh? Ça me rappelle quelqu'un...
RépondreSupprimer😉
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